Des écrivains, et de la littérature contemporaine

Haruki Murakami dans son livre autobiographique sur la course dit que personne sans doute ne pourrait tomber amoureux de lui, d’un écrivain. Je pourrais penser la même chose de moi et cela m’est égal, d’autant que je vis avec l’homme de ma vie, l’amour de ma vie ; s’il venait à partir, je pleurerais son départ, mais je ne chercherais nul autre homme. Ma vie est pleine en elle-même. Je note d’ailleurs que je ne suis jamais tombée amoureuse d’un écrivain, quoique j’en aie rencontré quelques-uns. Je n’ai même jamais eu envie d’avoir un ami ou une amie écrivain·e, quand les occasions se sont présentées j’ai esquivé, je n’ai jamais aimé leur présence, je revenais toujours presque malade des salons du livre et autres raouts pleins d’auteurs, tant ils me rebutaient. Même en imagination, je ne suis jamais tombée amoureuse d’un écrivain : dans mon roman dystopique Forêt profonde, le personnage de Sad Tod, inspiré de quelqu’un qui dans la vie réelle est éditeur-écrivain, est un ministre de l’Intérieur tortionnaire d’une dictature, et l’histoire prétendument d’amour s’avère n’être qu’une histoire de folie et de mort.

En fait, je me suis dégagée de la littérature par dégoût des littéraires et des intellectuels – qui me l’ont bien rendu, en m’excluant de l’édition ; tant mieux, je suis bien plus heureuse à courir, peindre ou faire du crochet. Je ne sais plus quel vieil auteur m’avait dit, quand j’étais jeune auteure, que ce métier ne rendait pas heureux. J’en avais été un peu choquée, aimant tellement la littérature. Avec le temps, j’ai compris. Les auteurs respirent le malheur, quand vous les approchez vous sentez leur mauvaise santé, physique souvent mais surtout mentale. Y compris ceux qui se réclament de Nietzsche, comme je le disais dans Forêt profonde. Leur univers m’est aussi insupportable qu’il l’était à Rimbaud. J’en suis sauvée parce que j’ai toujours été physique. Je sais que Murakami l’est aussi, et c’est pourquoi j’avais donné son prénom à un jeune personnage salvateur dans Forêt profonde. Le seul fait qu’il voie et qu’il comprenne qu’un écrivain n’est pas quelqu’un qu’on peut aimer prouve qu’il n’est pas vraiment cette sorte d’écrivain. Il a tenu un bar, il est sportif, sa littérature très poétique et pleine de nourritures appétissantes est très aimée par les gens, mais peu reconnue par les autres écrivains, ceux et celles qui vivent dans la mollesse morale et physique.

Dans le fait que Bolloré songe à racheter la plupart de l’édition française, je vois un signe qu’elle est achetable, avec ses auteurs, quelque protestation qu’ils produisent. Tous ces plein·e·s de prix littéraires, ces légionné·e·s d’honneur, ces académicienné·e·s, ces subventionné·e·s, ces ligué·e·s, ces saintgermaindesprétisé·e·s, ces bourgeois·e·s né·e·s, ces employé·e·s de l’industrie éditoriale, ces faiseurs et faiseuses plus souvent qu’à leur tour plagiaires, ces trafiquant·e·s de littérature faussaire, pataugent dans une mare qui n’a même pas la vertu d’être propice à l’éclosion de la vie. Sans doute le milieu littéraire n’est pas le seul à être pourri, mais sa morbidité est d’autant plus néfaste qu’elle se répand insidieusement sur les étals des librairies. Une bonne nouvelle dans tout cela est que les jeunes générations lisent de moins en moins la production actuelle, du moins celle qui est mise en avant par le milieu lui-même. Les bonnes séries, les beaux jeux vidéos remplacent avantageusement sa médiocrité, et ceux et celles qui aiment la littérature savent trouver, hors de la médiatisation commerciale, les livres de tous les temps et toutes les origines qui peuvent compter pour elles et eux. J’aime ces lecteurs et lectrices qui envisagent la littérature non comme elle se vend, mais pour ce qu’elle est. Ma place est comme la leur : ailleurs.

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alinareyes