En résonance avec mon travail écrit de ces derniers temps et de toujours, et aussi avec mon petit triptyque peint À l’est d’Adam, ces extraits d’un texte de L.R. Kasper publié dans l’ouvrage Thirty Voices in the Feminine, alors que je n’avais encore écrit que cinq livres, au début des années 90.
« … Reyes explore nos rapports inquiétants avec le corps humain. Son écriture à la fois sèche et sensuelle s’interroge sur ce que Octavio Paz appelle « la douce flamme de l’amour et de l’érotisme », mais Reyes est aussi fascinée par le mysticisme que celle-ci décèle dans la matérialité du corps humain.
(…) Elle reconnaît l’importance du désir dont les avatars sont l’érotisme, l’amour, le voyage et l’écriture (…) car l’amour nous précipite dans la fragilité, « nous exposant au monde dans notre misère et notre nudité, avec pour seule arme de survie notre désir ». Le désir érotique nous réduit aussi à notre plus intime élémentarité, nue, changeante, vitale. Il ressemble au voyage « qui n’est pas du côté de la mort mais, dans son mouvement de résurrection perpétuelle, la glorification même de la vie ». De même, l’écriture est faite de mouvement et de vie élémentaire. Le désir effréné de transmettre par les mots cette vie palpitante (…)
La narratrice, qui s’appelle aussi Lucie, est séduite par « ces parfums mêlés, celui de la lointaine Éthiopienne », sa sœur humaine et animale, et « celui du sol », lit des morts et limon de la vie qu’ « un dieu ancien avait pétri pour modeler le premier être ». « Je me sentais devenir aussi élastique que cette boue, dont j’avais maintenant les mains et les jambes couvertes. J’étais une femme de boue, de terre et de ciel, un corps malléable au travers duquel la forêt respirait, tout embuée d’eau et d’air mêlés » (…) L’immatérialité de Lusi la fée et la matérialité brute de Lucie la primitive se rejoignent chez Lucie qui réfléchit constamment sur le miracle de la chair humaine. L’on apparaît soudain, dit-elle, comme son bébé prenant sa place dans le monde, puis l’on disparaît tout aussi vite. « Mais on ne rentre pas tout à fait dans le vide. Il reste la chair, la masse des molécules, des atomes, à redistribuer dans le monde. (…) peut-être ce dernier voyage est-il le plus aventureux ».
(…) Dans chaque roman revient l’image de la rose, sorte de leitmotiv du royaume d’Éros, mais transfiguré sous la plume de Reyes. Ambiguë, riche, profonde, la rose chez Reyes se mange, se fait chair, est absorbée dans la matière pour faciliter l’accès à la création. (…) À plusieurs reprises, elle se lamente sur son incapacité de peindre les roses. Or, à la fin du roman quand elle émerge du fossé, elle arrache les pétales d’une rose et parvient à les déguster ; après, elle jette avec désinvolture la tige épineuse au nez d’un chien de garde menaçant et s’éloigne, triomphante, car la rose se transforme en texte, un texte énigmatique sur la puissance ambiguë de la chair humaine. »