Autour de la sortie de prison de Michelle Martin (2)

« Combien de temps pouvons-nous tenir le coup, détendus et joyeux ? »

Cardinal Danneels, homélie pour les 75 ans de Caritas en Belgique

« Au XVIIe siècle, le poète néerlandais Jacob Revius écrivait déjà : « Ce ne sont pas les Juifs, Seigneur Jésus, qui t’ont crucifié… C’est moi, ô Seigneur, c’est moi qui t’ai fait cela. » »

« Seigneur Jésus, Agneau de Dieu,
conduit à l’abattoir,
muet devant celui qui le tond,
sans défense,
sans personne pour s’en apercevoir…
Apprends-nous que seuls les agneaux
sont suffisamment solides et forts
pour porter les péchés,
que le salut du monde
exige cette rançon :
la mort de l’Agneau innocent
et les souffrances de tous ceux qui le suivent… »

Cardinal Danneels, Si tu connaissais le don de Dieu

« Dieu s’est rendu si vulnérable : Il est et il veut être un « sans-défense », un nouveau-né livré entre nos mains pour tout : pour être vêtu, nourri, soigné. Dieu a voulu être dépendant de nous en tout et pour tout. Voilà tout autre chose qu’une émotion devant un berceau. Et Cet Enfant-Dieu incapable encore de dire un seul mot, ne l’entendez-vous pas crier haut et fort : « de grâce ayez pitié de moi ». (…)

Il y a beaucoup plus d’agneaux qui sont venus chercher refuge dans la crèche : une foule innombrable d’autres agneaux, invisibles à nos yeux mais si visibles aux yeux de Dieu : la grande famille des « sans-défense », des enfants au sens étymologique de ce terme – in-fans – celui qui ne sait pas encore ou ne sait plus parler. Leurs cris sont plus forts que le chant des anges. (…) »

Cardinal Danneels, homélie de Noël

*

Je ne me souviens plus où j’ai lu que les cris poussés par les enfants torturés étaient insoutenables, dans la vidéo du viol et de la torture (jusqu’à leur probable mise à mort) des deux petites filles de huit ans que Martin aurait livrées à une douzaine de personnes, dont des politiciens, pendant que Dutroux était en prison. Cette cassette existe-t-elle vraiment ? Rien ne le prouve. Le 5 février 2004, le député belge Mahieu, à qui un certain X en a parlé, prend rendez-vous avec le cardinal Danneels et lui raconte que X prétend détenir une vidéo avec laquelle il voudrait le faire chanter : selon Mahieu, aujourd’hui mort, le cardinal serait resté froid à l’évocation des sévices subis par les enfants et aurait seulement demandé, avec un peu d’insistance, si on le voyait sur cette cassette. Mahieu n’en savait rien, ne l’ayant pas visionnée. Puis il aurait dit à Mahieu de garder la plus grande discrétion sur cette visite (racontée en détail ici).

En admettant qu’Albert Mahieu ait rapporté correctement les réactions du cardinal, celles-ci ne prouvent pas qu’il s’agissait de sa part d’un aveu implicite, comme il en a déduit. Cela pouvait vouloir dire : je ne peux pas y être, je n’ai donc aucune raison de craindre un chantage. Un mois plus tard, le député se rendait à Rome pour rencontrer des responsables du Vatican, dont Josef Ratzinger, pour leur raconter l’histoire.

Que sait le cardinal Danneels ? Nous l’avons vu dans la note précédente, dans sa lettre au prêtres de 1996, il parle de l’existence des réseaux de pédophilie criminelle, de leur lien avec l’affaire Dutroux. Il y parle aussi de ramifications mondiales, et du trio Argent, Pouvoir et Sexe. Il l’a même dit à la télévision belge en 2000 : comme un train peut en cacher un autre, cette affaire cache de vastes réseaux, qui eux-mêmes cachent le train de la protection des criminels aux plus hauts niveaux. Il est bien regrettable qu’il ait depuis développé une tendance à l’amnésie, pour reprendre l’expression employée par les policiers qui l’ont interrogé pendant dix heures en juillet 2010 au sujet des affaires d’abus dans l’Église.

Je pense à ces mots qu’il prononça lors d’une autre homélie de Noël : « Il y a, en effet, la foule innombrable des enfants qui n’ont rien, si ce n’est la faim et la soif, la maladie, la violence et les abus. (…) Pire encore, il y a les enfants soldats : leurs jouets sont remplacés par un fusil. Leur jeu est de tuer. (…) Enfin, plus près de nous, je ne puis m’empêcher en cette nuit de penser à ces enfants qui sont dans des centres fermés. Ils ne sont pas loin. Ils sont parmi nous. (…) Car ils sont plus proches de nous tous, ces petits mendiants d’amour – beaucoup plus proches – que nous ne le pensons. »

Si près de nous qu’ils pourraient être nous, aussi bien les mendiants d’amour que ceux dont le jeu est de tuer ? Le jour où il se trouva entre l’évêque de Bruges et le jeune homme que ce dernier avait abusé pendant des années, Danneels (enregistré à son insu), après avoir demandé à la victime de ne rien dire et avoir insinué qu’elle aussi pourrait demander pardon, dit à l’évêque : « oui, je le vois, toi aussi tu souffres… » Attention à ne pas tout confondre. Attention à ne pas croire qu’il nous faut resacrifier l’agneau. C’est avec de tels raisonnements qu’on met à mort et enterre les victimes, une première et une deuxième fois. Je ne peux m’empêcher d’y penser aujourd’hui où tant d’inconscients affichent leurs bons sentiments envers Michelle Martin. Pendant ce temps, la meurtrière continue à protéger par son mutisme les réseaux qu’elle servait, et qui continuent à supplicier des enfants, dans le silence assourdissant de la presse. Quelques citoyens, sur internet, sont courageux (j’ai cité plusieurs sites ces derniers jours sur ma page facebook). N’abandonnons pas les enfants.

 

alinareyes