Je suis contente d’avoir finalement fait ma thèse, comme je le souhaitais trente ans plus tôt. Mon projet avait été interrompu par le succès de mon premier roman, comme mes études avaient été interrompues en terminale par l’incapacité de mes parents à me permettre de faire des études (ils étaient pauvres) et par leur refus de laisser ma prof de lettres et de grec, qui l’avait généreusement offert, se charger de me loger et de s’occuper de moi afin que je puisse continuer mon parcours. J’avais repris mes études dès que possible, dix ans plus tard et mère de deux enfants. Et voilà qu’au niveau du DEA (Master 2) ce « succès » me tombait dessus : je l’ai fui en quittant le pays. Je n’aime pas les paillettes, j’aime la liberté, la paix, l’amour et le travail. Et j’ai enfin pu retrouver le chemin de la fac trente ans après l’avoir quittée, j’ai mené cette thèse à bien, je l’ai soutenue il y a deux ans.
J’aurais aimé pouvoir enseigner en fac, transmettre les fruits de mon travail, mais c’était apparemment impossible. En France être l’auteure d’une trentaine de livres et d’une thèse de doctorat, qui plus est admissible à l’agrégation et titulaire du CAPES, vaut moins pour enseigner que d’avoir un parcours ordinaire et surtout des copains dans la place. Cela ne concerne pas que l’université. Nous vivons dans une république de copains, où le copinage, le réseautage et les renvois d’ascenseur tiennent lieu de compétences. C’est ainsi que la médiocratie s’est installée un peu partout, à commencer par le sommet de l’État. Les gens qui désirent vraiment se consacrer à leur travail, quel que soit ce travail, n’ont pas envie de « succès », et encore moins de perdre leur temps à manœuvrer pour obtenir ce que le vulgaire appelle le succès. Alors ils quittent le pays ou bien ils s’en isolent. L’aristocratie de l’esprit en France se tient nécessairement à l’écart, tandis que le vulgaire siège dans la petite masse malodorante des élites.
N’entrez pas sans masque dans les commerces !