À la Pitié-Salpêtrière

le crane du conducteur,

Le crâne du conducteur, acrylique et fil électrique sur bois

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L’horloge de la chapelle indiquait 10h33, j’avais trois minutes de retard. Il faisait gris et froid, c’était bon de marcher vite, d’avoir remonté tout le boulevard d’un bon pas, faisant courir et chauffer le sang. O et moi avons traversé le jardin de la hauteur, désert par ce temps. De l’autre côté, nous sommes entrés directement dans le sous-sol du pavillon où j’avais rendez-vous. En fait nous avons dû patienter une bonne heure, au moins, assis dans la salle d’attente parmi des femmes, et dans les allées et venues du personnel hospitalier et de temps en temps des brancards, poussés avec leur chargement humain dans une salle ou une autre par les grandes portes. Dès le début, comme il passait au bureau où je m’enregistrais, j’avais repéré à son badge le chirurgien avec qui j’avais rendez-vous. Je le voyais encore de temps en temps sortir de son cabinet, ou y rentrer, mais pour s’occuper de quelqu’un d’autre puisque je n’étais pas encore appelée. « C’est Kafka à l’hôpital », ai-je dit en riant à O. Et nous avons parlé de sa parabole sur la Loi, avec l’homme qui attend toute sa vie devant la porte, et aussi d’un texte de Jacques Lacarrière où il raconte que Yunus Emré, s’étant sur son chemin arrêté chez un maître soufi, y fut laissé à la porte trois nuits durant, pour éprouver sa patience, avant d’être admis à passer quelque temps dans la confrérie, une sorte de monastère dans le désert.

Je regardais toutes ces femmes en attente, très paisibles, et toute l’agitation de l’hôpital, paisible aussi, et je trouvais toutes ces personnes très belles, j’aurais aimé faire des photographies. O m’a fait remarquer que les bruits de glissements des brancards et les bruits de pas sur le sol lisse rappelaient la façon dont Jacques Tati avait traité les sons dans Playtime ou dans Mon oncle. C’était un bon moment.

Finalement, le chirurgien m’a appelée, par la petite porte, celle des debouts. Je l’ai regardé scruter les mammographies, les anciennes et les dernières. Il m’a demandé ce que m’avait dit le médecin, sans doute voulait-il savoir s’il devait m’annoncer que la tumeur était cancéreuse, ou si c’était déjà fait. Il y a une semaine, le médecin m’avait dit seulement : « il y a une anomalie », et j’avais compris qu’il évitait de prononcer le mot cancer. Je l’avais donc prononcé moi-même et il avait acquiescé. Devant le chirurgien, j’ai recommencé, il a seulement eu à acquiescer lui aussi. Je n’ai pas peur et c’est tellement mieux quand tout est clair. La petite tumeur sera retirée de mon sein dans deux semaines, ensuite il y aura un mois de radiothérapie, et cela devrait aller. Il est possible qu’une autre intervention ou que d’autres soins s’avèrent nécessaires, nous verrons bien. C’est une chance de vivre dans un pays où tout le monde peut se faire soigner. N’oublions jamais toutes les chances que nous avons. Même la maladie peut être une chance, une chance d’expérience.

Je viens de commencer à écrire ma prochaine pièce de théâtre, sur la lancée de la petite pièce que j’ai écrite la semaine dernière. C’est beau d’avancer.

alinareyes