18-10-2019
Je dois rectifier cette note en ce qui concerne mon impression que le mot sanskrit asana pouvait être lié à la racine indo-européenne as, « être », par comparaison avec d’autres langues indo-européennes. En fait le phénomène auquel je faisais allusion touche les langues néolatines, j’en ai trouvé l’explication (que je connaissais mais avais oubliée) dans ce livre de Victor Henry, Les trois racines du verbe « être » dans les langues indo-européennes (1878) dont je recopie ces extraits :
« La primitive langue indo-européenne, d’où sont issus les nombreux dialectes de cette famille si répandue, n’avait probablement, pour indiquer le fait pur et simple de l’existence, sans modalité accessoire, l’être en soi et en tant qu’opposé au non-être qu’une seule racine, qui s’est d’ailleurs conservée dans tous les idiomes de ce groupe. C’est la racine as, que l’on retrouve, plus ou moins corrompue, mais aisément reconnaissable, dans la plupart des temps du verbe « être » de chaque langue indo-européenne. (…)
Dans une étude portant sur la généralité des langues indo-germaniques, il n’y aurait pas lieu de parler des dialectes néo-latins, dont les conjugaisons sont exactement calquées sur celles de leur ancêtre commun, si, par une confusion aisée entre les formes assez voisines des deux verbes latins esse et stare, elles n’avaient ajouté à la conjugaison de leurs verbes « être » un élément tout-à-fait étranger à ce même verbe dans les autres idiomes de la famille. C’est ce qu’il convient de montrer brièvement. Au premier rang, à ce point de vue, se placent d’abord les langues de la péninsule hispanique, où ce processus morphologique apparaît au degré le plus complet. L’espagnol et le portugais possèdent deux verbes « être » ser et estar, le premier désignant l’état essentiel et permanent, le second, l’état variable et accidentel : ser dérive, comme l’italien essere, non pas du latin esse, qui n’expliquerait pas la présence de la vibrante, mais d’une forme de bas latin essere créée par le vulgaire à l’imitation de tous les infinitifs latins, qui se terminent en re, le seul esse faisant exception estar vient sans difficulté de stare, et ces deux verbes conservent d’une manière satisfaisante, dans la plupart de leurs temps, leurs formes ancestrales respectives.
Le mélange des deux éléments en un seul verbe apparaît dans l’italien, qui n’emprunte toutefois à stare qu’un seul temps, le participe passé, stato, nécessaire pour la conjugaison de ses temps composés, et qui manque à esse. Moins pur est déjà le provençal, bien moins pur le français, qui dérive de stare un temps que possédait esse, l’imparfait de l’indicatif, estois, stabam, outre le participe présent, estant, stans, et le participe passé, esté, status. Bien plus, l’infinitif même estre, qui dérive incontestablement de essere (car stare a formé régulièrement ester, mot de la langue judiciaire), se ressent cependant de l’influence de stare il est impossible, en effet, d’expliquer le t médial du mot, sans admettre que, sous cette influence étrangère, le bas-latin essere s’est encore corrompu en estere, en sorte que le mot estre est une formation mixte de l’un et l’autre verbe. Le roumain seul ne s’est point altéré par ce mélange, et conjugue son verbe «être», non pas, sans doute, tel que le latin le lui a légué, mais sans le secours de stare.
C’est ainsi que la racine sta, qui ne se présente dans les autres langues indo-européennes qu’avec son sens primitif de « se tenir debout » revêt, en outre, dans les langues néo-latines la signification accessoire d’ «être» et qu’à ce titre elle a dû prendre place dans cette étude. Quant à son évolution dans son acception originaire, tout le monde la connaît, et elle est d’un degré si élevé, qu’on ne saurait, ce semble, ouvrir au hasard un vocabulaire d’une langue indo-européenne quelconque sans tomber sur un dérivé plus ou moins direct de ce fécond radical. »
*
illustration pour le Surya Siddhanta, traité d’astronomie indien en sanskrit, de plus de 1 500 ans
*
Ce matin dans la nuit, à la lumière de la lampe, commençant à étudier un peu le sanskrit, cette langue des plus anciennes, j’ai appris que le verbe aimer s’y construisait avec le locatif. Un cas peu fréquent dans les langues à déclinaisons, qui exprime le lieu où se passe l’action. Ainsi donc en sanskrit, pour dire je t’aime, on dit, mot à mot, « en toi j’aime ». C’est beau comme un premier amour. Parce que c’est une langue première. L’être aimé n’y est pas objectivé, n’y est pas complément d’objet, n’y est pas à l’accusatif, n’y est ni tenu à distance ni accusé de son altérité, il y est en quelque sorte physiquement, innocemment aimé, dans l’interpénétration des amants qui font l’amour.
Puis j’ai fait mon heure de yoga quotidienne, cette fois une séance comportant seulement trois asana (mot sanskrit habituellement traduit par « posture » mais qui me semble (à vérifier !), d’après ma première approche de cette langue, lié à son verbe être, comme d’ailleurs dans d’autres langues indo-européennes – par exemple en français « station » et « exister » ont même racine), trois postures guidées par un cours très précis, très sophistiqué, tenues chacune vingt minutes sur des exercices respiratoires intenses enchaînés savamment. Le yoga est une pratique d’amour avec le cosmos, abolissant les limites, la distance, entre cosmos intérieur et cosmos extérieur.
*