LOST : la trinité Île, Walt, Vincent

J’ai commencé à analyser la série LOST en vidéo sur ma chaîne YouTube. Je la continuerai tantôt en vidéos – voici les premières :
Sawyer et le sens de l’ours polaire
Qui est Desmond ?
Le sens caché du « réveil » dévoilé
Qui est John Locke ?
L’île, Vincent et Walt

et tantôt en articles ici-même, avant de rassembler un texte complet sur ce chef-d’oeuvre.

L’ÎLE

C’est l’île de la seconde vie, de la seconde chance. Elle se trouve dans un monde second, à la façon dont on peut se trouver dans un état second.

Quand Jack ouvre le cercueil de son père, sur l’île (1×5), il est vide → sorti du cercueil, comme les autres ressuscité physiquement pour le Jugement dernier et physiquement présent sur l’île. Jack casse le cercueil et juste après on voit la Grande Ourse dans le ciel, rappel du thème de la boussole, de l’ours polaire, du Nord perdu.

C’est l’endroit où l’on est ressuscité, l’endroit qui sert de bouchon à la mort dernière, qui doit advenir après le Jugement dernier. Or pas de justice, pas de paix. Tant que le jugement n’a pas eu lieu, personne ne trouve la paix, ou ne trouve qu’une paix mensongère (Kate fausse mère, Sawyer fausse personne, Hurley enfermé à l’asile dans sa folie, Sayid enfermé dans son rôle de tueur au service de Ben, Ben enfermé dans sa volonté de puissance, Claire dans la paranoïa, etc.) D’où le « we have to go back » de Jack quand il est pris dans son autodestruction.

La paix ne revient qu’une fois qu’ils sont réunis à la porte de Dieu, prêts à passer là où il a été jugé qu’ils devaient aller (où, nous n’en savons rien, même si une lumière paradisiaque apparaît).

C’est aussi l’île du Dharma : « une tentative de compréhension des phénomènes externes et internes qui vise à laisser s’effacer la séparation qu’il y a entre microcosme et macrocosme, entre l’homme et l’Univers. »

VINCENT, le chien, et WALT, son maître

Vincent assure le passage d’un monde à l’autre. Son importance est signalée dès les premières minutes, où il apparaît en passant au moment du « réveil » de Jack, puis est recherché par Walt puis par Locke assis en position de dharma. Le chien est considéré comme psychopompe dans quasiment toutes les cultures du monde. Il y a même une représentation d’un Saint Christophe cynocéphale, datant du XVIIe siècle, au musée byzantin d’Athènes.

Son nom, Vincent, vient du participe présent du verbe vincere, vaincre en latin et signifie pour les chrétiens celui qui vainc le mal, la mort. Vincent apparaît pour la première fois dans la chronologie de l’histoire (non dans celle de la narration) dans l’épisode nommé « Au nom du fils » (I, 14) Le fils est incarné alors par Walt, que le chien « porte », soutient. Nous verrons que de même que plusieurs personnages endossent à moment donné le personnage d’Ulysse ou le texte de l’Odyssée, plusieurs endossent aussi le personnage du Christ. Ici c’est donc l’enfant Walt qui représente Jésus.

Lors d’un passage à Paris, les scénaristes ont dit que Vincent était français. On a supposé qu’il s’agissait d’une plaisanterie. Sinon à quoi faisaient-ils allusion ? Je n’ai trouvé qu’une plaisanterie possible, en rapport avec les aboiements furieux de Vincent quand des sangliers entrent dans le fuselage de l’avion : ce serait l’allusion à saint Vincent de Paul, qui devait garder les porcs pendant son enfance. Vincent étant christophore, ses aboiements rappellent l’épisode de l’évangile de Matthieu dans lequel le Christ chasse les démons de l’homme pour les envoyer dans les porcs.

LA TRINITE ÎLE, WALT, VINCENT

Nous avons là une trinité Ile-Walt-Vincent. Où l’île figure Dieu (Locke la vénère comme telle), Walt figure le Christ (son prénom vient d’un verbe germanique qui signifie gouverner) et Vincent l’Esprit saint, qui œuvre au passage d’un monde à l’autre.

Il y a deux Walt américains très célèbres auxquels peut se référer le prénom du fils de Michaël : Walt Disney et Walt Whitman. Cet immense poète, né sur l’île de Long Island, est le chantre de la nature. Quant à Walt Disney, il a notamment inspiré l’île de Tom Sawyer Island à Disneyland, avec des grottes, des structures, des opportunités d’aventures interactives et dans sa version de l’époque une cabane qui brûlait au nord de l’île, d’abord occupée par des indigènes hostiles : tout comme sur l’île de Lost. C’est le génie des auteurs de la série que d’avoir su la bâtir à partir d’une foule de références savantes et populaires, de sorte que même inconsciemment elle parle plus profondément à tout le monde.

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à suivre !

LOST : Qui est John Locke ? (premières notes)

J’ai commencé à analyser la série LOST en vidéo sur ma chaîne YouTube. Je la continuerai tantôt en vidéos – voici les premières :
Sawyer et le sens de l’ours polaire
Qui est Desmond ?
Le sens caché du « réveil » dévoilé
Qui est John Locke ?

et tantôt en articles ici-même, avant de rassembler un texte complet sur ce chef-d’oeuvre.

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John Locke, philosophe anglais du XVIIe siècle : « L’état de nature est régi par un droit de nature qui s’impose à tous ; »
→ John Locke de Lost : sa dévotion à la nature 
John Locke, philosophe : « nul ne doit léser autrui dans sa vie, dans sa santé, sa liberté et ses biens. »
→ John Locke de Lost : « ne me dites pas ce que je ne peux pas faire »

C’est lui qui découvre, avec son disciple Boone, la première station Dharma, qui est la station n°3 sur l’île. La station du Cygne, celle où était étudié l’électromagnétisme de l’île, et où suite à un incident, il reste nécessaire d’appuyer sur un bouton toutes les 108 minutes pour sauver le monde. Nous pouvons en déduire que le salut du monde est une question de temps, et que le fait de ne pas abandonner l’action nécessaire pour ce salut retarde d’autant la catastrophe. Comme nous avons prouvé que l’arrivée sur l’île des passagers du vol 815 figurait la résurrection de tous les morts de l’humanité dans la perspective du Jugement dernier, nous voyons encore que la seconde vie qui leur est offerte ici est une ultime occasion de rattrapage.

Au Japon le dharma est un symbole de patience, de ténacité, d’infatigable obstination → comme John qui a survécu à tout, naissance prématurée, maladies infantiles, abandon par sa mère, trahison et tentative de meurtre par son père, immobilisation en fauteuil roulant, humiliations au bureau, avant de subir d’autres graves atteintes sur l’île. Dharma a apporté la doctrine du Zen de l’Inde en Chine au VIe siècle. Il est resté assis à méditer durant 9 ans face à un mur, dit la légende. Représenté au Japon par des poupées assises, sortes de culbutos, faites en sorte que lorsqu’on les incline elles se redressent toujours – comme Locke. Dans l’hindouisme, le dharma définit l’être d’une personne, ses qualités intrinsèques. Or, paradoxalement, c’est ce qui s’avère le plus incertain chez Locke.

Locke ne veut pas être qui il est. Il veut être un autre, quelqu’un de « spécial ». De même qu’il a été élevé par d’autres que ses parents, il se veut un autre ; de même qu’il est né non désiré et rejeté, il rejette ce qu’il est. Dans l’épisode « Le messager » (4×11) il reçoit, enfant, la visite de Richard qui lui fait passer un examen pour pouvoir entrer à l’école des enfants « spéciaux ». Il doit choisir parmi plusieurs objets qu’il a apportés un objet qui lui appartient déjà. Il prend d’abord la fiole de sable et la boussole, ce qui semble satisfaire Richard, puis se ravise et prend le couteau. Richard, déçu, reprend les objets et annonce alors qu’il n’est pas celui qu’il pensait.

Une scène similaire se répète quand, étudiant, il lui est proposé un poste de scientifique, en accord avec ses qualités, et qu’il le refuse énergiquement, prétendant être fait pour le sport et l’action. Le fait que son père l’emmène plus tard à la chasse flatte son désir d’être sportif et fort, c’est ainsi que son père peut le manipuler. Rêve qui s’écroule complètement quand il se retrouve paralysé.

Cependant une fois sur l’île, dans sa seconde vie, il réalise avec brio ce qu’il n’a jamais réalisé dans sa première vie terrestre, devenant un chasseur accompli et sachant très bien se débrouiller dans la nature, permettant ainsi à tous les autres de survivre. Finalement, n’est-ce pas Richard et le monde qui se trompaient sur lui ? Le destin de Locke était-il de devenir un bon scientifique ou bien de devenir un bon aventurier ? Cela reste incertain et c’est cette incertitude qui lui fera perdre son chemin.

Dans sa seconde vie, dans un premier temps Locke fait preuve de sagesse et aide les autres à se réaliser, à régler leurs conflits intérieurs. Il semble que ce soit au prix de la perte de sa propre sagesse puisqu’il dérive ensuite jusqu’à se perdre.

« Je est un autre », disait Rimbaud. Locke incarne cette incertitude des êtres humains quant à leur être et quant à leur destin. Moi aussi, ressent le spectateur de Lost, je suis peut-être fait pour être un autre, je pourrais avoir une autre existence, un autre destin que ceux que la société m’assigne.
Mais John est aussi celui qui prend les autres pour d’autres que ceux qu’ils sont. Il prend son père pour un père aimant alors que son père le trompe gravement. Il prend la communauté dans laquelle il vit pour une famille idéale alors qu’elle pratique le trafic de drogue, et il introduit dans cette « famille » un autostoppeur qu’il croit sincère alors qu’il s’avère être un policier. Une fois sur l’île, il se laissera berner de la même manière par Benjamin Linus.

Il sera renommé par Charles Widmore du nom d’un autre philosophe, Jeremy Bentham, inventeur du terme « déontologie », et qui estimait que les individus cherchaient à avoir plus de plaisir que de peine. Ce philosophe anglais du XVIIIe siècle est l’inventeur du panoptique, prison construite de façon à pouvoir surveiller constamment les prisonniers. Et il avait préparé sa mort de manière étrange, en désirant être embaumé à la façon des Maoris puis exposé assis, ainsi embaumé, pour devenir une « auto-icône ». Les embaumeurs anglais ayant raté l’embaumement de sa tête la remplacèrent par une tête en cire et placèrent sa vraie tête par terre entre ses jambes, exposée dans une cage en verre comme le corps. Cette exposition du corps, vêtu d’un costume noir (comme John Locke dans son cercueil), et de la tête de Bentham, donna lieu à bien des farces estudiantines. Corps profané après sa mort comme celui de Locke, « auto-icône » investie par le monstre.

John joue au backgammon (enfant puis sur l’île), jeu représenté sur le panneau « Enfer » du « Jardin des délices » de Bosch (indice supplémentaire de la référence aux tableaux de Bosch, et spécialement à celui du « Jugement dernier », dont tous les codes sont repris dès le premier épisode, indiquant ce qui s’y passe réellement). Jeu qui se joue à deux, avec jeton noir et jeton blanc, représentant selon lui le mal et le bien, et auquel il joue seul, lui-même deux en un. (Nous reviendrons une autre fois sur ce jeu).

Locke travaillait dans une usine de boîtes ; il finit dans une boîte ouverte, son cercueil, ouvert sur son corps, symbolisant les cercueils de tous les humains qui seront ouverts au jour du Jugement dernier afin de se relever pour être jugés.

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