La stratégie du choc, par Naomi Klein (3) Le système corporatiste

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Nous poursuivons la lecture de ce fameux livre. Je donne au fur et à mesure de l’avancée les passages à mon sens les plus significatifs.

« En 2006, les dépenses du gouvernement des États-Unis dans le domaine de la sécurité se chiffraient à environ 545$ par foyer. Et il n’est ici question que de la guerre au terrorisme en sol américain. Les gros bénéfices viennent des guerres menées à l’étranger. Sans tenir compte des fournisseurs d’armement, dont les profits ont monté en flèche grâce à la guerre en Irak, la prestation de service à l’armée des États-Unis est aujourd’hui l’une des économies tertiaires qui connaît la croissance la plus rapide au monde. » (p.23)

« De tous ces éléments – commerce des armes, soldats privés, reconstruction à but lucratif, industrie de la sécurité intérieure et traitement de choc administré par l’équipe de Bush au lendemain des attentats du 11 septembre -, il émerge une économie nouvelle redéfinie de A à Z. » (p.24)

« Le mot qui convient le mieux pour désigner un système qui gomme les frontières entre le Gouvernement avec un G majuscule et l’Entreprise avec un E majuscule n’est ni « libéral », ni « conservateur », ni « capitaliste ». Ce serait plutôt « corporatiste ». Il se caractérise au premier chef par d’immenses transferts de ressources publiques vers le secteur privé, démarche qui s’accompagne souvent d’une explosion de l’endettement, d’un accroissement de l’écart entre les riches à outrance et les pauvres sans importance et d’un nationalisme exacerbé qui justifie des dépenses colossales dans le domaine de la sécurité. Pour ceux qui font partie de la bulle d’extrême richesse ainsi créée, il n’y a pas de moyen plus rentable d’organiser la société. Étant donné les désavantages manifestes pour la vaste majorité des citoyens, condamnés à rester en marge, l’État corporatiste doit adopter d’autres tactiques : le resserrement de la surveillance (le gouvernement et les grandes sociétés s’échangeant une fois de plus des faveurs et des contrats), le recours massif aux emprisonnements, le rétrécissement des libertés civiles et, souvent (mais pas toujours), la torture. » (p.26)

à suivre

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La stratégie du choc, par Naomi Klein (2) Argentine, Chine, Russie, Royaume Uni, Afrique, Asie, États-Unis

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Nous poursuivons la lecture de l’ouvrage paru en 2007 au Canada, en 2008 en France (éd. Léméac/Actes Sud). Je donne au fur et à mesure de l’avancée dans le livre les passages à mon sens les plus significatifs.

« Dans l’Argentine des années 1970, la junte fit « disparaître » 30 000 personnes, pour la plupart des militants de gauche, afin d’imposer les politiques de l’école de Chicago (…) Dans la Chine de 1989, le massacre de la place Tiananmen et l’arrestation de dizaines de milliers de personnes permirent aux communistes de transformer une bonne partie du pays en une gigantesque zone d’exportation, où travaillent des salariés trop terrifiés pour faire valoir leurs droits. Dans la Russie de 1993, la décision prise par Boris Eltsine de lancer des chars d’assaut contre le Parlement et de faire emprisonner les chefs de l’opposition pava la voie à la privatisation précipitée qui engendra les célèbres oligarques du pays.
Au Royaume Uni, la guerre des Malouines, survenue en 1982, eut le même effet : le désordre et l’élan nationaliste nés de la guerre permirent à Margaret Thatcher de recourir à une force extraordinaire pour étouffer la grève des mineurs du charbon et lancer la première vague de privatisations effrénées en Occident. » (p.19)

« En Amérique latine et en Afrique, dans les années 1980, c’est la crise de l’endettement qui obligea les pays « à privatiser ou à crever », selon la formule d’un ex-représentant du FMI. (…) En Asie, c’est la crise financière de 1997-1998 – presque aussi dévastatrice que la Grande Dépresssion – qui affaiblit les « tigres » asiatiques et les obligea à ouvrir leurs marchés à ce que le New York Times appela « la plus grande vente de faillite du monde ». «  (p.20)

« Pendant trois décennies, Friedman et ses disciples exploitèrent de façon méthodique les chocs subis par d’autres pays – pendants, à l’étranger, du 11 septembre 2001, à commencer par le coup d’État de Pinochet du 11 septembre 1973. À partir de la chute des tours jumelles, l’idéologie née dans des universités américaines et nourrie par les grandes institutions de Washington eut enfin l’occasion de rentrer au bercail.

L’administration Bush profita de la peur suscitée par les attentats non seulement pour lancer sans délai la « guerre contre le terrorisme », mais aussi pour faire de cette dernière une entreprise presque entièrement à but lucratif, une nouvelle industrie florissante qui insuffla un dynamisme renouvelé à une économie chancelante. C’est ce qu’il convient d’appeler le « complexe du capitalisme du désastre », entité tentaculaire beaucoup plus vaste que le complexe militaro-industriel contre lequel Dwight Eisenhower avait mis les Américains en garde à la fin de sa présidence : on a ici affaire à une guerre totale, menée à tous les niveaux par des sociétés privées dont les interventions sont financées à même les fonds publics. Ces dernières ont pour mandat perpétuel de protéger le sol américain tout en éliminant le « mal » là où il se manifeste à l’extérieur. Au bout de quelques années seulement, le contexte a déjà pénétré de nouveaux marchés : ne se contentant plus de lutter contre le terrorisme, il participe à des missions internationales de maintien de la paix, organise des polices municipales et répond aux catastrophes naturelles, de plus en plus fréquentes. L’objectif ultime des grandes sociétés qui forment le cœur du complexe, c’est d’introduire le modèle du gouvernement à but lucratif – qui progresse rapidement dans des circonstances extraordinaires – dans le fonctionnement ordinaire, au jour le jour, de l’État. Autrement dit, il s’agit de privatiser le gouvernement. » (p.22)

à suivre

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La stratégie du choc, par Naomi Klein (1) Louisiane, Chili, Irak, Sri-Lanka

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 Gaza, photo Ibrahim Abu Mustafa/ Reuters

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Nous commençons la lecture de l’ouvrage paru en 2007 au Canada, en 2008 en France (éditions Léméac/Actes Sud, traduction de l’anglais par Lori Saint-Martin et Paul Gagné). Je donne au fur et à mesure de l’avancée dans le livre les passages à mon sens les plus significatifs, éventuellement commentés.

« Dix neuf mois après les inondations, alors que la plupart des pauvres de la ville étaient encore en exil, presque toutes les écoles publiques de La Nouvelle-Orléans avaient été remplacées par des écoles à charte exploitées par le secteur privé (…) les 4700 membres du syndicat licenciés. Certains jeunes instituteurs furent réembauchés par les écoles à charte, où ils touchaient un salaire nettement inférieur qu’auparavant. Bien d’autres n’eurent pas cette chance. (…) J’appelle « capitalisme du désastre » ce type d’opération consistant à lancer des raids systématiques contre la sphère publique au lendemain de cataclysmes et à traiter ces derniers comme des occasions d’engranger des profits. » (p.14)

« Pendant plus de trois décennies, Friedman et ses puissants disciples avaient perfectionné leur stratégie : attendre une crise de grande envergure, puis, pendant que les citoyens sont encore sous le choc, vendre l’État, morceau par morceau, à des intérêts privés avant de s’arranger pour pérenniser les « réformes » à la hâte. (…) En cas de crise, le professeur de l’université de Chicago était convaincu qu’il fallait intervenir immédiatement pour imposer des changements rapides et irréversibles à la société éprouvée par le désastre. (…) Variation sur un thème cher à Machiavel, selon qui le mal devait « se faire tout d’une fois »… » (p.15)

« Au lendemain du violent coup d’État orchestré par Pinochet, les Chiliens étaient sans contredit en état de choc. De plus, le pays était aux prises avec les traumatismes causés par une hyperinflation galopante. Friedman conseilla à Pinochet de procéder aussitôt à une transformation en profondeur de l’économie – réduction d’impôts, libéralisation des échanges commerciaux, privatisation des services, diminution des dépenses sociales et déréglementation. (…) Friedman créa l’expression « traitement de choc » pour parler de cette douloureuse tactique. (…) En Amérique latine, nombreux sont ceux qui établirent un lien direct entre les chocs économiques qui se soldèrent par l’appauvrissement de millions de personnes et l’épidémie de tortures qui punirent dans leur chair des centaines de milliers de personnes qui rêvaient d’une autre forme de société.» (p.16)

« En Irak, au Sri-Lanka et à La Nouvelle-Orléans, on entreprit le processus faussement qualifié de « reconstruction » en parachevant le cataclysme initial (guerre ou catastrophe naturelle) : on effaça les derniers vestiges de la sphère publique et des communautés profondément enracinées afin de les remplacer par une sorte de Nouvelle Jérusalem des grandes entreprises – le tout avant que les victimes n’eussent eu le temps de se ressaisir et d’affirmer leurs droits de propriété. » (p. 18)

Il n’est pas interdit de penser aux politiques qui se mènent en Europe et en France. Et aux intérêts en jeu, politiques et financiers, en ce moment pour la reconstruction de Gaza.

à suivre

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