Juliette Binoche, qui n’est pourtant pas la VIP la plus antipathique, déclarant, à propos du film Ouistreham, « il faut être disponible à la différence de l’autre », ou, avec Emmanuel Carrère, « ne pas voir ces gens, c’est ne pas les respecter », fait, avec le même Carrère et trop souvent, Florence Aubenas, du racisme de classe comme M. Jourdain de la prose. « Ces gens », c’est-à-dire les pauvres, sont donc, à leurs yeux, différents du reste de l’humanité. Binoche ne devrait pas s’enfoncer, et enfoncer le film et ses comparses qui le signent, en ajoutant qu’elle sait ce que c’est que de faire le ménage puisque, dans son enfance, sa mère donnait cinquante centimes aux enfants pour qu’ils participent de temps en temps aux tâches, en mettant Vivaldi à fond.
Le racisme de classe est partout répandu, et si commun qu’il passe souvent inaperçu. Tout le monde n’est pas aussi grossièrement raciste envers les pauvres que Macron insultant obsessionnellement (racismes et sexismes sont presque toujours obsessionnels) ceux « qui ne sont rien », « les alcooliques », « les feignants », « les illettrées », ceux qui coûtent « un pognon de dingue », ceux qui n’ont qu’à « traverser la rue », ceux qu’il a « très envie d’emmerder », etc. (Et qu’Emmanuel Carrère, grand soutien de Macron, soit le réalisateur de ce film, est significatif).Le racisme de classe sournois s’invite souvent au cinéma, parfois de façon tout à fait visible, souvent sans qu’on le remarque, comme dans le film Illusions perdues où seule la bourgeoise est belle et « classe », comme s’il n’y avait pas de filles du peuple élégantes et splendides et comme s’il n’y avait pas de bourgeoises épaisses et vulgaires.
Le classisme passe souvent inaperçu, comme tous les racismes (y compris le sexisme, qui est un racisme de genre) jusqu’à ce qu’on les débusque. Ils passent inaperçus parce qu’ils sont la pensée dominante, en vérité une non-pensée, une vision toute faite et rancie du monde. Je le rappelle dans Une chasse spirituelle, jadis les bourgeois parisiens allaient le dimanche, en guise de promenade, voir comme au zoo les pauvres et les pauvresses gardées enfermées à la Pitié-Salpêtrière, de même que Charcot y mit en scène les prétendus « hystériques », femmes et hommes du peuple, devant des parterres de messieurs en redingote. Pour la bonne cause, bien sûr, en pensant certainement que « ne pas voir ces gens, c’est ne pas les respecter ».
Aujourd’hui les transports sont plus rapides, on peut bien se déplacer, pour le spectacle, jusqu’à Ouistreham, et en faire un spectacle. Histoire d’entretenir son statut de VIP, et de pouvoir continuer à faire entretenir sa maison par « ces gens », avec leur « différence » qui les assigne à nettoyer votre merde. Oui, c’est ça, votre fascisme, que vous ne voyez pas, pauvres prosateurs. Vous voyez, nous aussi, qui ne sommes rien, nous vous regardons, et nous vous voyons.
*