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Les pèlerins en blanc autour de la Kaaba en noir sont comme la couronne du soleil quand il est éclipsé. Le Coran tourne autour de la perte de mémoire, et le Coran rappelle. Les pèlerins en blanc sont comme les lettres du Kitab autour du retrait de l’être. Où vont les Gens de la Maison, Ahl al-Bayt ? Déferler par où les gens déferlèrent, et demander pardon. (v.199)
Ils ont oublié comment est la génisse (67-71), la génisse-pour-Dieu. Le mot baqara qui sert à désigner tout bétail bovin (bœufs et vaches mais aussi femmes, domestiques, gale, boulimie et faim violente – au sens spirituel l’apathie mentale, le parasitisme, la soumission aux pulsions) est ici souvent traduit par génisse en référence au contexte, qui demande un animal pour le sacrifice. Or le verbe baqara signifie : « ouvrir en fendant ; interroger ; être fatigué ». Et aussi : « tracer des petits ronds de la grandeur du sabot d’un bœuf ; être riche en biens, en troupeaux ; êtres riche en sciences, très savant. »
Cette génisse est l’antidote à l’oubli. Dieu par l’intermédiaire de Moïse demande à son peuple de lui sacrifier une génisse. Et voici que le peuple ne cesse d’interroger Moïse sur les caractéristiques de la génisse qui lui est demandée. On dirait qu’ils sont égarés, stupides ou sourds. C’est qu’ils ne veulent pas écouter. Ils veulent rester dans leur oubli de Dieu. Dieu à travers toute la sourate et tout le Coran, via son prophète, ses prophètes, combat contre l’oubli de l’Être où s’enferment les hommes. Ils ne savent pas comment est, comment doit être, cette génisse. Au fond ils le savent mais ils ne veulent pas se fatiguer à aller au fond, voir ce qu’il en est. Alors, comme pour gagner du temps, comme en espérant tourner en rond indéfiniment, ils posent une question après l’autre, question sur question. Dieu a demandé une génisse, alors au lieu d’obéir ils demandent des détails : s’ils ne peuvent pas oublier la nécessité du sacrifice, qui leur est rappelée, au moins ils s’oublieront dans les détails, ils noieront le sens du sacrifice dans les détails, les règles, le tout-pensé qui leur évitera d’aller chercher à penser par eux-mêmes, c’est-à-dire à chercher la vérité en Dieu.
Pourtant, qu’est-ce que l’homme quand il n’est pas un bœuf (ni une femme semblable à du bétail qu’on parque dans sa propriété (sociétés patriarcales) ou qu’on met en vente (sociétés libérales), ni un domestique des maîtres du monde, ni un parasite des vivants, ni un esclave de ses appétits) ? Qu’est-ce que l’homme face à Dieu ?
« Les mécréants ressemblent à du bétail » (v.171). La racine KFR, qui indique la mécréance, signifie d’abord : « couvrir quelque chose, cacher, oublier, renier ». Le Coran ne cesse de combattre la mécréance et selon un hâdîth, à la fin des temps al-Dajjâl, le diable, apparaîtra dans le monde (venant de contrées iraniennes ou afghanes selon la tradition), borgne et portant inscrites entre les deux yeux les lettres KFR, que seuls les croyants pourront voir. La mécréance consiste à dissimuler et oublier le Vrai, ce qui revient à déshumaniser l’homme, qui ne se laisse plus guider par la Lumière mais par ses ressassements, ses désirs brutaux, ses auto-aveuglements.
Oui, qu’est-ce que l’homme quand il n’est pas une bête humaine, et où va-t-il ? Nous y reviendrons.
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