Israël-Palestine. « Beaucoup de murs et peu de ponts », un reportage de Jacques Duffaut

 

Je donne ici de larges extraits d’un reportage de Jacques Duffaut publié dans le numéro de ce mois d’avril de la revue Messages, du Secours Catholique. L’article dans son entier décrit aussi le travail de plusieurs associations, de diverses origines et confessions, qui œuvrent pour soutenir la population et les efforts de paix.

 

« Je n’ai jamais parlé à un Arabe », dit Samuel, un adolescent de Kfar Shalem, quartier défavorisé de Tel-Aviv. Dans un centre de loisirs juif, Sadaka-Reut, association qui travaille au rapprochement des différentes communautés, a organisé une réunion de préparation à la rencontre de jeunes Juifs avec de jeunes Palestiniens d’Israël. Ils sont huit, âgés de 15 et 16 ans, autour d’Ori, animatrice du programme, qui vient de leur demander comment ils perçoivent les jeunes Palestiniens La voisine de Samuel déclare qu’il est difficile d’être ami avec eux à cause « de la guerre qui est en cours ». Un autre encore définit l’Arabe comme « un étranger dans mon pays ». L’espoir de paix entre l’État d’Israël et le peuple palestinien, qu’avait fait naître les accords d’Oslo en 1993, s’est dissipé. Le dialogue est rompu. Les Palestiniens se sentent méprisés. Lors des dernières élections législatives israéliennes, c’est tout juste si les candidats à la Knesset ont abordé la question de la paix. Physiquement mis à l’écart par un mur de béton et par une politique ouvertement discriminatoire, les musulmans et les chrétiens de Cisjordanie se résignent, impuissants, à voir leur territoire progressivement confisqué par les colons dont le nombre continue de croître.

À Hébron, pôle économique du sud de la Cisjordanie, la vieille ville est coupée en deux. 500 colons protégés par 2000 soldats sont installés dans les quartiers autour du tombeau des Patriarches. Pour leur sécurité, une centaine de ruelles et 1500 petits commerces ont été fermés, les portes d’entrée des maisons donnant sur les rues sécurisées ont été condamnées. (…) La visite commence. Un soldat, posté en surplomb de la première ruelle, met en joue les touristes avec son arme pour les intimider. Des caméras surveillent chaque recoin d’immeuble. Un fin grillage horizontal protège les commerçants des jets de pierres des colons qui vivent au-dessus d’eux. Le grillage est jonché d’objets divers mais ne peut pas grand-chose contre les sacs plastique remplis de déjections humaines qui éclatent en tombant. « L’agressivité des colons s’explique par la totale impunité dont ils bénéficient, explique Sandrine. Les enfants de colons d’Hébron, élevés dans l’idée que cette terre leur revient de droit divin, jettent des pierres et des insultes depuis les toits. (…)

L’implantation et la protection des colonies privent les Palestiniens des terres qu’ils cultivaient. Antoinette, 78 ans, (…) en parle avec acrimonie. « Ils nous ont volé toute notre terre, dit-elle, 80% de notre propriété. Nous vivions de nos champs d’oliviers, aujourd’hui nous achetons l’huile. Le mur accapare les terres et rejette les hommes. » Un long ruban de béton de 13 mètres de haut encercle sa maison. Depuis 2003, les fenêtres des chambres donnent sur ce mur gris. (…)

Débutée après la seconde Intifada (2000-2002), la construction du mur se poursuit. Pour le franchir, les Palestiniens doivent obtenir une autorisation. Un permis de travail, par exemple. Ceux qui en bénéficient se lèvent très tôt pour faire la queue aux check-points, attendre des heures, accepter une fouille au corps, répondre aux questions. Le mur sépare les troupeaux des pâturages, les familles, les voisins, les amis. Et aussi les couples. « C’est une technique pour diviser, rendre la vie impossible, faire partir », explique Hadil Nasser (…)

Les habitants de Jérusalem-Est, territoire palestinien occupé, se sentent menacés par la confiscation de leurs biens. Dans plusieurs quartiers et depuis plusieurs années, des projets d’extension des colonies servent de prétexte à la confiscation ou à la démolition des maisons des Palestiniens. Dans ce dernier cas, les propriétaires doivent démolir eux-mêmes leur maison ou payer une somme exorbitante l’intervention israélienne. (…)

La population arabe croît sur des territoires qui rétrécissent. (…) Tout jeune Palestinien de Cisjordanie est susceptible d’être arrêté par l’armée ou la police israélienne à tout moment, surtout s’il est étudiant et membre d’un parti politique. L’appartenance à un groupe politique palestinien est puni de deux à trois ans de prison. C’est le cas d’Ismaël, 22 ans, arrêté il y a un an et demi alors qu’il était en seconde année de droit. Interrogé pendant cinquante jours, il n’a pu recevoir aucun soutien de l’extérieur. Son père, journaliste au quotidien palestinien Al-Quds (Jérusalem en arabe), raconte qu’il a passé ces journées d’interrogatoire dans une cellule d’un mètre carré. En attendant son jugement, il n’a le droit ni d’écrire ni de recevoir du courrier, ni de poursuivre ses études.

À Jérusalem-Est, l’éducation des enfants est une des premières préoccupations des Palestiniens. Les écoles ont peu de moyens et les classes sont surchargées. Les manuels d’histoire, sous le contrôle du ministère israélien de l’éducation, font l’impasse sur le passé des Palestiniens. La plupart des élèves ignorent pourquoi ils ne peuvent pas vivre comme les Israéliens de leur âge. Ils sont nombreux à décrocher, souvent poussés par la nécessité de travailler tôt pour rapporter un peu d’argent au foyer. (…) Avant 1967 (année de l’annexion de Jérusalem par Israël), il y avait 165 écoles à Jérusalem. Depuis lors, la population a triplé et la municipalité dirigée par les Israéliens n’autorise plus l’ouverture de nouvelles écoles palestiniennes. Celles qui existaient sont devenues surpeuplées, l’éducation s’est dégradée et le décrochage scolaire s’est amplifié. (…)

La désespérance trouve également refuge dans les drogues. (…) La toxicomanie est souvent contractée en détention. Comme l’indique Abdallah, Palestinien de 32 ans en désintoxication, marié, trois enfants, « il y a plus de drogue en prison que dehors ». De là à conclure que la drogue est un autre moyen d’affaiblir la jeune génération palestinienne, il n’y a qu’un pas que de nombreux observateurs franchissent. (…)

Le mur est aussi un obstacle infranchissable en cas d’urgence. Il faut une autorisation. Du côté israélien, les patients juifs ont la priorité. Nombreux sont les drames provoqués par les check-points. À Jérusalem, le principal hôpital catholique de la ville est l’hôpital Saint-Joseph. Créé en 1956…, il répondait aux besoins des 10 000 chrétiens d’alors. Aujourd’hui, ceux-ci ne sont plus que 1500. (…)

Les moyens de sécurité à Jérusalem impressionnent. Les ruelles de la vieille ville sont hérissées de caméras, des patrouilles quadrillent tous les quartiers, les colons sont autorisés à porter une arme automatique pour se défendre. Ces moyens rendent permanent l’état de guerre dans les esprits. Des associations interconfessionnelles refusent cette situation. (…) Daniela Yoel…, Israélienne née en Palestine avant la création de l’État d’Israël, condamne les violations des droits de l’homme dans un pays où les journaux s’indignent qu’un juge israélien ait giflé son fils, tandis que la presse passe sous silence l’adolescent palestinien de 14 ans attaché par la police israélienne, les mains dans le dos, toute une nuit à un arbre. Cette femme très religieuse dit aussi : « Chacun a été créé à l’image de Dieu et tous ont les mêmes droits ».

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