L’Ordre invisible est en marche

Après la publication de mon livre sur Lourdes, la première personne de l’Église que j’ai rencontrée, sur sa demande, fut un laïc chargé d’importantes responsabilités dans les Sanctuaires de la ville pyrénéenne. Et la première chose qu’il m’a racontée fut qu’il avait aidé une prostituée à sortir de son état, et qu’elle était finalement devenue nonne. Ceci pour faire le parallèle avec ma situation. Je lui ai fait remarquer que je n’étais pas une prostituée. Que l’écrivain travaillait dans le sens de la libération des hommes, et non dans celui de leur asservissement.

Puis je fus invitée à participer à un débat dans les Sanctuaires, organisé par le magazine catholique Pèlerin. Le rédacteur en chef du magazine, en me présentant au public, dit : « Avec l’argent de votre premier roman, vous l’avouez, vous avez acheté une grange en montagne, près d’ici ». Comme si j’avais commis là quelque péché.

Je me pliai à des séances de signatures à la librairie des Sanctuaires. Je le faisais avec joie, mais une journaliste d’un grand quotidien national en reportage pour le cent cinquantième anniversaire des Apparitions me demanda ce que faisait là un auteur de mon niveau. Elle ne pensait pas du tout au caractère érotique d’une grande partie de mon œuvre, mais au fait que ma stature impliquait que je me livrais là à un abaissement.

Pendant plus d’une année, je continuai à aller à la rencontre du peuple catholique en me déplaçant un peu partout en France dans des librairies ou autres lieux où je pouvais prendre la parole et échanger avec les gens. Je constatai que beaucoup affrontaient des problèmes personnels et familiaux énormes (touchant notamment leurs enfants), qu’ils me confiaient. Alors que d’autres, ceux qui avaient l’air les plus atteints et les plus rigides, ne me confiaient rien mais me disaient que j’étais une Marie Madeleine. Ce qui selon eux signifiait : une prostituée sauvée par le Christ. (Notons que les Évangiles ne disent jamais que Marie de Magdala était une prostituée, mais c’est quelque chose qui les tient).

Plus tard, une journaliste du magazine Famille chrétienne vint me voir à Barèges, où j’étais en ermitage dans ma grange. Je l’invitai à déjeuner et j’essayai de lui expliquer ma démarche et ma pensée, bien qu’elle fût beaucoup sur la défensive, avec une certaine rigidité que j’avais déjà rencontrée chez une autre journaliste d’un autre magazine chrétien, La Vie, qui m’avait interviewée au début. Comme cela avait été le cas avec cette dernière, je m’attendais bien à un article mitigé, méfiant. Mais je n’avais pas imaginé qu’elle irait jusqu’à falsifier mes propos, me faisant dire de moi-même que j’étais une pécheresse. Bien évidemment j’ai toujours pris soin de récuser ce terme. Non que je prétende ne pas être comme le commun des mortels. Mais je refusais absolument d’être cette icône de la prostituée repentante qu’ils voulaient faire de moi. Je le refusais par respect de ma propre dignité, qu’ils bafouaient sans gêne, mais aussi et surtout pour eux, pour leur faire prendre conscience de la mauvaiseté de leurs schémas et de leur aveuglement.

Toute l’histoire du rapport de l’Église à mon égard est fondée sur cette obsession de la pécheresse qui habite leur tête malade. Je suis une femme libre qui ne s’est jamais fait entretenir par personne, qui a toujours refusé les rapports d’intérêts avec les gens, et notamment avec les hommes, qui sais vivre avec ou sans argent, qui n’est inféodée ni à des institutions ni à des systèmes de pensée. J’ai mis au monde et élevé quatre enfants, tous épanouis. Voyant la misère de beaucoup de ces catholiques qui se confiaient à moi, j’ai voulu les aider à en sortir, car c’est tout simplement ma fonction d’écrivain – et ma liberté, je la dois aussi aux écrivains purs que j’ai lus. Mais beaucoup dans l’Église n’avaient en tête que leur obsession de la pécheresse, qu’ils prétendaient rééduquer – alors que bien sûr ils ne trahissaient ainsi que leur propre asservissement.

C’est en grande partie pourquoi je ne pus jamais les faire sortir du système de rapports souterrains et pour le moins malhonnête, et même abusif, qu’ils avaient établi, fût-il établi à la vue de beaucoup. Jusqu’au bout il leur a fallu surveiller indûment, biaiser, mentir, m’envoyer des émissaires sans dire qu’ils étaient des émissaires, des porteurs de message sans me dire qu’ils ne me parlaient pas en leur nom propre, m’approcher par la trahison, ne jamais assumer en haut lieu ce qui était fait. Ils se seraient fait prendre la vie, ils auraient laissé couler l’Église plutôt que d’accepter un rapport honnête et franc, un rapport d’homme à homme, d’égal à égal. Tout cela bien sûr en contradiction absolue avec le message du Christ.

J’ai tout sacrifié pendant des années pour les sortir de là. J’ai perdu mes moyens de subsistance – la capacité à publier dans l’édition et dans la presse – et ils comptaient aussi là-dessus pour me plier à leur façon de faire. J’ai dû vendre mon seul bien, ma grange en montagne. Et maintenant le petit revenu que j’en ai tiré est épuisé, et je reprends ma vie sans eux. Honnête et franche. Car on ne fait rien pour le salut du monde par des moyens malhonnêtes. Et un seul homme qui tout simplement vit honnêtement fait plus que toute une église vivant d’un discours séduisant mais malhonnête. Je suis l’un de ces Pèlerins prophétisés dans Voyage parce que comme d’autres je l’ai toujours été, et nous continuons, Ordre pour l’instant invisible, à œuvrer. 

Le grand dragon



*

Je suis allée voir El Gran Dragon, documentaire sur les hommes de la forêt d’Amazonie et leur connexion avec les plantes qui guérissent. Hommes, forêt et connaissance menacés par l’exploitation industrielle, comme les indigènes péruviens, dont le nombre passa de douze millions à un million, le furent par les colons et les évangélisateurs qui condamnèrent leur savoir.

Connexion est un mot qui revient fréquemment au cours du film. Ces hommes sont connectés avec leur environnement naturel, ils en font partie. Des ethnologues comme Jeremy Narby aussi bien que le poète penseur Antonin Artaud se sont intéressés à leur mode d’entrée dans une autre dimension par la « mère des plantes », leur enseignante. Quand la science occidentale comprendra que la clé qui lui manque est là, l’humanité fera un grand pas.

Il est inutile de demander à un voyageur

Des conseils pour construire une maison.

Le travail ne sera jamais achevé.

Citation du Livre des Odes, un ouvrage chinois, par Bruce Chatwin, dans son livre capital sur les aborigènes australiens, Le Chant des pistes.

« Les psychiatres, les politiciens, écrit ensuite Chatwin, les tyrans nous assurent depuis toujours que la vie vagabonde est un comportement aberrant, une névrose, une forme d’expression des frustrations sexuelles, une maladie qui, dans l’intérêt de la civilisation, doit être combattue. Les propagandistes nazis affirmaient que les Tziganes et les Juifs – peuples possédant le voyage dans leurs gènes – n’avaient pas leur place dans un Reich stable. Cependant, à l’Est, on possède toujours ce concept, jadis universel, selon lequel le voyage rétablit l’harmonie originelle qui existait entre l’homme et l’univers. »

Aujourd’hui on confond souvent voyage et tourisme. Le voyage est spirituel, ou il n’est pas. Ceux qui ont réellement voyagé savent que le voyage commence vraiment quand ils deviennent eux-mêmes le voyage. Les habitants de la forêt, les habitants de leur espace, même s’ils ne font que se déplacer dans leur environnement immédiat, y voyagent réellement, en communion spirituelle avec le cosmos. Avec le chemin qu’ils deviennent eux-mêmes (et qui désoriente tant les sédentaires).

Caves du Vatican

Le dernier pape est réputé plus proche des gens que le précédent. Quels gens ? Quand j’avais envoyé mon livre Lumière dans le temps à Benoît XVI, il m’avait aimablement répondu, via son secrétariat. Quand je lui ai envoyé la règle des Pèlerins d’Amour, l’évêque chargé des ordres religieux m’a proposé de nous rencontrer. Voilà plus de sept mois que j’ai envoyé Voyage à François, et toujours pas de réponse. Un livre de mille pages à la gloire du Christ, assorti d’une règle pour un nouvel ordre inter-religieux, cela ne leur tombe pourtant pas dans le bec tous les quatre siècles ! Ah mais alors, que se passe-t-il ? Serait-ce qu’au Vatican, ils sont un peu comme les vampires, ils fuient la lumière du jour ? La communication souterraine, dans les ténèbres ou dans les limbes, l’aiment-ils tant qu’ils espèrent que ça dure ainsi jusqu’à la fin de leur temps, peut-être pas si lointaine ? Ou bien je fais trop peur à voir en vrai.

Je comprends qu’ils aimeraient bien être débarrassés, d’une façon ou d’une autre, de la nécessité d’avoir à me considérer comme l’auteur du livre et de la règle dont je suis l’auteur, le seul auteur. De la nécessité d’en parler face à face avec moi, s’ils désirent que nous collaborions. De la nécessité de me traiter d’égal à égal. J’ajouterais aux deux choses qui donnent une idée de l’infini, selon Einstein, cette troisième : le gouffre qui existe entre le discours de certaines personnes ou institutions et leurs façons de faire et d’être. Ah les belles paroles ! Le respect de la dignité de l’être humain, l’amour, la fraternité, l’humilité, la vérité… Mais « l’amour dans la vérité », ils ne savent pas du tout faire, les malheureux. C’est pourquoi en vérité j’ai pitié, et je continue à attendre qu’ils y arrivent, pour leur propre bien, qu’ils arrivent à s’arracher d’eux-mêmes, à sortir de leur enfermement. Car ils méritent de vivre, comme les autres.

Ce que j’ai vécu en ermite dans la montagne, ils l’ignorent totalement. C’est de là qu’est né Voyage, de Dieu. Ils l’ignorent totalement, c’est pourquoi ils ne comprennent rien, n’arrivent à rien avec moi. Y arrivera qui aura la foi.

Chant de la carmélite errante

Comme j’ai rêvé la nuit dernière d’un château et de mes soeurs du Carmel (voir note précédente), voici le Chant de la carmélite errante, que j’écrivis chez elles et qui est le premier des Chants de Voyage, Manifeste du nouveau monde.

*

Je suis la carmélite errante,

Mon canasson c’est Rossinante,

Dieu mon aimé, mon seul bonheur,

Monte l’ânesse de mon cœur.

Qu’importe la maison, ma fête

C’est la parole des prophètes,

Des pauvres hères, des rempailleurs

De Loi, des fous, des orpailleurs

Du ciel, des crieurs dans les sables,

Des justes et des dresseurs de tables

Qui servent au désert d’autels,

Garnis de sauterelles au miel.

Va ma jument, va mon ânesse,

Allez montures, trottez en liesse !

Je suis enclose dans ma foi,

Et l’homme et moi nous faisons trois.

Je suis du Christ la sainte amante,

De l’humain passant l’innocente

Aux mains pleines d’amour, qui vient

Joyeusement boire son vin,

Livrer tout son pain en partage,

Ouvrir toute son âme sage

Et d’une seule flamme, monter

En chœur où Dieu se fait toucher.

.

Je suis la carmélite errante,

La reine aux nu-pieds de mendiante,

La rose au jardin sans pourquoi,

La combattante de la foi.

Je suis la route qui se déroule,

Le jus de la vigne qu’on foule.

Armée de psaumes je pourfends

La mort, le mal, les méchants.

À chaque instant je me fais belle,

Je sais que je suis éternelle

Face au Seigneur, mon seul miroir.

Je prie du matin jusqu’au soir.

Forte de joie, douce et vaillante,

Toute silence, souriante,

J’abats chaque jour des dragons

Et je me passe d’étalons.

Que dites-vous de la nouvelle ?

Une femme libre vous appelle.

Elle te parle corps à corps,

Elle t’éveille quand tu dors

Devant la crèche abandonnée,

Quand gémit l’âme arraisonnée,

Quand sonne l’heure de la fin,

Quand tu halètes après demain.

.

Je suis la carmélite errante,

Mes lèvres chantent, accueillantes,

Ma bouche est rouge de baisers

Donnés, reçus du Bien-Aimé.

L’aurore vient à la chapelle

Où je vais, impatiente, telle

La tente ouverte en mes poumons

Où me presse l’Esprit, pardon

Qui souffle sur la terre, langue

Qui croise dans la mer, où tangue,

Frères, le mystique vaisseau

De notre destinée. Assauts

D’amour ! Je demande justice,

Me saisis à mains nues du vice

Et le consume entièrement

Au feu de mon regard ardent.

Je suis en route, traversée

De nuit sur la longue travée

Du sang de notre amour. Je suis

Pour vous servir l’eau et le puits,

Et la poulie qui joue, l’enfance

Retrouvée dans la pure errance

Obéissante, ô tendre paix

Du cœur, Réel révélé vrai.

Un

En peignant, je me rappelle quand j’ai peint le mur du fond de la grange, en blanc, et les encadrements des portes et des fenêtres, en rouge. Avec mon frère et d’autres personnes, nous avons transformé cette étable d’estive en maison. Je ne l’ai plus mais d’autres très chers l’ont, et c’est toujours le paradis. Je me rappelle aussi quand nous vivions en colocation avec un peintre, O et moi, combien j’aimais aller dans son atelier, un autre paradis. Mon atelier ici à Paris est un tout petit espace, une table sur tréteaux dans la pièce commune qui nous sert de salon, de bureau et de chambre. Au fond de la table, contre le mur, sont alignés mes Bible, mes Coran, mes dictionnaires d’hébreu et d’arabe (pour le grec, j’utilise les dictionnaires numérisés), le Mathnawî de Rûmi, Voyage. Puis le pot à stylos, crayons et marque-pages, le pot à pinceaux, et la panière à peintures et autres couleurs. Quand je veux peindre, je pousse mon petit ordi et je mets le chevalet de table à la place. Je peins debout pendant des heures, oubliant de boire et de manger tant que ce n’est pas fini. J’aime beaucoup le côté chantier, comme quand j’allais sur les chantiers avec mon père, plâtrier, dans mon enfance. Quand je vois ce qui peut paraître à d’autres des scènes de démolition ou même de ruines, j’en suis bienheureuse car pour moi ce sont des scènes de construction. Les Pèlerins d’Amour sauront comment être Pèlerins d’Amour en voyant dans quel esprit je vis, j’ai vécu. Il ne suffit pas par exemple de dire que nous sommes indépendants des institutions, il faut le prouver. Les œuvres de bienfaisance sont des pansements sur les plaies du système, elles ont leur utilité mais ce qui sauve c’est le pouvoir de voir derrière la façade du système ses ruines, et dans ses ruines un chantier. Ma parole n’est pas un prétexte ni un paravent ni un instrument, elle est au fondement, à la racine, elle est la racine et l’accomplissement, le chantier et la maison construite, elle est l’alpha et l’oméga. C’est ainsi seulement, par la manifestation d’une parole et d’une vie indissolublement épousées, unies, que vient aux hommes la lumière, la libération.

Voyage a traversé l’Atlantique

Montreal _ Student Rack Card

 

Des nouvelles du voyage de Voyage. Le livre est désormais en rayon à la bibliothèque Plateau Mont-Royal de Montréal (dans le quartier où j’habitais).

Et toujours, par ordre d’apparition, à la bibliothèque Mohammed Arkoun (Paris 5e), à la réserve centrale des bibliothèques de Paris, à celle de Lyon Part-Dieu, à celle des Pays de Lourdes. Ainsi que dans diverses bibliothèques d’institutions privées, en France ou ailleurs.

Voyage en bibliothèques

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Voyage sera très bientôt « mis en bonne place sur les rayonnages de la Médiathèque de la Communauté de Communes du Pays de Lourdes ». Ah çà,  je suis vraiment contente. J’y ai passé du temps, dans cette médiathèque ! J’y ai emprunté ou consulté des ouvrages sur Bernadette et sur Lourdes, spécialement l’énorme travail de René Laurentin, que j’eus plus tard le bonheur de rencontrer. Et quand j’étais toute seule, là haut dans ma montagne, à près d’une heure de Lourdes, il m’est arrivé aussi de rapporter des livres de la bibliothèque à la grange la nuit l’hiver, dans la luge avec les courses, la tirant et avançant dans la forêt à la lumière de la neige et des étoiles. Alors je suis vraiment heureuse que d’autres puissent lire maintenant ce Voyage, là-haut, là où ils vivent.

La bibliothèque de Fels (Institut Catholique, 21 rue d’Assas à Paris) m’informe aussi que Voyage enrichit son fonds, mais comme il n’apparaît pas dans leur catalogue j’ignore s’il y est disponible. En tout cas il est toujours à Paris, à la bibliothèque Mohammed Arkoun, rue Mouffetard, et à la Réserve centrale des bibliothèques de la Ville de Paris (et donc à disposition de toutes les bibliothèques du réseau, sur demande), ainsi qu’à la bibliothèque centrale de Lyon Part-Dieu. Et peut-être dans d’autres bibliothèques prochainement, je le dirai.