LOST : Qui est John Locke ? (premières notes)

J’ai commencé à analyser la série LOST en vidéo sur ma chaîne YouTube. Je la continuerai tantôt en vidéos – voici les premières :
Sawyer et le sens de l’ours polaire
Qui est Desmond ?
Le sens caché du « réveil » dévoilé
Qui est John Locke ?

et tantôt en articles ici-même, avant de rassembler un texte complet sur ce chef-d’oeuvre.

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John Locke, philosophe anglais du XVIIe siècle : « L’état de nature est régi par un droit de nature qui s’impose à tous ; »
→ John Locke de Lost : sa dévotion à la nature 
John Locke, philosophe : « nul ne doit léser autrui dans sa vie, dans sa santé, sa liberté et ses biens. »
→ John Locke de Lost : « ne me dites pas ce que je ne peux pas faire »

C’est lui qui découvre, avec son disciple Boone, la première station Dharma, qui est la station n°3 sur l’île. La station du Cygne, celle où était étudié l’électromagnétisme de l’île, et où suite à un incident, il reste nécessaire d’appuyer sur un bouton toutes les 108 minutes pour sauver le monde. Nous pouvons en déduire que le salut du monde est une question de temps, et que le fait de ne pas abandonner l’action nécessaire pour ce salut retarde d’autant la catastrophe. Comme nous avons prouvé que l’arrivée sur l’île des passagers du vol 815 figurait la résurrection de tous les morts de l’humanité dans la perspective du Jugement dernier, nous voyons encore que la seconde vie qui leur est offerte ici est une ultime occasion de rattrapage.

Au Japon le dharma est un symbole de patience, de ténacité, d’infatigable obstination → comme John qui a survécu à tout, naissance prématurée, maladies infantiles, abandon par sa mère, trahison et tentative de meurtre par son père, immobilisation en fauteuil roulant, humiliations au bureau, avant de subir d’autres graves atteintes sur l’île. Dharma a apporté la doctrine du Zen de l’Inde en Chine au VIe siècle. Il est resté assis à méditer durant 9 ans face à un mur, dit la légende. Représenté au Japon par des poupées assises, sortes de culbutos, faites en sorte que lorsqu’on les incline elles se redressent toujours – comme Locke. Dans l’hindouisme, le dharma définit l’être d’une personne, ses qualités intrinsèques. Or, paradoxalement, c’est ce qui s’avère le plus incertain chez Locke.

Locke ne veut pas être qui il est. Il veut être un autre, quelqu’un de « spécial ». De même qu’il a été élevé par d’autres que ses parents, il se veut un autre ; de même qu’il est né non désiré et rejeté, il rejette ce qu’il est. Dans l’épisode « Le messager » (4×11) il reçoit, enfant, la visite de Richard qui lui fait passer un examen pour pouvoir entrer à l’école des enfants « spéciaux ». Il doit choisir parmi plusieurs objets qu’il a apportés un objet qui lui appartient déjà. Il prend d’abord la fiole de sable et la boussole, ce qui semble satisfaire Richard, puis se ravise et prend le couteau. Richard, déçu, reprend les objets et annonce alors qu’il n’est pas celui qu’il pensait.

Une scène similaire se répète quand, étudiant, il lui est proposé un poste de scientifique, en accord avec ses qualités, et qu’il le refuse énergiquement, prétendant être fait pour le sport et l’action. Le fait que son père l’emmène plus tard à la chasse flatte son désir d’être sportif et fort, c’est ainsi que son père peut le manipuler. Rêve qui s’écroule complètement quand il se retrouve paralysé.

Cependant une fois sur l’île, dans sa seconde vie, il réalise avec brio ce qu’il n’a jamais réalisé dans sa première vie terrestre, devenant un chasseur accompli et sachant très bien se débrouiller dans la nature, permettant ainsi à tous les autres de survivre. Finalement, n’est-ce pas Richard et le monde qui se trompaient sur lui ? Le destin de Locke était-il de devenir un bon scientifique ou bien de devenir un bon aventurier ? Cela reste incertain et c’est cette incertitude qui lui fera perdre son chemin.

Dans sa seconde vie, dans un premier temps Locke fait preuve de sagesse et aide les autres à se réaliser, à régler leurs conflits intérieurs. Il semble que ce soit au prix de la perte de sa propre sagesse puisqu’il dérive ensuite jusqu’à se perdre.

« Je est un autre », disait Rimbaud. Locke incarne cette incertitude des êtres humains quant à leur être et quant à leur destin. Moi aussi, ressent le spectateur de Lost, je suis peut-être fait pour être un autre, je pourrais avoir une autre existence, un autre destin que ceux que la société m’assigne.
Mais John est aussi celui qui prend les autres pour d’autres que ceux qu’ils sont. Il prend son père pour un père aimant alors que son père le trompe gravement. Il prend la communauté dans laquelle il vit pour une famille idéale alors qu’elle pratique le trafic de drogue, et il introduit dans cette « famille » un autostoppeur qu’il croit sincère alors qu’il s’avère être un policier. Une fois sur l’île, il se laissera berner de la même manière par Benjamin Linus.

Il sera renommé par Charles Widmore du nom d’un autre philosophe, Jeremy Bentham, inventeur du terme « déontologie », et qui estimait que les individus cherchaient à avoir plus de plaisir que de peine. Ce philosophe anglais du XVIIIe siècle est l’inventeur du panoptique, prison construite de façon à pouvoir surveiller constamment les prisonniers. Et il avait préparé sa mort de manière étrange, en désirant être embaumé à la façon des Maoris puis exposé assis, ainsi embaumé, pour devenir une « auto-icône ». Les embaumeurs anglais ayant raté l’embaumement de sa tête la remplacèrent par une tête en cire et placèrent sa vraie tête par terre entre ses jambes, exposée dans une cage en verre comme le corps. Cette exposition du corps, vêtu d’un costume noir (comme John Locke dans son cercueil), et de la tête de Bentham, donna lieu à bien des farces estudiantines. Corps profané après sa mort comme celui de Locke, « auto-icône » investie par le monstre.

John joue au backgammon (enfant puis sur l’île), jeu représenté sur le panneau « Enfer » du « Jardin des délices » de Bosch (indice supplémentaire de la référence aux tableaux de Bosch, et spécialement à celui du « Jugement dernier », dont tous les codes sont repris dès le premier épisode, indiquant ce qui s’y passe réellement). Jeu qui se joue à deux, avec jeton noir et jeton blanc, représentant selon lui le mal et le bien, et auquel il joue seul, lui-même deux en un. (Nous reviendrons une autre fois sur ce jeu).

Locke travaillait dans une usine de boîtes ; il finit dans une boîte ouverte, son cercueil, ouvert sur son corps, symbolisant les cercueils de tous les humains qui seront ouverts au jour du Jugement dernier afin de se relever pour être jugés.

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