photo Alina Reyes (mes 21 autres photos du rassemblement : voir note précédente)
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Le rassemblement auquel étaient conviés « les musulmans et leurs amis » cet après-midi devant la Grande Mosquée de Paris est, avec d’autres rassemblements du même ordre en France, un acte fondateur. Les musulmans sont comme les autres citoyens, pas plus obligés que les autres de protester contre ceci ou cela. L’arrogance de ceux qui veulent les voir s’exprimer contre l’EI est détestable. Mais les musulmans peuvent aussi avoir, comme tout le monde, une sensibilité politique qui les pousse à s’exprimer contre des iniquités emblématiques – la colonisation de la Palestine, les crimes de l’EI, les discriminations, la corruption etc, ou une sensibilité religieuse qui les pousse à défendre leur foi contre ceux qui comme l’EI la dénaturent et l’insultent.
J’ai fait partie, en 1998, d’un groupe d’étrangers – journalistes et artistes – invités en Algérie par le gouvernement, qui souhaitait réhabiliter son pays aux yeux du monde. Mais c’était encore le temps de la Décennie noire, de la guerre civile entre l’armée et les islamistes, et je me rappelle l’effroi et l’épouvante des gens. Du balcon de l’hôtel à Alger, je regardais vers les montagnes de Kabylie, où la terreur régnait. À Alger même les autorités ne nous laissaient pas sortir seuls, nous étions constamment encadrés par l’armée, et ce fut le cas aussi à Tamanrasset et dans le désert, bien qu’il fût moins risqué. Les Algériens ne réagissent pas comme les Français à l’exécution d’Hervé Gourdel, car ils ont vécu cela dans leur chair. J’ai communié à leur malheur sur place, et je ne l’ai pas oublié.
Ce n’est pas parce qu’on est musulman qu’on ne peut pas critiquer les islamistes. Les musulmans des pays musulmans ne se gênent pas de le faire, du moins bien sûr ceux qui sont contre l’islamisme terroriste. Les musulmans des pays non musulmans ont moins de liberté de parole parce qu’ils se sentent pris en otage entre la fidélité à la communauté musulmane et leur pays, la France (ou autre pays non musulman). Il est temps de s’assumer comme entièrement Français et de cesser de se préoccuper du regard des autres. Dire ce qu’on a à dire et faire ce qu’on a à faire, c’est tout.
Il faut arriver à sortir de l’état de dépendance du regard des autres, qu’ils imposent avec leurs manœuvres. Et pour cela il faut arriver à être indépendant politiquement, mais complètement, c’est-à-dire y compris à l’égard de ceux qui se réclament de l’islam. Il faut arriver à ne pas être timide dans l’autocritique aussi. En tant que Français, nous ne nous gênons pas de critiquer la politique de notre pays. Mais la vraie liberté est de pouvoir tout critiquer quand il y a une situation critique.
Le tout est de prendre les devants. Personne ne demande aux juifs de dénoncer Israël, mais des voix juives importantes, de grands intellectuels, des journalistes, des artistes juifs d’Israël ou d’ailleurs, le font depuis longtemps. Nous avons, musulmans, la même légitimité que n’importe quel autre citoyen pour exprimer nos choix politiques. Nous le faisons pour la Palestine notamment, nous devons pouvoir aussi le faire pour l’EI, un problème tout aussi emblématique, sans avoir à nous sentir forcés de le faire.
Considérons ne serait-ce que l’histoire du vingtième siècle, et demandons-nous : qu’est-ce qui est responsable de la violence inouïe et plus dévastatrice qu’aucune autre, du monde chrétien ? En quatorze siècles d’existence, le monde musulman a-t-il fait tant de millions de morts ? Loin, très loin de là – alors que la Chrétienté a produit les crimes qu’on connaît, croisades, inquisitions, persécutions des non-chrétiens, évangélisations forcées… Une longue suite d’atrocités commises au nom du doux Jésus… La violence qu’un grand texte, comme le Coran, peut contenir, paraît finalement plutôt exorciser la violence du cœur de l’homme, même si elle peut aussi être récupérée pour justifier la violence. En tout cas une non-violence fondatrice comme celle du Christ ne garantit absolument pas contre le crime.
Les islamophobes comme les islamistes trouvent dans leur lecture littérale du Coran la justification à leur rejet de l’autre. Le Coran est incompris. Nous ne devons pas fermer les yeux sur ce fait qui nous est préjudiciable, mais au contraire promouvoir les lectures intelligentes du Coran. En particulier il nous faut affronter ses appels à la violence et comprendre ce qu’ils signifient et pourquoi ils sont là. C’est très faisable, et nous ne devons pas être paresseux, nous devons le faire. L’ijtihad, l’effort de compréhension, est notre salut.