Garcia Lorca, « Romance de la noire peine »

Je continue à relire ce poète, l’un des grands poètes formateurs de ma jeunesse, et le lisant comme je le danserais, j’ai envie de le traduire. Voici le troisième poème du Romancero gitano que je traduis. Le premier, « Saint Michel« , je le fis en vers libres ; le deuxième, « Romance de la lune, lune« , en heptasyllabes assonancés aux vers pairs, comme en espagnol ; pour celui-ci, j’ai pris le parti des heptasyllabes encore, mais avec une seule assonance au lieu de deux aux vers pairs, car elle me semble suffisamment riche (avec le son an). Après ma traduction, une vidéo des éditions Allia, qui ont publié en 2003 une édition bilingue du recueil avec une traduction de Line Amselem (qui s’explique ici sur sa traduction), vidéo dans laquelle le texte est chanté en espagnol.

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À José Navarro Pardo

Les coups de bec des coqs creusent
l’aurore en la recherchant,
quand par la montagne obscure
Soledad Montoya descend.
Cuivre jaune, sa chair,
de cheval et d’ombre encens.
Enclumes enfumées ses seins
geignent des chants redondants.
Soledad, seule à cette heure,
qui donc cherches-tu, errant ?
Et en quoi cela t’importe,
dis, après qui je demande ?
C’est ma joie, c’est ma personne
que je recherche en cherchant.
Soledad de mes tristesses,
le cheval en s’emballant
à la fin trouve la mer
et la vague alors le prend.
Ne rappelle pas la mer,
la peine noire poussant
sur les terres d’oliviers,
sous leurs feuilles rumorant.
Soledad, quelle pitié,
cette peine qui te prend !
Tes larmes, jus de citron
aigre en bouche qui attend.
Peine si grande ! Je cours
comme une folle de la chambre
à la cuisine chez moi,
mes deux tresses au sol traînant.
Quelle peine ! Je deviens
de jais, chair et vêtement.
Ah mes chemises de fil,
mes cuisses coquelicantes !
Soledad, lave ton corps
à l’eau d’alouettes, tant
que, Soledad Montoya,
ton cœur trouve apaisement.

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En bas chante la rivière,
de ciel et de feuilles volant.
Et des fleurs de potiron
couronnent le nouveau temps.
Peine propre et toujours seule,
oh la peine des gitans !
Cette peine aux voies cachées
et aux si lointains levants !

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alinareyes