De la Pitié à la Mosquée (2) De profundis

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Emplacement de la mosquée où de l’aube à la nuit est prié le Dieu Tout Miséricordieux, Très Miséricordieux, où se trouva d’abord Notre-Dame de la Pitié.

Labyrinthe de la souffrance, labyrinthe de l’âme humaine, labyrinthe de l’hôpital.

Géographie et histoire de l’âme, du corps et de l’esprit. Ici le temps se croise avec l’espace. Énorme surface, organisation pavillonnaire en mosaïque des unités de soins.

Pauvreté, folie, maladie : progression des accueillis dans le temps.

Souffrants, soignants.

Que reste-t-il aujourd’hui des pauvres et des folles de la Salpêtrière ?

Au commencement, la Seine avala la Bièvre. Ou plutôt, car il y a toujours un autre début avant le début, tout commence dans l’eau. Maximilien Vessier le rappelle, Paris fut d’abord « un grand lac de cinq kilomètres de large », où « seules émergent les îles de Chaillot, de Montmartre, de Belleville, du Panthéon, et, plus près du groupe hospitalier, de la Butte-aux-Cailles. Elles sont couvertes d’une végétation tropicale ». Dans les eaux, nous dit-il, des Mosasaures, dans les airs, des Ptérodactyles. Toutes sortes de bêtes que l’on peut aujourd’hui aller contempler en face de la mosquée, en face de l’hôpital, au Museum d’Histoire Naturelle.

Puis les eaux se retirent et ce qu’il en reste, la Seine, passe à partir de l’est, bien plus au nord qu’elle ne le fait aujourd’hui, avant de terminer sa grande boucle à l’ouest de la ville actuelle. Quant aux eaux qui baignent l’île de la Cité, ce sont celles d’une autre rivière, aujourd’hui rendue complètement souterraine : la Bièvre, venue par le sud. Au lieu, tout proche de l’actuel hôpital, où les deux rivières se rencontrent, la plus grande finira par s’engouffrer dans le lit de la plus petite et le faire sien – laissant en même temps mourir son ancien bras.

Dans Histoire du Corps (ouvrage dirigé par Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine et Georges Vigarello), est racontée la fascination qu’exerça au dix-neuvième siècle le fait que les têtes, une fois tranchées de leur corps par la guillotine, semblaient produire des expressions. « Que l’individu puisse penser que sa propre mort a survenu paraît inimaginable », mais c’est pourtant ce que l’on se met à fantasmer. « Monte la croyance en un temps intermédiaire entre la vie et le néant », et l’on se livre à des expériences d’électrisation des têtes de meurtriers décapités. « De 1850 à 1900, alors  que s’autonomise la physiologie et que triomphe la médecine expérimentale, les savants, plus fascinés que jamais, multiplient les tentatives et s’efforcent d’obtenir des cadavres les plus frais possible… qu’il s’agisse d’une simple autopsie, d’une tentative de galvanisation, de la mesure de la persistance de l’excitabilité et de la contractibilité ou de l’observation de la digestion », des expressions qui traduiraient un retour de la conscience. Des médecins vont alors jusqu’à injecter leur propre sang dans un bras ou dans une tête pour tenter de lui rendre vie.

à suivre

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