Continuons notre lecture du dernier cours du philosophe, prononcé au Collège de France entre février et mars 1984, quelques mois avant sa mort, et publié par Gallimard/Seuil dans la collection Hautes Études.
Après avoir évoqué le prophète et le sage, Foucault compare maintenant le dire-vrai de celui qui transmet un savoir, un savoir-faire, une tekhnê, avec le dire-vrai du parrèsiaste.
« Celui qui enseigne, noue, ou en tout cas espère, ou désire parfois nouer entre lui-même et celui ou ceux qui l’écoutent un lien, lien qui peut être aussi celui de la reconnaissance personnelle ou de l’amitié. En tout cas, dans ce dire-vrai, une filiation s’établit dans l’ordre du savoir. Or on a vu que le parrèsiaste, au contraire, prend un risque. Il risque la relation qu’il a avec celui auquel il s’adresse. Et en disant la vérité, loin d’établir ce lien positif de savoir commun, d’héritage, de filiation, de reconnaissance, d’amitié, il peut au contraire provoquer sa colère, susciter l’hostilité de la part de la cité, amener la vengeance et la punition de la part du roi, si c’est un mauvais souverain et s’il est tyrannique. Et dans ce risque, il peut y aller jusque de sa vie, il peut payer de son existence la vérité qu’il a dite. (…) Le dire-vrai du parrèsiaste prend les risques de l’hostilité, de la guerre, de la haine et de la mort. Et s’il est vrai que la vérité du parrèsiaste – quand elle est reçue, quand l’autre, en face de lui, accepte le pacte et joue le jeu de la parrèsia – peut à ce moment-là unir et réconcilier, ce n’est qu’après avoir ouvert un moment essentiel, fondamental, structurellement nécessaire : la possibilité de la haine et du déchirement. » (pp 24-25)
Et Foucault récapitule : « Le destin a une modalité de vérédiction que l’on trouve dans la prophétie. L’être a une modalité de vérédiction que l’on trouve chez le sage. La tekhnê a une modalité de vérédiction que l’on trouve chez le technicien, le professeur, l’enseignant, l’homme du savoir-faire. Et enfin l’êthos a sa vérédiction dans la parole du parrèsiaste et le jeu de la parrèsia. » (p. 25) Et précise : « Il arrive – et il arrivera très souvent, plus souvent encore que l’inverse – que ces modes de vérédiction soient combinés les uns avec les autres et qu’on les retrouve dans des formes de discours, dans des types institutionnels, dans des personnages sociaux qui mêlent les modes de véridiction les uns avec les autres. »
Par exemple, analyse Foucault, le parrèsiaste Socrate « compose des éléments qui sont de l’ordre de la prophétie, de la sagesse, de l’enseignement et de la parrêsia » (p. 26). Puis il évoque le Moyen Âge, avec ses prédicateurs, franciscains et dominicains, qui parlent en prophètes et en parrèsiastes aux hommes, des fins dernières et de leurs fautes et crimes présents – tandis que l’Université assure les deux autres modes de véridiction, sagesse et enseignement. Quant à l’époque moderne, Foucault évalue que les dire-vrai du prophète, du sage et du transmetteur de savoir sont respectivement présents dans le discours politique, le discours philosophique, le discours scientifique. Si ces trois discours peuvent aussi et d’une certaine façon, plus ou moins, jouer le rôle du discours parrèsiastique, qui peut s’y trouver greffé, il semble qu’en tant que tel, le parrèsiaste ait disparu.
Et l’êthos avec ?
à suivre