J’avais donné, toujours au fur et à mesure de ma traduction, le début de la première églogue, puis la deuxième en entier, et voici maintenant, de la troisième, un large extrait : celui de la joute poétique qui suit la dispute des deux bergers poètes, assis dans la prairie, réglant leurs différends à coups de vers dont les habituelles traductions en prose rendent mal la vivacité et la virtuosité – j’ai fait de mon mieux, devant souvent terminer mes alexandrins par des assonances plutôt que par des rimes, mais enfin l’idée est là.
*
DAMÉTAS
Premier, Jupiter ; tout est plein de Jupiter :
Il veille sur les terres ; il a soin de mes vers.
MÉNALQUE
Moi, Phébus m’aime ; toujours chez moi du laurier,
Des présents pour lui, l’hyacinthe douce et pourprée.
DAMÉTAS
Galatée, la jeune enjouée, me jette un fruit,
Et voulant être vue, vers les saules s’enfuit.
MÉNALQUE
Amyntas, ma flamme, à moi s’offre de lui-même :
Mes chiens ne connaissent mieux Délie elle-même.
DAMÉTAS
J’ai des présents tout prêts pour ma Vénus : je vis
Où d’aériennes palombes firent leur nid.
MÉNALQUE
J’ai envoyé au garçon dix pommes dorées,
Lui enverrai dix autres cueillies en forêt.
DAMÉTAS
O que de mots Galatée m’a dits, et quels mots !
Vents, aux oreilles des dieux, n’en touchez-vous mot ?
MÉNALQUE
Pourquoi m’aimer si, toi chassant le sanglier,
Amyntas, moi je reste à garder les filets ?
DAMÉTAS
Envoie Phyllis, Iollas, c’est mon anniversaire ;
Viens, toi, quand je sacrifie aux fruits de la terre.
MÉNALQUE
Phyllis, ma préférée, pleurait quand je partais,
Répétant « Adieu, Iollas, adieu, ma beauté. »
DAMÉTAS
Triste aux bergeries le loup, aux moissons le givre,
Aux arbres le vent, à moi d’Amaryllis l’ire.
MÉNALQUE
Doux l’humide aux semis, l’arbousier aux chevreaux
Le saule aux brebis, Armyntas à mon propos.
DAMÉTAS
Pollion aime, quoique rustique, notre Muse :
Paissez une génisse pour qui vous lit, Muses.
MÉNALQUE
Pollion fait des vers nouveaux : paissez un taureau
Déjà cornu, levant le sable du sabot.
DAMÉTAS
Qui t’aime, Pollion, vienne où tu te réjouis :
Que le miel coule, et pousse l’amome pour lui.
MÉNALQUE
Qui ne hait Bavius, qu’il aime, Mévius, tes vers,
Attelle des renards, trouve des boucs à traire.
DAMÉTAS
Vous qui cueillez des fleurs, des fraises nées à terre,
Fuyez, enfants ! un froid serpent caché sous l’herbe.
MÉNALQUE
Gardez-vous, brebis, de trop avancer : la rive
N’est pas sûre, le bélier, encor, s’y lessive.
DAMÉTAS
Tityre, éloigne les chèvres de la rivière :
À temps, je les laverai à la source claire.
MÉNALQUE
Groupez les brebis, enfants : si leur lait tarit
Sous la chaleur, nous presserons en vain leur pis.
DAMÉTAS
Hélas ! combien maigre est au pré gras mon taureau !
Même amour est ruine du pâtre et du troupeau.
MÉNALQUE
Eux – l’amour n’en est cause – n’ont plus que leurs os :
Je ne sais quel œil fascine mes doux agneaux.
DAMÉTAS
Dans quels pays, dis – tu seras mon Apollon –
Le ciel ne dépasse pas cinq mètres de long.
MÉNALQUE
Dans quel pays, dis, poussent des fleurs où s’inscrit
Le nom des rois – et tu auras pour toi Phyllis.
*
ici une traduction de l’églogue entière, en prose
à suivre !