Je suis allée ce matin à une journée d’étude sur les études psychédéliques. Cela prête à sourire, et c’est ce que j’ai fait d’abord, me rappelant mon trip de 30 heures au LSD quand j’avais dix-huit ans (la dose était un peu trop forte). Mais c’est tout à fait sérieux – sans exclure le sourire. Il existe depuis peu une Société psychédélique française, composée de quelques jeunes chercheurs de différentes disciplines qui se retrouvent sur cette thématique. Dans un amphithéâtre du Muséum d’Histoire Naturelle, elle organisait une journée d’approche historique de la construction d’un champ disciplinaire, avec le soutien d’éminentes institutions scientifiques.
Il fut question des champignons hallucinogènes – psilocybes – au Mexique, de leurs pouvoirs « divinatoires », de leurs usages tantôt thérapeutiques, tantôt hallucinatoires, tantôt religieux (la dose ingérée augmentant dans le même ordre). Les champignons hallucinogènes se trouvent quasiment partout sur la planète et le plus drôle c’est le sens du nom que les Chinois leur donnent : « et maintenant tu rigoles, n’est-ce pas ? » S’ils font rire les Chinois, ils n’ont pourtant pas le même effet sur toutes les personnes – certains rient, d’autres ont des visions d’horreur, d’autres communiquent avec l’invisible… Ils ont aussi le pouvoir de faire revenir des souvenirs enfouis, notamment des traumatismes d’enfance. En France, après des expéditions et des études scientifiques menées au Mexique parmi les populations qui les consomment, des expériences furent menées à Saint-Anne avec des malades mentaux à la fin des années 50, et comme on sait Henri Michaux y participa (mais préféra le faire chez lui). Puis tout cela commença à inquiéter les autorités, et le clou de l’affaire c’est que ce fut Maurice Papon qui fit interdire ces champignons. Le tortionnaire avait de la morale. Les études sur les hallucinogènes demeurent taboues dans notre pays, quoiqu’elles ouvrent sur un vaste domaine de connaissances et de possibles applications, notamment thérapeutiques.
Il fut aussi question de l’impact des hallucinogènes sur la contre-culture des années 60, et des tentatives d’études sur la créativité que ces substances auraient pu, ou non, favoriser. En fait, aucune étude n’a pu montrer un résultat convaincant dans ce domaine. On s’est souvenu que Timothy Leary voulait rendre la créativité accessible à tous au moyen des hallucinogènes, utilisés comme agents libérateurs. Toute une époque. Enfin nous avons eu une intervention sur « Psychédéliques : machines à éclairs de génie ou machines à foutaises ? », par un chercheur en costume à carreaux fantaisiste du meilleur effet. Croquis de cerveau en couleurs à l’appui, il a été question de cortex préfrontal et de théorie hypofrontale, de créativité analytique et de créativité intuitive, de flexibilité cognitive (beaucoup plus forte chez l’enfant), d’entropie informationnelle, de pensée erratique et exploratoire, d’idées délirantes, de connexions plus ou moins importantes dans le cerveau, de bassins profonds singuliers, de lobe temporel médian, de fluence et d’autres choses encore dont les seuls noms suffisent à faire agréablement divaguer.
On a regardé un petit documentaire délicieusement suranné, Champignons et hallucinations réalisé pour l’ORTF par Jean Lallier en 1966. Puis d’autres chercheurs de différentes disciplines ont apporté leur éclairage final pour cette matinée, et il fut question par exemple de l’année 1817, qui vit apparaître en Angleterre la première expérience de gaz hilarants et le premier brevet de kaléidoscope. On s’est demandé ce qui pouvait bien faire passer l’artiste de l’état de créature à celui de créateur, j’ai entendu évoquer William Blake mais à ce moment-là j’étais en train d’essayer de récupérer mon stylo, qui passait de mains en mains pour remplir une feuille avec les noms des personnes présentes dans le public, et je n’ai ni bien entendu, ni bien entendu pu noter ce que je n’avais pas bien entendu.
L’après-midi la journée d’études se poursuivait mais j’ai été occupée par autre chose dont je reparlerai peut-être, puis finalement je suis retournée au jardin pour ne rien y faire, seulement me taire. Et au passage, photographier les pavots.
Il y a longtemps que je n’ai plus besoin de la moindre drogue pour entrer dans des états seconds ou même hallucinatoires, et j’en ai exploré, des mondes !
aujourd’hui au Jardin des Plantes, photos Alina Reyes
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