Pour me reposer un peu de l’Iliade, je viens de traduire les premiers vers de la Divine Comédie. J’avais dans les vingt ans quand une nuit, en rêve, il me fut intimé de la traduire. Dante ayant pris pour guide Virgile, qui lui-même a pour maître Homère, il est dans le bon ordre, « selon le cosmos », comme diraient les Grecs, que j’aie commencé par Homère et Virgile. Et peut-être continuerai-je par Dante. Pour mon premier essai, je me suis servi des dictionnaires en ligne (préférant ne pas me fier seulement aux ressemblances avec le français), et pour les mots que je n’y trouvais pas, de leur étymologie. La comparaison finale du passage me rappelle le système de comparaisons récurrent chez Homère, qui peint un monde plein d’analogies chatoyantes, et aussi l’arrivée de Dévor (Ulysse) sur la plage des Phéaciens, unique rescapé du naufrage.
*
À mi-chemin de notre vie,
Je me trouvai par une sylve obscure,
Car la voie droite était perdue.
Ah, dire combien sauvage, forte et rude,
Était cette forêt, est chose dure,
Qui ranime la peur en la pensée !
Tant amère, mort l’est à peine plus ;
Mais pour traiter du bien que j’y trouvai,
Je dirai d’autres choses que j’y vis.
Je ne sais dire comment j’y entrai,
Tant j’étais plein de sommeil en ce point
Où j’abandonnai la voie vraie.
Mais le pied d’une colline rejoint,
Au lieu où prenait fin cette vallée
Qui de peur m’avait empoigné le cœur,
Levant les yeux, je vis ses épaules
Déjà vêtues de la planète aux rais
Qui mènent droit par les sentiers tout homme.
Alors fut un peu apaisée la peur
Qui m’avait duré, dans le lac du cœur,
La nuit que je passai si plein de peine.
Et comme celui qui, hors d’haleine,
Sorti de la mer sur le rivage,
Se tourne et l’eau périlleuse regarde,
Ainsi encore réchappée mon âme
Se retourna pour regarder le pas
Qui jamais ne laissa personne en vie.
*