Neige

Aujourd’hui j’ai fait mes courses de Noël sous la neige à Paris. Un groupe de jeunes banlieusards m’a demandé son chemin pour un magasin de jouets. Nous étions tous ravis des flocons qui tombaient sur nos capuches, si minces et éphémères fussent-ils. J’ai marché légère, plume, flocon moi-même, étoile des neiges, la joie au cœur. Puis je suis rentrée, continuer à préparer mes cours. La vie toute simple, toute bonne, toute exquise, est là partout, du moment que nous sommes détachés. Libres.

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missticcet après-midi à Paris 5e, photo Alina Reyes

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Ma réponse aux catholiques

la-jeune-fille-et-la-vierge.bigVoici la réponse que je viens d’envoyer à un metteur en scène qui voulait adapter La jeune fille et la Vierge pour le théâtre à Avignon. Je préserve l’esprit de Bernadette, que l’Église a envoyée à la mort quand elle était en chair et en os, comme je prends soin aujourd’hui de mes élèves, qui ont son âge et celui de Rimbaud.

Monsieur,

J’ai parcouru votre projet.

J’ai quitté le catholicisme car FONDAMENTALEMENT il est négatif, destructeur, nihiliste. J’ai essayé de le changer, de lui apporter la vie. Il ne sait pas changer, il ne sait que mourir. Je le laisse donc mourir seul.

Votre adaptation se termine de façon sinistre quoique voilée, comme tout dans cette religion adoratrice d’un cadavre aux plaies apparentes et au sexe caché. Ce faisant, elle trahit l’esprit de mon livre, dont les derniers mots sont une ouverture sur, de nouveau, la lumière, la vie. Je pense que nous ne pouvons pas nous rencontrer. L’abîme est là, et je sais par expérience que vous resterez toujours ses prisonniers. Vous n’êtes pas la religion qui peut tirer les hommes de l’abîme, mais celle qui les y attire. Ceux qui en sortent n’y retournent pas, ils ne sont plus de ce monde mortel qui est le vôtre.

Je dois donc vous dire que je vous refuse le droit d’adapter mon livre La jeune fille et la Vierge, je vous refuse le droit de le jeter dans la Géhenne avec tout ce et tous ceux que vous récupérez abusivement, selon votre habitude séculaire.

Alina Reyes

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Et voici ces derniers mots de mon livre, que le metteur en scène en question voulait trahir en les occultant et en les remplaçant par d’autres :

« C’est ainsi, il faut que tout finisse, afin que rien ne meure. »

(N’est-ce pas la philosophie de Dom Juan, que je commence à enseigner avec tant de bonheur ?)

Puis il y a un saut de ligne, et ces phrases finales :

« Il arrive que, par un petit matin d’hiver, vous partiez, misérable, ramasser vos os et votre bois mort, et que vous rencontriez la vie.

De nouveau, là où vous ne l’attendiez pas, et dans une lumière que vous ne lui connaissiez pas encore. »

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Si vous voulez lire le livre, il est ICI. (J’ai fait la photo de la couverture un jour de neige à Lourdes)

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Que de bonheur, que du bonheur

le footballeurEncore une journée de cours de joie. Oh, il y a bien les petits drames, l’élève qui déchire sa copie parce qu’elle a eu 3 alors qu’elle trouvait sa dissertation très bien et qui ne comprend pas quand je lui dis que cette suite de mots et de fausses phrases qu’elle avait alignés n’ont aucun sens. Mais bon, c’est d’autant plus de bonheur, ensuite, d’avoir fait travailler dur et efficacement toute la classe deux heures durant. Je ne les lâcherai pas, je veux qu’ils arrivent à faire ce qu’ils n’arrivent pas à faire.

Et puis avec l’autre classe, le premier cours du matin qui finit sur quelques accords de Bach, et l’après-midi l’atelier de lecture et d’écriture de théâtre, absolument génial.

Sinon, à la cantine des profs à midi, je me suis amusée du petit froid que j’ai jeté, sans faire exprès. Quand je suis arrivée, l’une était en train de raconter qu’elle avait réprimandé ses élèves parce qu’ils s’étaient écrié « ça pue » en entrant en classe (il faut aérer entre deux cours, 36 personnes enfermées pendant deux heures ça réclame de l’aération, leur réflexion n’avait aucune mauvaise intention). Moi, ai-je dit, j’en ai un dans ma classe qui pète, ça fait beaucoup rire tous les autres. Silence gêné. On aurait dit que j’avais lancé quelque obscénité. Cela m’a autant amusé que si j’avais eu quinze ans et qu’ils auraient pété.

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Dom Juan, roi des globes et des dentelles

dom juanJ’ai acheté ce masque pour le porter dans un court-métrage que j’ai réalisé pour Canal + en 2001.  Et j’ai rapporté de Prague les figures du mage et du roi.

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Préparant fougueusement mon cours sur Dom Juan. Je suis si Dom Juan ! À la Molière, avec un m ! Le m de aime et de Dominus. Dans quel livre ai-je écrit, il y a longtemps, « je ne crois à rien, sauf à la nécessité de vivre ou de mourir » ? C’était peut-être dans mon long poème Autopsie. Je n’en changerais pas un mot. (Mon rapport à « Dieu », je l’ai toujours dit, ne relève absolument pas de la croyance). Je la changerais, je la change sans cesse (ma phrase). Sauf à la nécessité de vivre ou de mourir signifie : si tu ne vis pas, tu meurs, tu es mort. Mentalement, un tas de gens sont morts, même et peut-être particulièrement parmi les plus cultivés. Je ne crois pas non plus en ma phrase, puisqu’en fait je ne crois pas à cette nécessité, je la constate. Qui ne retourne sans cesse à la vie, est mort.e.

J’ai toujours pris le parti de Dom Juan, toujours senti que j’étais Dom Juan. Je le dis dans La Vérité nue. Mais pas n’importe quel Dom Juan. Dom Juan est une page blanche où butent ceux qui la regardent.  Les gens le voient à leur image, qui est presque toujours une image de mort. On l’associe au Requiem de Mozart. On le religiose, on le dolorise, on l’accuse, on lui fait rendre gorge. Haha ! Et on se retrouve les mains vides, sans avoir rien saisi, car ce n’est pas ça, Dom Juan. Le tour que Molière fait, ils ne le voient pas. Ils tombent dans le panneau. Comme Dom Juan à la fin de la pièce. Sauf qu’en fait, il n’y est jamais tombé.

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Poésie vécue

Lisant ici et là quelques-unes des dernières petites phrases de notre petite marionnette de la Phynance, je me suis exclamée :

Qu’il est con,

Ce Macron !

Que voulez-vous, on est poète ou on ne l’est pas. Ni lui ni ses conseillers ne le sont, qui régurgitent une langue de cochon, pleine de conservateurs, déchets et bas morceaux, exhausteurs de goût et autres saloperies. Les Académiciens, au lieu de se gratter la nouille sur l’écriture inclusive, feraient mieux de se soucier de cette nuisance, la langue des présidents depuis au moins Sarkozy, de plus en plus abêtie, nihiliste, mise en charpie, un crime contre l’humanité.

Hier soir dans le métro, assises en face de moi, deux vieilles bourges décolorées bavassaient logorrhéiquement en se montrant les photos de leurs petits-enfants et autres gendres sur leurs I-Phone. L’une qui manifestait une envie de déménager dit : « Tiens, je vais m’acheter quelque chose à Rambouillet ». L’autre lui fit remarquer que c’était très cher, Rambouillet. Oui, elle le savait, mais ça ne fait rien, elle avait envie de s’acheter un appartement à Rambouillet. L’autre se mit à lui conseiller d’acheter des appartements pour la défiscalisation, plutôt. Puis elles ont continué à parler des uns et des autres, untel alcoolo, tel autre escroc, ça avait l’air d’être leurs enfants ou en tout cas des proches, sans que ça émeuve plus que ça leur figure ravagée de fond de teint. Du fric partout, sur elles et dans leur conversation, de sales histoires, pour de bien misérables personnes : la France à Macron. Faut-il que l’ennui les plombe, pour que ces gens soient si tombe.

Pour moi, je travaille à rendre à la langue son sens et je me promène :

rue mouffetard 2

rue mouffetard 3

rue mouffetard 4

rue mouffetard 5

selfieaujourd’hui à Paris 5e, photos Alina Reyes

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De la pluie, des éclaircies, de l’or. Réflexion sur la discipline en classe

 peniche pluie

éclaircie

après la pluie

oraujourd’hui en allant au lycée, et en en sortant, photos Alina Reyes

Je suis heureuse de contempler le paysage depuis le RER, depuis le bus aussi, et à pied, ou bien même depuis les fenêtres du lycée, entre deux cours. Je suis heureuse de contempler. Je suis heureuse d’enseigner.

Au conseil de classe, les autres profs ont évoqué les bavardages de la classe, par ailleurs une très bonne classe. L’une a dit que le seul moyen de les faire cesser avait été d’instaurer la dictature dans son cours. Chacun fait comme il peut, ce n’est pas facile. Moi je me refuse à la dictature autant qu’à d’autres méthodes parfois pires quoique enveloppées de bonnes intentions, comme l’infantilisation, la culpabilisation et l’humiliation cachées. Je préfère de beaucoup m’accommoder  du bavardage. Un autre moyen, plus simple et plus honnête, est de ne pas faire durer les temps d’oral. Dès qu’on leur dicte quelque chose ou qu’on les fait écrire, le calme revient. C’est pascalien : le fait d’avoir à écrire, surtout sous la dictée, les divertit. L’angoisse du temps s’annule. Ils ne sont plus suspendus dans le vide comme lorsqu’on leur donne la parole, et qu’ils se sentent obligés de remplir tout l’espace avec de la parole et pour faire ample mesure, du bavardage (sauf si, sous la dictature, ils sont éteints). N’est-ce pas ce que font tous les humains ? Pourquoi n’en feraient-ils pas autant, surtout à leur âge où l’on est si plein de vitalité, où l’on a tant envie de bouger, de s’extérioriser ? Mais comme je ne veux pas non plus m’obliger à les faire écrire pour avoir le calme – si je les fais écrire, je veux qu’ils sentent que c’est pour tout autre chose -, je me tiendrai plus fermement désormais au système que j’avais mis en place en septembre et peu utilisé, tâtonnant dans la recherche d’une solution. Oui, c’est celle qui me paraît la meilleure : donner une note de conduite. La note est un contrat. Le contrat responsabilise. Tout est contrat, dans la nature pour commencer. Sans contrat, rien ne se tient, tout s’écroule. Apprendre à se tenir est aussi important qu’apprendre à parler, à l’écrit ou à l’oral. Cela va de pair. C’est apprendre à être humain, comme la littérature.  Oui, une note de conduite (sur le calme, l’honnêteté, le respect) indique que la façon de se conduire est une intelligence à acquérir comme celle de la langue ou des sciences. Il faudrait l’élever au niveau d’une discipline aussi importante que toutes celles qu’on apprend à l’école. Ce serait bon pour tout le monde, y compris et d’abord pour les élèves, qui ont besoin de boussole.

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Des livres et d’une arnaque

gumnoi

 

Au retour d’une journée pourrie au lycée, j’ai eu la consolation de trouver à la maison, arrivé par la poste, un exemplaire de mon livre Franz Kafka et Milena Jesenska, nus devant les fantômes (« Gumnoi prosta sta fantasmata), dans une nouvelle édition en grec, parue le 3 septembre avec le journal To Vima (L’étape), tiré à trois cent mille exemplaires. Les Grecs savent encore lire de la littérature, tout n’est pas perdu.

Au lycée, c’était une autre histoire. Chaque année les profs de français y font venir une petite troupe de théâtre de tréteaux, qui adapte donc façon farce un auteur que le lycée fait lire à toutes les Seconde. Cette année (comme l’année dernière), Maupassant. (Ce pourquoi je leur ai fait étudier La petite Roque, qu’ils avaient eu obligation de lire avant la rentrée). Des bouts de nouvelles de l’auteur grossièrement « adaptées » et représentées par des comédiens statiques, jouant aussi faux que possible. Sachant qu’il doit y avoir une dizaine de Secondes dans le lycée, à 35 élèves par classe, les gars rentabilisent joliment leur petit travail, à 8 euros la place (4 payés par le lycéen, 4 par le lycée). À un prix où on aurait pu emmener les lycéens voir une vraie pièce dans un vrai théâtre plutôt que quatre comédiens grossièrement déguisés débitant dans l’amphi, non sans fautes d’élocution, leurs bouts de Maupassant déformé. Si ce n’est pas du foutage de gueule, c’est que c’est quelque chose de pire. Le pénible est aussi d’entendre les élèves, retombés de force en enfance, rire comme au guignol de quelques cocasseries et exulter bruyamment lors de la mort du méchant. Penser qu’on s’est escrimé à leur montrer un mois durant les subtilités du texte pour finir par le leur faire avaler transformé en farce, jetant de la cochonnerie aux confitures qu’ils sont… C’est tout ce que méritent les jeunes de banlieue ? Qu’on leur pourrisse le goût et l’intelligence ? Sur le chemin du retour – deux heures de trajet, j’ai eu le temps de m’interroger- je me suis demandé si j’allais en parler, ou non. Il est lassant de devoir toujours dénoncer ce qu’il faut dénoncer, outre qu’on se fait ainsi mal voir de tout le monde, à commencer par ses collègues. Mais O m’a dit en rentrant : il faut le faire. Oui, il faut le faire, parce que ce n’est pas moi qui suis à préserver, ce sont les élèves.

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 vu du busvu du bus, à Paris, ce soir, photo Alina Reyes

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