Beaumarchais, « Le Mariage de Figaro » et l’homme de Cour

Le Comte : Avec du caractère et de l’esprit, tu pourrais un jour t’avancer dans les bureaux.

Figaro : De l’esprit pour s’avancer ? Monseigneur se rit du mien. Médiocre et rampant, et l’on arrive à tout.

Le Comte : …Il ne faudrait qu’étudier un peu sous moi la politique.

Figaro : Je la sais.

Le Comte : Comme l’anglais, le fond de la langue !

Figaro : Oui, s’il y avait ici de quoi se vanter. Mais feindre d’ignorer ce qu’on sait, de savoir tout ce qu’on ignore ; d’entendre ce qu’on ne comprend pas, de ne point ouïr ce qu’on entend ; surtout de pouvoir au-delà de ses forces ; avoir souvent pour grand secret de cacher qu’il n’y en a point ; s’enfermer pour tailler des plumes, et paraître profond quand on n’est, comme on dit, que vide et creux ; jouer bien ou mal un personnage, répandre des espions et pensionner des traîtres ; amollir des cachets, intercepter des lettres, et tâcher d’ennoblir la pauvreté des moyens par l’importance des objets : voilà toute la politique, ou je meure !

Le Comte : Eh ! C’est l’intrigue que tu définis !

Figaro : La politique, l’intrigue, volontiers ; mais, comme je les crois un peu germaines, en fasse qui voudra !

Acte III scène V

À rapprocher de la préface de l’auteur à sa pièce, par exemple ce passage :

Il faudrait montrer qu’homme de Cour, en bon français, est moins l’énoncé d’un état que le résumé d’un caractère adroit, liant, mais réservé ; pressant la main de tout le monde en glissant chemin à travers ; menant finement son intrigue avec l’air de toujours servir ; ne se faisant point d’ennemis, mais donnant près d’un fossé, dans l’occasion, de l’épaule au meilleur ami, pour assurer sa chute et le remplacer sur la crête ; laissant à part tout préjugé qui pourrait ralentir sa marche ; souriant à ce qui lui déplaît, et critiquant ce qu’il approuve, selon les hommes qui l’écoutent ; dans les liaisons utiles de sa femme ou de sa maîtresse, ne voyant que ce qu’il doit voir, enfin…

Prenant tout, pour le faire court,

En véritable homme de Cour.

La Fontaine.

Cette acception n’est pas aussi défavorable que celle du courtisan par métier, et c’est l’homme dont parle Figaro.

Mais quand j’étendrais la définition de ce dernier ; quand parcourant tous les possibles je le montrerais avec son maintien équivoque, haut et bas à la fois ; rampant avec orgueil, ayant toutes les prétentions sans en justifier une ; se donnant l’air du protégement pour se faire chef de parti ; dénigrant tous les concurrents qui balanceraient son crédit ; faisant un métier lucratif de ce qui ne devrait qu’honorer ; vendant ses maîtresses à son maître ; lui faisant payer ses plaisirs, etc., etc., et quatre pages d’etc., il faudrait toujours revenir au distique de Figaro : Recevoir, prendre et demander, voilà le secret en trois mots.

Et pour revenir à la pièce, la remarque bien connue de Figaro dans son monologue (Acte V, scène III) :

Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie !… Noblesse, fortune, un rang, des places, tout cela rend si fier ! Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus. Du reste, homme assez ordinaire.

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À voir ici en vidéo une très bonne représentation de la pièce à la Comédie française

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alinareyes