Léonard de Vinci, l’homme aux myriades de cerveaux

da-vinci-studies-of-embryosJ’ai commencé hier soir à relire les Carnets de Léonard de Vinci, lus au moins partiellement plusieurs fois au cours des dernières années. Auteur et penseur de premier plan, dont les paroles valent d’être méditées autant que les peintures et les machines. Mais il est intéressant aussi de se pencher sur la façon dont Léonard est reçu, vu, à travers le temps. En 1550, trente et un ans après la mort de Léonard, dans Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes, Giorgio Vasari vante la merveille de son génie, mais lui reproche sévèrement sa prétendue inconstance dans le travail, et va jusqu’à inventer un pieux repentir du peintre sur ce sujet au moment de mourir. Que l’inachèvement de plusieurs de ses œuvres fasse partie de son œuvre et de son génie -comme il arrive chez certains autres génies- n’est pas compris à l’époque, et sans doute reste aujourd’hui à éclairer.

 

Leonardo_da_Vinci_-_Virgin_and_Child_with_St_Anne_C2RMF_retouchedEn 1910, Freud dans Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci commet un énorme délire sur l’homosexualité, prétendument frigide et platonique, du peintre. Son essai, fondé sur une faute de traduction, en dit davantage sur Freud que sur Léonard, mais reste sauvé du plantage total par une observation pertinente sur la figuration de ses deux mères (la naturelle et l’adoptive) dans le tableau La Vierge, l’Enfant Jésus et sainte Anne. Aujourd’hui la vie homosexuelle du peintre, dans presque  tous les documentaires sur lui que j’ai pu visionner, fait encore manifestement l’objet des fantasmes de ceux qui en parlent comme s’ils avaient tenu la chandelle, lui prêtant des liaisons sexuelles multiples, y compris avec un enfant. En réalité, en l’absence de témoignages sur la question, on ne peut rien affirmer. Seulement supposer, d’après ce que son œuvre écrite et peinte laisse comprendre de lui, qu’il ne fut ni « platonique » ni débauché mais tout à la fois libre et raisonné, d’esprit donc de corps aussi.

Lire ce qui est dit de Léonard m’aide aussi à réfléchir sur mon propre travail, passé, présent et à venir, et à le guider. Après la note d’hier, voici quelques autres réflexions qui ont retenu mon attention :

Da_Vinci_Vitruve_Luc_Viatour« Coleridge appelle Shakespeare l’homme aux « myriades de cerveaux ». Si la discussion baconienne était ouverte, un parallèle serait possible avec la multiplicité des cerveaux de Léonard. » Et : « chez lui, la beauté d’expression nous obsède jusqu’à la torture ». E. MacCurdy, dans son Introduction aux Carnets de Léonard.

André Chastel, dans son édition du Traité de la peinture de Léonard de Vinci, note « l’impression ambiguë que laisse l’étrange Léonard ».  Et :

« Le passage de Léonard ne se marque pas seulement – comme celui d’un Rubens ou d’un Greco – par le fait que les peintres sont saisis de nouveaux problèmes ou d’une nouvelle face des problèmes de leur art. Il se signale aussi par des écarts, des prétentions, des fixations nouvelles, enfin tout ce qui laisse supposer que Léonard comptait par la tension, l’inquiétude, l’interrogation, la critique, bref l’irritation intellectuelle et nerveuse qu’il propageait, autant que par les exemples de son art. »

« Ce que l’on admire d’ordinaire et respecte instinctivement chez Léonard, ce qu’il offre en tout cas de peu commun, c’est l’indépendance du comportement. »

« Les deux notions [scientifique et irrationnelle] sont actives dans son esprit comme les deux faces également exigibles du merveilleux. »

« Léonard est un admirable écrivain, tour à tour nerveux et sinueux, direct et enveloppé, froid et enthousiaste. »

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Leonardo_da_Vinci_-_Portrait_of_a_MusicianIl fut aussi chanteur et musicien, et inventa des instruments, notamment une « viola organista » qui a été réalisée récemment d’après ses dessins et que l’on peut entendre prendre vie grâce au pianiste polonais Sławomir Zubrzycki. Pour en savoir plus, consulter cet article sur France Musique.

Dans ce Portrait de musicien, on peut lire sur la partition de l’homme peint par Léonard (il me plait de penser que ce pourrait être lui-même) : « Cant…Ang… » Le chant des anges, je présume. C’est en tout cas ce que fait entendre cet instrument, dans cet enregistrement que je ne me lasse pas d’écouter et réécouter :

Pour en entendre davantage et le voir de plus près :

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Et pour plus sur ce génie, suivre le mot clé Léonard de Vinci.

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