Chant de la carmélite errante

Comme j’ai rêvé la nuit dernière d’un château et de mes soeurs du Carmel (voir note précédente), voici le Chant de la carmélite errante, que j’écrivis chez elles et qui est le premier des Chants de Voyage, Manifeste du nouveau monde.

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Je suis la carmélite errante,

Mon canasson c’est Rossinante,

Dieu mon aimé, mon seul bonheur,

Monte l’ânesse de mon cœur.

Qu’importe la maison, ma fête

C’est la parole des prophètes,

Des pauvres hères, des rempailleurs

De Loi, des fous, des orpailleurs

Du ciel, des crieurs dans les sables,

Des justes et des dresseurs de tables

Qui servent au désert d’autels,

Garnis de sauterelles au miel.

Va ma jument, va mon ânesse,

Allez montures, trottez en liesse !

Je suis enclose dans ma foi,

Et l’homme et moi nous faisons trois.

Je suis du Christ la sainte amante,

De l’humain passant l’innocente

Aux mains pleines d’amour, qui vient

Joyeusement boire son vin,

Livrer tout son pain en partage,

Ouvrir toute son âme sage

Et d’une seule flamme, monter

En chœur où Dieu se fait toucher.

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Je suis la carmélite errante,

La reine aux nu-pieds de mendiante,

La rose au jardin sans pourquoi,

La combattante de la foi.

Je suis la route qui se déroule,

Le jus de la vigne qu’on foule.

Armée de psaumes je pourfends

La mort, le mal, les méchants.

À chaque instant je me fais belle,

Je sais que je suis éternelle

Face au Seigneur, mon seul miroir.

Je prie du matin jusqu’au soir.

Forte de joie, douce et vaillante,

Toute silence, souriante,

J’abats chaque jour des dragons

Et je me passe d’étalons.

Que dites-vous de la nouvelle ?

Une femme libre vous appelle.

Elle te parle corps à corps,

Elle t’éveille quand tu dors

Devant la crèche abandonnée,

Quand gémit l’âme arraisonnée,

Quand sonne l’heure de la fin,

Quand tu halètes après demain.

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Je suis la carmélite errante,

Mes lèvres chantent, accueillantes,

Ma bouche est rouge de baisers

Donnés, reçus du Bien-Aimé.

L’aurore vient à la chapelle

Où je vais, impatiente, telle

La tente ouverte en mes poumons

Où me presse l’Esprit, pardon

Qui souffle sur la terre, langue

Qui croise dans la mer, où tangue,

Frères, le mystique vaisseau

De notre destinée. Assauts

D’amour ! Je demande justice,

Me saisis à mains nues du vice

Et le consume entièrement

Au feu de mon regard ardent.

Je suis en route, traversée

De nuit sur la longue travée

Du sang de notre amour. Je suis

Pour vous servir l’eau et le puits,

Et la poulie qui joue, l’enfance

Retrouvée dans la pure errance

Obéissante, ô tendre paix

Du cœur, Réel révélé vrai.

alinareyes