Dame à la licorne et phobie de la femme

dame3_0

*

La désastreuse nouvelle présentation des tapisseries de la Dame à la licorne au musée du Moyen Âge pourrait s’intituler L’Anglais décrit dans le château fermé, pour reprendre le titre d’un roman sadien d’André Pieyre de Mandiargues. Donner à voir ces grandes tapisseries dans un lieu sans espace trahit l’œuvre, de toute évidence conçue pour d’amples pièces, où l’homme a loisir d’évoluer et respire aisément. Ici la mise en spectacle semble conçue par un hystérique dont la maladie se traduirait par des crises d’étouffement, et qui voudrait transmettre son asthme aux malencontreux visiteurs qui ne se rendent compte de rien. Pourquoi ? Alors que les citations de plusieurs auteurs et poètes qui ponctuent le corridor d’accès à la salle mettent en exergue l’universalité de cette œuvre, laquelle comme tout chef d’œuvre parle de l’être humain et à l’être humain dans son entier, celle de Yannick Haenel parle de féminité. Outre que la présence de cette citation est comme le livre dont elle est extraite le résultat d’une machination, elle est aussi symptomatique de ce qui a été fait à ces tapisseries : désormais elles semblent garnir un utérus, où les visiteurs sont conduits comme au tombeau, ou du moins dans une prison. Cernés par la féminité de la Dame comme dans les pires cauchemars d’un psychopathe. La trahison de l’œuvre, et de son auteur, est totale.

Les hommes du Néolithique descendaient peindre dans les grottes comme dans des centres spirituels, où parfois ils figuraient aussi des vagins. Mais ces grottes n’étaient pas des espaces étouffants et clos, bien au contraire. On n’y arrivait pas comme pris au piège, mais en suivant un cheminement aventureux et initiatique, un chemin de libération. L’homme n’y allait pas pour le spectacle, mais pour rendre hommage à la création et plus ou moins consciemment, au Créateur. Ou bien les grottes étaient ouvertes sur l’extérieur, comme l’est la grotte de Lourdes, autre type d’évocation féminine qui loin d’étouffer l’être, l’ouvre et le guérit – rappelons-nous la parole du Christ : Effata ! Et celle de saint Paul : en Christ, il n’y a ni homme ni femme. Enfermer ainsi les tapisseries de la Dame à la licorne est une opération morbide, comme si on enfermait la grotte de Lourdes, en trahison totale de son histoire, au lieu de préserver le caractère largement ouvert du sanctuaire. Sanctuaire est le titre d’un autre roman, de William Faulkner celui-ci, où il est question de viol et de meurtre. Encore un effort, messieurs et mesdames les conservateurs, pour sortir des schémas mentaux mortifères.

Mes autres évocations de la Dame à la licorne sont ici. En particulier ce texte extrait de mon livre La chasse amoureuse.

Quelques trésors de Cluny, musée du Moyen Âge

19

20

21

22

23

24

25

26

En arrivant à la salle de la Dame à la licorne, j’ai vu qu’elle était introduite par une phrase indigente du livre indigent que Haenel et Sollers, déjà à mes basques (bien avant l’affaire de Forêt profonde et avant que je ne m’en doute), publièrent sur la Dame quelques mois après que j’avais publié moi-même un livre, La Chasse amoureuse, qui lui était en grande partie consacré (et dont on peut lire des passages ici), la Dame près de laquelle j’habitais et que j’allais voir depuis des années. Il leur fallait donc souiller cela aussi. Mon tour dans la salle n’a duré que quelques secondes, d’autant que la nouvelle disposition des tapisseries est beaucoup moins heureuse que la précédente, qui était à la fois plus spacieuse et plus intime, plus propice à la contemplation. J’ai quitté le musée rapidement, après une dernière photo de ce visage du Christ.

27

photos Alina Reyes