*
Derniers extraits de la série, remonter dans la page pour les lire dans l’ordre du livre ou selon pays ou thématiques.
*
Après un chapitre sur le tsunami de 2004 au Sri-Lanka, où l’on voit la même logique de choc économique faire des ravages comparables à ceux que nous avons vus dans le reste du monde (notamment en chassant de la côte les pêcheurs pauvres, sans compensation, pour les remplacer par des installations pour touristes riches), Naomi Klein intitule le dernier chapitre de son livre : Quand la paix ne sert plus à rien – Israël : le signal d’alarme.
« L’économie connaissait une sorte d’ « âge d’or de la croissance généralisée ». En d’autres termes, le monde courait à sa perte, la stabilité était un vain rêve, et l’économie mondiale applaudissait à tout rompre. (…) Aujourd’hui, l’instabilité mondiale ne profite pas qu’à un petit groupe de marchands d’armes ; elle procure au contraire des profits mirobolants au secteur de la sécurité de pointe, à la construction lourde, aux fournisseurs de services de santé qui traitent les soldats blessés, aux secteurs pétrolier et gazier – et évidemment, aux entrepreneurs de l’industrie de la défense. » (p.513)
« Pendant les années 1990, environ un million de juifs quittèrent l’ex-Union soviétique pour Israël. Les immigrants qui s’y établirent pendant cette période comptent aujourd’hui pour plus de 18 % de la population totale d’Israël. (…) À l’échelle de l’Europe, c’est comme si toute la Grèce transportait ses pénates en France. (…) Arrivés en Israël sans le sou après avoir vu leurs économies englouties par les dévaluations qu’avait entraînées la thérapie de choc, de nombreux habitants de l’ex-Union soviétique se laissaient facilement tenter par les territoires occupés, où les maisons et les appartements étaient beaucoup moins chers, sans parler des primes et des prêts spéciaux qu’on leur faisait miroiter. » (pp 521-523)
« Les nouveaux arrivants jouèrent un rôle décisif dans le boom. Parmi les centaines de milliers de Soviétiques qui débarquèrent en Israël dans les années 1990, il y avait plus de scientifiques bardés de diplômes que n’en avait formé le plus important institut du pays au cours de ses 80 années d’existence. On trouvait dans leurs rangs bon nombre de savants qui avaient aidé l’Union soviétique à se maintenir pendant la Guerre froide. Ils furent, ainsi que le déclara un économiste israélien, « le carburant qui propulsa l’industrie de la technologie. (…) L’ouverture des marchés promettait des bénéfices de part et d’autre du conflit, mais, à l’exception d’une élite corrompue entourant Arafat, les Palestiniens ne profitèrent absolument pas du boom de l’après-Oslo. Le principal obstacle fut le bouclage imposé en 1993. (…) La fermeture abrupte des frontières en 1993 eut des effets catastrophiques sur la vie économique palestinienne. (…) Les travailleurs ne pouvaient pas travailler, les commerçants ne pouvaient pas vendre leurs produits, les agriculteurs ne pouvaient pas se rendre dans leurs champs. (…) En 1996, affirme Sara Roy, qui a analysé en détail l’impact économique du bouclage, « 66 % des membres de la population active palestinienne étaient au chômage ou gravement sous-employés. » (p.524)
« La fourniture de produits liés à la « sécurité » – en Israël et à l’étranger – est directement responsable d’une bonne part de la phénoménale croissance économique que connaît Israël depuis quelques années. Il n’est pas exagéré d’affirmer que l’industrie de la guerre contre le terrorisme a sauvé l’économie vacillante d’Israël. [S’ensuit une longue liste, non exhaustive, des villes du monde, notamment américaines, faisant appel aux industries de technologies de surveillance et de sécurité israéliennes]. Comme de plus en plus de pays se transforment en forteresses (on érige des murs et des clôtures de haute technologie entre l’Inde et le Cachemire, l’Arabie Saoudite et l’Irak, l’Afghanistan et le Pakistan), les « barrières de sécurité » deviendront peut-être le plus vaste marché du désastre d’entre tous. C’est pourquoi Elbit et Margal ne se formalisent pas de la réprobation que suscite la barrière israélienne un peu partout dans le monde – en fait, ces sociétés y voient plutôt une forme de publicité gratuite. » (pp 528-531)
« Le boom de la sécurité s’est accompagné d’une vague de privatisations et de compression des dépenses sociales qui ont pratiquement anéanti l’héritage du sionisme travailliste et créé une épidémie d’inégalités comme les Israéliens n’en avaient jamais connue. En 2007, 24,4 % des Israéliens se trouvaient sous le seuil de la pauvreté, et 35,5 % des enfants vivaient dans la pauvreté – contre 8 % vingt ans plus tôt. » (p.532)
« La recette de la guerre mondiale à perpétuité est d’ailleurs celle que l’administration Bush avait proposée au complexe du capitalisme du désastre naissant, au lendemain du 11 septembre. Cette guerre, aucun pays ne peut la gagner, mais là n’est pas la question. Il s’agit plutôt de créer la « sécurité » dans des pays-forteresses soutenus par d’interminables conflits de faible intensité à l’extérieur de leurs murs. (…) C’est toutefois en Israël que le processus est le plus avancé : un pays tout entier s’est transformé en enclave fortifiée à accès contrôlé entourée de parias refoulés à l’extérieur, parqués dans des zones rouges permanentes. Voilà à quoi ressemble une société qui n’a plus d’intérêts économiques à souhaiter la paix et s’est investie toute entière dans une guerre sans fin et impossible à gagner dont elle tire d’importants avantages. D’un côté, Israël ; de l’autre, Gaza (…) des millions de personnes qui forment, a-t-on décidé, une humanité excédentaire. » (pp 534-535)
De la conclusion de cet ouvrage dont bien sûr je conseille la lecture complète, je retiendrai ceci :
Dans le monde, « les mouvements de renouveau populaires partent du principe qu’il est impossible de fuir les gâchis considérables que nous avons créés et que l’oblitération – de la culture, de l’histoire, de la mémoire – a fait son temps. Ces mouvements cherchent à repartir, non pas de zéro, mais plutôt du chaos, des décombres qui nous entourent. Tandis que la croisade corporatiste poursuit son déclin violent et augmente sans cesse les chocs d’un cran pour vaincre les résistances de plus en plus vives qu’elle rencontre sur sa route, ces projets indiquent une voie d’avenir possible au milieu des fondamentalismes. »
Toute notre lecture du livre depuis le début est ici.
Le vieux monde poursuit sa course à la mort, le nouveau monde est en route. Que ceux qui aiment la vie, pour eux et pour leurs enfants, s’engagent dans la bonne voie.