Planétaire, et au-delà !

Je suis allée travailler à la bibliothèque du Jardin des Plantes, devant laquelle a été installé un planétaire (encore inachevé), l’un des rares au monde, où l’on peut suivre en y marchant le mouvement des planètes.planétaire,Sous les yeux de la mosquée toute proche
mosquée j’ai arrêté de travailler pour aller voir la compagnie universitaire Démodocos interpréter un hymne greccompagnie demodocos puis la compagnie Derviche Caravane interpréter une chorégraphie du factice Gurdjieffhymne gurdjieff et un simulacre de danse des derviches qui a achevé de me convaincre de fuircompagnie derviche caravane

Heureusement il y avait des enfants, et puis l’évocation du ciel et de ses astres errants m’a rappelé ma joie d’avoir constaté aujourd’hui, après de pénibles recherches dans mes paperasses, qu’en fait j’ai depuis plusieurs années déjà tous les trimestres cotisés nécessaires, soit 41 ans de travail, pour ouvrir les droits à la retraite (que je pourrai prendre à l’âge de 62 ans). Heureuse de constater que j’ai tant travaillé jusqu’ici dans ma vie ! J’ai commencé à l’âge de 13 ans et même avant, et si je n’ai pas de bulletins de salaire avant 17 ou 18 ans, et si j’en ai perdu certains, et même pas mal, j’en totalise assez, avec le temps qui m’est compté pour mes quatre enfants : comme si j’avais été régulièrement salariée pendant tout ce temps – alors que j’ai vécu seulement de jobs précaires et divers et de droits d’auteur, mais toujours gagnant ma vie.

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photos Alina Reyes

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Offre et appel, autour de la Maison des Écrivains et de la Littérature

melce matin dans le petit jardin de la Maison des Écrivains, où j’ai cueilli et mangé une fraise des bois dans l’herbe, sous l’arbre

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Lecteurs de ce journal, vous qui connaissez les axes de mon travail, si vous êtes vous-mêmes, ou si vous connaissez un professeur en lycée ou à l’université, ou encore une structure ou association qui pourrait souhaiter m’inviter à parler et dialoguer (sur mes livres ou bien sur les questions auxquelles je réfléchis, en rapport avec le corps, la spiritualité, le politique, et bien sûr la littérature et la poésie), accomplir un projet, animer un atelier d’écriture… faites-moi signe, nous pourrons étudier la possibilité de réaliser l’idée avec la collaboration aimable et éclairée de la Maison des Écrivains.

Je suis déjà intervenue à l’université de Boulder (Colorado), à celle d’Istanbul (dans le grand amphi), à l’Université de Tous les Savoirs… et aussi dans une prison, dans une association d’accueil des personnes sans abri, dans une association féministe (à Rome) dans des colloques divers, dans des Instituts français (à Stockholm, Prague, Madrid, Istanbul, Londres), dans des monastères, dans des théâtres, etc. etc. Après quelques années d’ermitage, je désire retourner au contact des gens, j’ai des choses à dire et à échanger.

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Hegel, « Phénoménologie de l’esprit »

observatoirel’Observatoire vu de la Société des Gens de Lettres, cet après-midi à Paris, photo Alina Reyes

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« Le bourgeon disparaît dans l’éclosion de la floraison, et l’on pourrait dire qu’il est réfuté par celle-ci, de la même façon que le fruit dénonce la floraison comme fausse existence [Dasein] de la plante, et vient s’installer, au titre de la vérité de celle-ci, à la place de la fleur. »

Hegel, Phénoménologie de l’esprit, traduction Jean-Pierre Lefebvre

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Sur le mur, sans l’armée

Après avoir photographié ces œuvres sur un mur, j’ai photographié deux soldats en treillis et armés jusqu’aux dents, avec mitraillette, qui se tenaient devant un bâtiment. Mais ils m’ont obligée à effacer ma photo. J’ai essayé de parlementer, en disant que je photographiais les policiers et que j’en avais le droit, mais ils m’ont affirmé que je n’avais pas le droit de photographier l’armée. Comme je n’en savais rien, j’ai accepté d’effacer, du moins j’ai fait comme si j’effaçais – je l’avais fait une autre fois quand des policiers avaient voulu me forcer à effacer des photos de la prison de la Santé, mais là ils ont été vigilants et j’ai dû vraiment effacer. Arrivée au bout de la rue je me suis retournée, ils continuaient à me garder à l’œil, haha. Peu importe, c’est juste pour dire que c’est bizarre tous ces derniers temps de voir des soldats en armes çà ou là dans Paris. Bon, voilà les œuvres :

artiste ouvrier jerome mesnager oiseau surfercet après-midi à Paris 13e, photos Alina Reyes

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Où en sommes-nous avec la révolution ?

banniere!!arrivée de la manifestation « contre la loi travail et son monde » du 19 mai 2016 place d’Italie, dans les fumigènes des manifestants et gaz lacrymogènes de la police, photo Alina Reyes

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Estragon. – Puis ce sera la nuit.

Vladimir. – Et nous pourrons partir.

En attendant la révolution, où en sommes-nous avec la révolution ? Kafka dans une lettre imagine un Abraham qui, au lieu de faire ce qu’il faut faire pour devenir un grand peuple, et tout en prétendant être sur le point de le faire, allonge à l’infini la distance entre ce point, ce moment, et un présent qui n’est qu’une éternelle répétition de tâches qu’il n’en finit jamais d’accomplir. Tout en mettant à ses affaires et aux « nouvelles dispositions à prendre » « l’empressement d’un garçon de café », il n’arrive à rien parce que ce faisant il ne part jamais, il n’est jamais maintenant prêt à « quitter sa maison ». Cet Abraham kafkaïen, typique de l’homme pris dans ses méandres administratives, n’est-il pas aussi bien celui qui au cœur du Procès attend toute sa vie en vain devant la porte de la Loi, devant laquelle il mourra sans l’avoir franchie ? Si les personnages de Beckett ne savent même plus pourquoi ni ce qu’ils attendent, c’est sans doute qu’eux aussi sont morts devant cette porte devenue invisible. Que l’oubli, l’aveuglement et la surdité les ont mangés.

Avec Nuit Debout, Vladimir et Estragon se sont réveillés. De nouveau ils ont entendu l’appel, ils ont aperçu le but, ils se sont décidés à outrepasser la loi qui régit un monde inique et absurde. Ils sont revenus sur les places des villes et ils ont recommencé à dialoguer, mais à plus nombreux et cette fois de façon orientée, avec un désir de lucidité. Ils ont voulu refaire eux-mêmes le décor et l’habitation. Ils se sont bricolé des campements. Ils ont réétabli des règlements. Ils ont marché sur et jeté des projectiles à tout ce qui représente la loi, « la loi travail et son monde ».

Comme les chiens derrière les portails des propriétés privées retroussent leurs babines quand passe le facteur, les tenants de la loi ont montré sous leur masque leur grimace, leur menace, leur férocité. L’élan d’Estragon, de Vladimir, de Camille et de leurs amis a été brutalement réprimé. Peu à peu ils se sont résolus à ne poursuivre leurs débats que dans le cadre et les horaires que leur concédaient les portiers de la loi. Avec de petites incursions de-çà de-là, qui les tenaient tout à leurs affaires, en définitive à leur maison. N’avaient-ils pas, ainsi que Robinson, transformé leur place, leur île, en une habitation finalement régie par une autre absurdité, comme le monde dont ils venaient, naufragés ? Et voici qu’au lieu de devenir un grand peuple, ils devenaient un peuple de plus en plus rétréci. Voici qu’ils avaient transformé la sauvagerie de la vie offerte, avec sa corne d’abondance, en ressassement d’un rêve générale qu’ils avaient eux-mêmes, par leur affairement, vidé de sa substance, de sa possibilité, de sa puissance. Voici qu’ils étaient en train de redevenir l’Estragon et le Vladimir somnambules.

La porte de la loi, un instant entrouverte sur la vision de la révolution, s’est-elle refermée ? Auquel cas il est temps de lui tourner le dos. Rien ne sert d’attendre Godot sur quelque place que ce soit – et encore moins sur celle de la République, qui est celle de la loi. Si la loi ne s’ouvre pas à toi c’est qu’elle n’est pas la loi mais sa falsification. Je ne suis pas en train de dire qu’il faut cesser de demander l’abolition de la loi travail. Ce n’est pas à moi, c’est aux salariés d’en juger. Je dis qu’en premier et dernier lieu, elle n’est pas la loi, tout comme ne sont pas nos représentants ceux qui la font. Qu’elle passe ou non, elle ne passera pas par ceux qui font vraiment la révolution, qui continueront à la faire malgré ses inévitables errements. Elle ne fera pas leur loi.

Quand tu aimes, il faut partir, disait Cendrars. Les clodos de Beckett ne sont pas foutus, ils ont juste à retrouver le chemin de leur jardin. De la vie. À la réinventer jour après jour, nuit après nuit, en détissant au matin ce qu’ils ont tissé trop étroit la nuit, chacun et ensemble, sans obéir à l’injonction tacite qui leur est faite de se soumettre pour passer la porte ou de poireauter derrière la porte. Ils ont juste à vivre, pleins de leur force et de leur jeunesse. À être eux-mêmes la révolution permanente, se propageant de proche en proche, de proche en lointain et de lointain en proche. Celle qu’on n’attend pas, celle qu’on vit, puisqu’on l’aime.

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