Comme j’ai rêvé la nuit dernière d’un château et de mes soeurs du Carmel (voir note précédente), voici le Chant de la carmélite errante, que j’écrivis chez elles et qui est le premier des Chants de Voyage, Manifeste du nouveau monde.
*
Je suis la carmélite errante,
Mon canasson c’est Rossinante,
Dieu mon aimé, mon seul bonheur,
Monte l’ânesse de mon cœur.
Qu’importe la maison, ma fête
C’est la parole des prophètes,
Des pauvres hères, des rempailleurs
De Loi, des fous, des orpailleurs
Du ciel, des crieurs dans les sables,
Des justes et des dresseurs de tables
Qui servent au désert d’autels,
Garnis de sauterelles au miel.
Va ma jument, va mon ânesse,
Allez montures, trottez en liesse !
Je suis enclose dans ma foi,
Et l’homme et moi nous faisons trois.
Je suis du Christ la sainte amante,
De l’humain passant l’innocente
Aux mains pleines d’amour, qui vient
Joyeusement boire son vin,
Livrer tout son pain en partage,
Ouvrir toute son âme sage
Et d’une seule flamme, monter
En chœur où Dieu se fait toucher.
.
Je suis la carmélite errante,
La reine aux nu-pieds de mendiante,
La rose au jardin sans pourquoi,
La combattante de la foi.
Je suis la route qui se déroule,
Le jus de la vigne qu’on foule.
Armée de psaumes je pourfends
La mort, le mal, les méchants.
À chaque instant je me fais belle,
Je sais que je suis éternelle
Face au Seigneur, mon seul miroir.
Je prie du matin jusqu’au soir.
Forte de joie, douce et vaillante,
Toute silence, souriante,
J’abats chaque jour des dragons
Et je me passe d’étalons.
Que dites-vous de la nouvelle ?
Une femme libre vous appelle.
Elle te parle corps à corps,
Elle t’éveille quand tu dors
Devant la crèche abandonnée,
Quand gémit l’âme arraisonnée,
Quand sonne l’heure de la fin,
Quand tu halètes après demain.
.
Je suis la carmélite errante,
Mes lèvres chantent, accueillantes,
Ma bouche est rouge de baisers
Donnés, reçus du Bien-Aimé.
L’aurore vient à la chapelle
Où je vais, impatiente, telle
La tente ouverte en mes poumons
Où me presse l’Esprit, pardon
Qui souffle sur la terre, langue
Qui croise dans la mer, où tangue,
Frères, le mystique vaisseau
De notre destinée. Assauts
D’amour ! Je demande justice,
Me saisis à mains nues du vice
Et le consume entièrement
Au feu de mon regard ardent.
Je suis en route, traversée
De nuit sur la longue travée
Du sang de notre amour. Je suis
Pour vous servir l’eau et le puits,
Et la poulie qui joue, l’enfance
Retrouvée dans la pure errance
Obéissante, ô tendre paix
Du cœur, Réel révélé vrai.