Maternité, bonheur et liberté

 

(Suite) Macron et Branco sont quasi-anagrammiques. Ces frères de classe sont de faux ennemis. Via Mimi Marchand, Piotr Pavlenski ou autres instruments de com, dont une langue viciée, ils usent de la même arme : la manipulation. Arme des inaccomplis, des enfants gâtés ou jamais assez regardés, se poussant au centre de l’attention pour occuper une place qu’ils estiment leur être due sans qu’ils aient à en produire une preuve réelle. Comportement emblématique de leur classe, fondée sur l’esprit de domination – esprit qui peut se retrouver aussi partout, au-delà des classes, à l’échelle de la famille. Esprit du secret de famille, précisément, culture des actes commis dans l’ombre, inavouables ou du moins inavoués, faussement justifiés par quelque « bonne raison » et ne visant en fait, sans jamais le reconnaître, qu’une satisfaction personnelle.

La mode est aux témoignages de jeunes femmes contre les inconvénients en tous genres de la maternité, présentée comme repoussante. Dans ce monde sinistre, je témoigne au contraire de maternités bienheureuses, tout imparfaites et chargées d’erreurs qu’elles aient été ou puissent être encore. Adolescente, je ne me voyais pas d’avenir : obligée de travailler tous les étés depuis l’âge de douze ans, et comprenant de plus en plus qu’il me serait impossible de faire des études supérieures (ma famille étant trop pauvre), ayant des rapports difficiles avec mes parents et surtout avec ma mère, j’avais décidé de ne pas avoir d’enfants. Et puis à dix-neuf ans, je me suis trouvée enceinte et j’ai accueilli le fait avec bonheur. Mes deux premiers fils sont nés alors que j’avais vingt puis vingt-quatre ans, les deux derniers alors que j’avais trente-huit puis quarante ans. Cette première maternité m’a sauvée du risque de dépression auquel je pouvais être exposée dans ma détresse sociale, et il en fut de même pour les suivantes, même si ma situation ne fut pas toujours aussi périlleuse. Mes enfants m’ont sauvée, me sauvent, mais aussi m’ont accompagnée dans ma vie de femme libre et d’artiste, par le don de vie qu’ils sont.

On emploie l’expression « donner la vie » mais il faudrait dire, davantage : « accueillir la vie ». Car nous ne donnons pas la vie, nous la recevons. Et ce qu’il faut aux parents, c’est apprendre à recevoir la vie que leur apporte leurs enfants. Ma mère disait couramment à ses enfants que c’était elle qui les avait faits. C’était faux : nous ne faisons pas nos enfants ; simplement, ils poussent dans notre corps, puis ils en sortent – mais nous ne sommes pas les auteur·e·s de la vie. Leur auteur est « au ciel », nous sommes poussière d’étoiles et nous ne sommes que des parents intermédiaires ; adoptifs en quelque sorte, si nous ne nous comportons pas comme leurs propriétaires. Elle me dit un jour combien elle appréciait son sentiment de toute-puissance, « de vie ou de mort », sur les nouveau-nés, si fragiles. Cette façon de concevoir la maternité me rappelle la vision d’épouvante qu’en avait Simone de Beauvoir, vision qui se retrouve aussi dans l’esprit de ces jeunes femmes qui témoignent contre la maternité dans certains médias ou sur les réseaux sociaux, notamment féministes. Vision qui témoigne d’une impossible émancipation des femmes, mais aussi de soi et des êtres humains en général, vus comme des objets : manipulables et à manipuler. C’est toute une conception du monde qui est à renverser, pour le sauver de la mort.

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Judas, son baiser de la mort, à autrui et à lui-même infligé

 

« Nous creusons la fosse de Babel » Franz Kafka

Selon les chrétiens, le rôle de Judas était nécessaire, puisqu’il fallait que le Christ soit crucifié. C’est là où je me sépare des chrétiens. Depuis le début – et je l’ai écrit, en ces débuts de ma passagère conversion au christianisme, dans mon livre Voyage (aujourd’hui épuisé, et que je ne veux pas rééditer) – je refuse de croire en la nécessité de la crucifixion, je m’élève contre ce principe de sacrifice humain, qui plus est fondé sur la trahison. La trahison existe, mais elle n’est pas nécessaire, tout au contraire : moins elle existe, mieux nous nous portons.

Les chrétiens ne sont d’ailleurs pas honnêtes sur ce point : d’une part, en persécutant les juifs pendant des siècles parce qu’ils auraient prétendument crucifié le Christ (pourquoi leur vouer tant de haine, s’ils n’ont fait, selon leur vision, qu’accomplir la volonté de Dieu en condamnant Jésus ?) ; d’autre part, en ne voulant pas voir que le Christ n’a rien fait, parce qu’il n’y avait rien à faire, pour sauver Judas. Le sort réservé à Judas dans les évangiles prouve paradoxalement que la faute que lui fait faire la vision chrétienne du monde est sans retour. Comment Judas, après avoir laissé parler le Menteur à travers lui, pourrait-il prétendre inspirer confiance, comment pourrait-il garantir que sa parole serait désormais fiable ? Un aveu fait aux personnes concernées pourrait le libérer en partie du poids de sa faute – rien de plus.

Les judas sont nombreux (cette note fait suite à mes notes précédentes sur l’affaire Griveaux, dont les différents protagonistes se sont révélés traîtres, à commencer par Griveaux lui-même, qui a trahi sa femme et dans une moindre mesure ses électeurs, devant lesquels il se présentait en chantre du mariage). Nul n’est à l’abri d’une traîtrise, commise ou subie. Mais les degrés de traîtrise, et donc leurs suites, diffèrent. Le Logos a ses lois que les borgnes et les aveugles de l’esprit ne voient pas. La seule atténuation du mal qui leur reste possible est d’apprendre à ouvrir les yeux, et à assumer les conséquences de leur pensée si gravement faussée, et de leur geste contre la vérité et la vie.

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Affaire Griveaux, suite. Manipulateurs

Le suicide de Judas, fresque de Canavesio à la chapelle Notre-Dame-des-Fontaines de La Brigue

Le suicide de Judas, fresque de Canavesio à la chapelle Notre-Dame-des-Fontaines de La Brigue

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Ainsi donc c’est la compagne de Piotr Pavlenski qui a piégé Griveaux (volontairement ou non, cela reste à définir). L’imbécile a dû se croire hyper sexy quand ça lui est arrivé, puisqu’il s’est comparé publiquement, sans le dire, à Cédric Villani devant qui, selon lui, « les filles ne se mettent pas nues ». Le fait est que Villani, lui, pas plus que Dati ou Hidalgo, n’est pas stupide au point de se manipuler en vidéo devant n’importe qui.

Dommage tout de même que Pavlenski ne l’ait pas laissé prendre sa déculottée, plutôt que par un procédé lamentable, en bonne et due forme devant les urnes. Mais bien sûr il s’agissait dans son esprit et celui de Branco, voire d’autres, d’atteindre Macron à travers Griveaux. Activiste manipulateur contre président manipulateur, des deux côtés les coups sont bas. Pavlenski a quitté le domaine de la performance artistique. Manipulé, lui aussi, l’artiste engagé ? Qui manipule et qui se laisse manipuler ne s’engagent que dans une impasse. Remember Judas, traître à la vérité.

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Manifestation pour l’Hôpital public

C’est là que nous naissons, que nous donnons naissance, que nous sommes soignés, que notre vie est sauvée, et aussi, souvent, que nous mourons. Des pouvoirs publics qui démolissent l’hôpital public sont des pouvoirs publics qui démolissent la civilisation.

Mes photos de la manifestation de cet après-midi, qui s’est terminée devant la Pitié-Salpêtrière, pour sauver l’hôpital public.

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manif hopital 21-minCet après-midi à Paris, photos Alina Reyes

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Affaire Griveaux

Screenshot_2020-02-14 Laurent Chemla sur Twitter Je sais pas pourquoi mais je sens qu'on va beaucoup entendre parler de pro[...]*

Et soudain, je comprends le vertige pascalien. Sauf que ce ne sont pas les espaces infinis de l’univers qui m’effraient, mais l’autre chose qui, selon Einstein, donne une idée de l’infini : la bêtise humaine. La fin de campagne de Griveaux est digne de son festival de crétinerie. Post tristem coïtum, animal tristissime. Mais peut-on seulement parler de coït pour un masturbator qui n’aura jamais connu ni fécondé l’objet de son désir – heureusement pour nous, Parisiens, avec qui il prétendait instaurer une « relation charnelle ».

Mélenchon passe fermement consigne à ses troupes : « ne participez en aucune façon au règlement de compte dont Benjamin Griveaux fait l’objet. »
Insoumis, obéissez au chef ! La République, c’est lui ! c’est Griveaux aussi ! c’est tous ceux et celles de cette caste qui le soutient et que vous entretenez ! Ne la blasphémez pas !

On ne peut dénier à cet artiste russe, Piotr Pavlenski, d’avoir l’art de foutre le bordel – et je pèse mes mots. En payant sérieusement de sa personne. Dans un monde honnête (c’est ce que Pavlenski prêche, l’honnêteté), un candidat ne renoncerait pas à sa candidature pour une si piètre affaire ; mais dans un monde honnête ce même candidat ne se ferait pas le chantre du mariage et de la famille tout en demandant à une jeune femme si elle n’est pas déjà prisonnière d’un mari et d’enfants. Politique de l’en-même-temps : le macronisme, stupide, arrogant, hypocrite et vain.

Screenshot_2020-02-14 Objectoeur sur Twitter laurentchemla JulieGarnierFI Exactement, protection de la vie privée pour ceux[...]

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Aux congénitaux faux-culs

 

Des médias font maintenant leurs choux gras des violences faites aux femmes dans l’édition. Que dire des gens qui vous harcèlent pour que vous parliez quand ça les arrange, après avoir été complices des harceleurs pendant des années, après vous avoir harcelée et boycottée pendant des années parce que vous aviez parlé, parce que vous parliez ? Que ceux et celles qui se sentent morveux-ses se mouchent, je ne leur prêterai pas mes doigts pour ça, ni même un vieux kleenex. Votre conscience vous pèse ? Faites vous-mêmes le boulot de la soulager, et publiquement si vous œuvrez dans le public. Assumez-vous, pour une fois. Rude boulot, n’est-ce pas ? Si vous ne vainquez pas votre peur, elle vous enserrera encore dans votre tombe.

:-)

De Parménide à Weinstein. Politique et non-politique

 

C’est à une déesse que Parménide prête la parole : « il y a bien de l’être, mais du néant, il n’y en a pas ». C’est à ce même principe féminin qu’il fait dire avec insistance qu’il ne faut pas faire porter sa recherche sur ce qui n’est pas.

Qu’est-ce qui n’est pas ? Ce que Nietzsche appelait « une côte de son idéal ». Un être créé avec « une côte » de notre idéal. Un tel être n’est rien. Rien d’autre qu’une illusion. Faire porter l’objet de sa recherche sur une illusion, en la prenant pour une réalité, voilà la faute fondamentale. Elle avait raison, la déesse, d’en prévenir et de l’interdire. Les humains, hommes ou femmes, tombent dans ce panneau : se forger une illusion et la prendre pour quelque chose qui est réellement, ou poser une illusion sur quelque chose qui est, et ainsi ne plus voir ce qui est, tel ou tel objet qui est, mais voir en tel objet qui est quelque chose qui n’est pas. Prendre ce qui est pour quelque chose qu’il n’est pas, ou prendre quelque chose qui est pour quelque chose qui n’est pas.

Cependant une déesse possède l’essence féminine comme productrice et protectrice du réel. La femme enfante, met au monde un objet qui est, des objets qui sont bel et bien. Il y a bien de l’être, et il est mis au monde par la femme : dans cette fonction, elle a statut de déesse, comme créatrice d’être et comme sublimité. Non pas comme mère – la mère est humaine, trop humaine, et comme tout humain, tout homme, toute femme, chargée d’illusions qu’il faut dissiper. Mais comme principe. Différent du principe masculin par rapport à l’être dans la mesure où rien ne prouve que tel homme soit géniteur de tel être (du moins avant l’invention des tests ADN). C’est pourquoi l’homme Parménide reçoit son enseignement d’un principe féminin, par principe et par essence connaisseur du fait que, qu’il soit caché (dans la matrice) ou mis au monde, l’être est, il y a bien de l’être ; alors que s’il n’y a rien (dans la matrice), il n’y a rien, et rien qui puisse sortir de ce rien, rien que puisse devenir ce rien, sur lequel il faut s’interdire de spéculer, donc.

Les affaires Ramadan, Weinstein, Matzneff, sont très révélatrices de cette tendance de l’humain à vivre de « côtes de son idéal ». Ces hommes ont vécu en illusionnant autrui – leurs proies parfois, mais surtout et d’abord la société, les hommes par lesquels ils se sont fait idolâtrer, ou assez respecter pour se rendre intouchables. Mais avant tout, ils se sont illusionnés eux-mêmes. Ils se sont crus puissants – et dès que le réel les a rattrapés, sous l’espèce de la parole des femmes, ils se sont effondrés misérablement. Soudain Ramadan et Weinstein ne tenaient littéralement plus debout, Matzneff parlait de se tuer. Ayant cru être ce qu’ils n’étaient pas, une fois que l’illusion qui leur servait de masque leur a été arrachée, il ne restait plus rien d’eux.

La déesse de Parménide prenant soin d’identifier l’être au percevoir, au penser, il nous est loisible de lier aussi le non-être au non-percevoir, au non-penser : à l’illusion, fausse perception et fausse pensée. Ainsi l’amour d’un être est, mais l’amour d’une illusion, en fait, n’est pas. Les illusions que nous font miroiter d’illusoires hommes et femmes politiques pour que nous les élisions ne relèvent ni de l’amour entre le peuple et ses représentants ni d’une capacité à engendrer un réel digne de cet amour, puisqu’il n’en est pas un.

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Cette note fait suite à ma traduction et à mes précédents commentaires du Poème de Parménide.

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