comme dit Rimbaud. Quelque chose m’a frappée dans le film de Tarkovski Stalker, que j’ai visionné ce week-end parce que Michèle Lesbre l’évoque dans son roman Le canapé rouge, que j’étudie avec mes Première : ce qu’y dit du génie le personnage de l’écrivain. Si j’étais sûr d’en avoir, dit-il en substance, je pourrais arrêter d’écrire, je n’aurais plus à recommencer toujours à écrire. Oui, arriver au sommet d’où peut se voir son propre génie, c’est ce qui arrive à certains auteurs : d’où des œuvres interrompues, comme celles de Rimbaud, de Nietzsche, de Kafka… C’est ce qui m’est arrivé aussi (que mon immodestie fasse grincer des dents, peu importe). J’écris, mais sans avoir besoin d’écrire. Je le fais par simple joie, comme d’aller me promener.
Et il y a autre chose. Je transfigure maintenant et je transmets la littérature en l’enseignant, à ma façon. Je la livre vivante, à travers mon rapport vivant, mon rapport d’amour aux textes. Quand ma tutrice est venue assister à l’un des ateliers d’écriture que je fais avec mes élèves, je l’ai vue entrer en état de choc, raide, les yeux fixes, écarquillés. Quand j’ai raconté à une autre collègue ce que je leur faisais faire lors de ces ateliers – écrire en 20-25 minutes un texte sur un sujet donné, puis le lire devant toute la classe disposée en cercle ouvert, elle s’est exclamée : « mais c’est très difficile, ce que tu leur demandes ! » Et elle avait raison. C’est pourquoi il nous faut chaque fois une dizaine de minutes pour la mise en route. C’est pourquoi au début ils se récriaient avec véhémence, voulaient refuser. Et maintenant, quand nous ne le faisons pas, ils le réclament.
Mais ce n’est pas tout. Notre façon d’étudier les textes, de faire ce qu’on appelle des lectures analytiques, se passe dans un esprit tout différent de la norme scolaire. Je les fais entrer en profondeur dans les textes, dans leur sens. Je leur fais toucher du doigt les correspondances avec d’autres œuvres, de littérature ou d’art. Je les emmène dans la complexité, et ils m’y suivent très bien, quoiqu’ils soient habitués à un tout autre régime. Et je les fais réfléchir aussi au sens philosophique, social, humain, de ce que nous étudions. Je leur parle de la politique, de la religion, des rapports sociaux, je leur demande d’apporter leur propre réflexion, à l’oral ou à l’écrit, je les fais se servir de leur intelligence, qui est grande, de leur autonomie de pensée, qui doit venir. Mes classes ne sont pas des classes mortes, elles sont vivantes, et je suis heureuse et bienheureuse.
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