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Je suis allée voir Snowpiercer, qui m’a fait une forte impression. Avec ses thèmes du passage de portes (comme dans Derrière la porte), du chemin dans la neige (comme dans Voyage), du mal et du monde gelé (comme dans Forêt profonde), de l’avalanche (comme dans La Chasse amoureuse), de l’arche de Noé (comme dans Le Boucher, entre autres), d’un(e) grand(e) ours(e) (comme dans Lucy au long cours et À la Grande Ourse, texte ici présent), ce film coréen tiré d’une bande dessinée française rencontre ma sensibilité comme elle a rencontré celle de millions de spectateurs et de la quasi-totalité des critiques, tant en Corée qu’en France. Or il n’est pas encore distribué aux États-Unis. Pourquoi ? Parce que le producteur américain qui en détient les droits pour le monde anglophone veut pouvoir le couper et l’arranger de façon à ce qu’il puisse rencontrer le public américain. Ce que le réalisateur refuse. Nous voici devant l’un de ces cas d’enfermement des dominants dont je parlais il y a quelques heures. Ils ne peuvent pas rencontrer l’altérité, il leur faut d’abord la manipuler pour la rendre moins étrangère, moins universelle, plus assimilable, plus contenable entre leurs murs. Une telle humanité est une humanité en train de se nécroser.
Tout cela est bien imagé dans le film – et je me rappelais aussi, en le voyant, le jour où par erreur je suis entrée dans un train vide, qui est parti aussitôt. J’ai remonté interminablement tous les wagons déserts, jusqu’à la locomotive, où je suis entrée dans la cabine du conducteur. Le train s’est arrêté dans une lointaine banlieue, où il est passé au lavage automatique, comme les voitures – sauf que l’opération est évidemment beaucoup plus longue pour un train. Enfin j’ai pu descendre, traverser les voies, monter dans une draisine à bord de laquelle des mécaniciens m’ont ramenée à Paris. J’avais raté mon train mais j’ai pris le suivant et je suis arrivée à bon port, en Normandie, sur une plage du Débarquement. Ce fut une bonne expérience.