BHL la misère (2). Un fou du diable

412XWJGZRZL._SY344_BO1,204,203,200_« En fait, tout le paradoxe de L’Idéologie française est là : si BHL a incontestablement perdu la bataille intellectuelle, s’il en ressort laminé sur le front de la pensée (…), il a non moins indubitablement gagné sur le front médiatique », écrit Cohen. Toute sa stratégie est là, et lors de l’une de ses intrusions où il n’est pas invité (évoquées dans la première partie de cet article), cette fois en 1979 lors des États généraux de la philosophie, accompagné d’une « claque » il s’empare de la tribune pour prendre la défense des médias. « Le lendemain, aucun quotidien ne fait référence à l’esclandre ni à ce qui sous-tend la polémique, comme si les hommes et les femmes de médias avaient voulu récompenser par leur silence un allié si enflammé et empressé à les défendre. »

Après ses deux premiers essais très médiatisés mais dénoncés par historiens et philosophes comme remplis d’erreurs, et contenant même au moins un plagiat pour Le Testament de Dieu, BHL s’essaie au roman. Bien-nommé Le diable en tête, ce roman sera accusé de contrefaçon par une professeure d’histoire qui avait envoyé son manuscrit à BHL. Finalement c’est la professeure qui est condamnée – et je sais, comme d’autres l’ont expérimenté aussi, comment les mensonges des puissants, voire peut-être d’autres interventions cachées de leur part, peuvent influencer le verdict de la « justice » dans ce genre d’histoires. Une affaire chassant l’autre, il publie ensuite un essai dont le thème et les idées sortent visiblement de celui que Finkielkraut lui avait expliqué être en train d’écrire. Les deux livres, l’un décalqué sur l’autre, sortent en même temps. Puis BHL publie encore un essai, cette fois décalqué du jeune Nicolas Revel et ses « Aristocrates libertaires ». Cela finit tout de même par faire enfler la rumeur : BHL plagiaire ? BHL s’en va dans l’un de ses paradis de riche et écrit son livre sur Baudelaire, histoire de faire penser à autre chose. Je l’ai lu, c’est plat, c’est indigent, il n’en reste absolument rien. Puis c’est sa pièce de théâtre, que j’ai vue aussi, invitée à l’époque par une amie journaliste. Une nullité. Puis le film, l’un des pires navets de l’histoire du cinéma d’après ceux qui l’ont vu. « BHL pédale dans le guacamole », écrit Libé, « son film est un suicide » lit-on dans les Inrocks, etc. Comme quoi il y a des limites même à ce qu’une presse complaisante peut supporter.

Il y a des limites aussi à ce que je peux supporter, et je ne peux lire toute la biographie de Cohen, quoiqu’elle soit très bien écrite, parce qu’elle décrit un milieu que j’ai toujours trouvé irrespirable, et que j’ai toujours fui. Nabe, rappelle Cohen, raconte dans son journal que Sollers lui a dit entretenir une bonne relation avec BHL par nécessité de s’accorder « 30 % de corruption ». Les 70 autres pour cent doivent se trouver dans ses autres relations, à moins qu’il ne les trouve en lui-même, comme tant d’autres dans cet antre mal famé qu’est Saint-Germain-des-Prés. Je saute donc quelques chapitres là-dessus, puis ça continue avec le récit des pressions sur les journaux dont des journalistes ont pris la liberté de dire ce qu’ils pensaient à propos de BHL ou de l’un de ses livres, comment il réussit à faire censurer certains articles ou virer des pigistes. Le livre se termine par un chapitre sur la fille de BHL, écrivaine bien sûr médiatisée aussi, notamment pour les affaires de sa vie privée très people très peu ragoûtantes, même si elle n’y est peut-être pour rien – puis par un chapitre sur « L’intellectuel mondialisé » qui se tourne vers les États-Unis. Comme nous le savons, depuis la parution de cette biographie, il y a dix ans, tous les travers et méfaits qui y sont examinés n’ont fait qu’empirer.

9782912485953FSBeau et Toscer mènent leur enquête au moment où « après avoir éclipsé tous ses rivaux sur la scène médiatique en France, le philosophe cherche maintenant la consécration internationale afin de devenir, aux yeux d’une opinion française crédule, l’intellectuel français qui a réussi aux États-Unis. » Les deux auteurs veulent « démonter les mécanismes » de cette machine-industrie qu’est BHL, « mais surtout », disent -ils, «  il est difficilement supportable pour les journalistes que nous sommes, de vivre sous sa férule », lui qui « est devenu l’arbitre des élégances de la presse et des médias en France, distribuant les bons points et écartant les mal-pensants. » « Avec « BHL », la marque la plus achevée du système médiatique français, nous voilà plongés au cœur du monde des réseaux qui gouvernent aujourd’hui la production de l’information, avec ses compromissions, ses arrangements et ses lâchetés. »

Suivent des récits de censure de journalistes. De vengeances dues à des rancunes tenaces – j’ai connu cela de la part de l’un de ses pareils, des rancunes pour des riens si tenaces au long des années, et des vengeances si basses et si calculées que l’on ne peut même pas imaginer que cela existe. Le récit de l’ « achat » de la complaisance d’un journal par une espèce de chantage – c’est là que les amis puissants servent le censeur. De l’achat d’un célèbre animateur de télévision. D’une tentative d’usurpation de la paternité d’un événement. De l’achat d’un cinéaste auteur d’un article dont on a d’abord obtenu la censure. D’interventions pour que ne soit pas divulguée la sombre histoire d’adultère survenue dans son palais de Marrakech, ou encore la date de naissance d’Arielle Dombasle…

D’où vient l’argent qui permet à BHL d’asseoir son influence ? On le sait, de la Becob, l’entreprise d’importation de bois de son père. Il s’en est toujours occupé avec lui : « Rien des secrets de l’achat et de la vente de bois n’échappe au philosophe, pas même les montages fiscaux via la Suisse, qui caractérisent l’entreprise à cette époque ». « Mais à la Becob, comme à Saint-Germain-des-Prés, Bernard-Henri Lévy excelle surtout dans l’art de l’influence. Lorsque l’entreprise familiale frôle le dépôt de bilan en 1985-1986, par exemple, ses relations auprès de Pierre Bérégovoy puis d’Édouard Balladur lui permettent d’obtenir de l’État un prêt public providentiel de plusieurs dizaines de millions de francs à un prix très avantageux. » À la mort de son père, en 1995, il prend les rênes de l’entreprise, avant de la revendre deux ans plus tard à Pinault (oui, le futur propriétaire du Point où BHL a sa chronique), dans des conditions d’ailleurs litigieuses. BHL est tout à fait au courant de ce qui se passe dans son commerce. Et ce qui s’y passe relève non seulement du pillage des forêts africaines, mais aussi d’un pillage réalisé dans des conditions de quasi-esclavage des employés. Une ONG spécialisée dans la lutte contre la déforestation a enquêté au Gabon, sur l’un des sites d’exploitation de la Becob. Son témoignage est accablant. Les ouvriers sont logés « dans des niches mal aérées », ils n’ont pas d’eau potable, ce qui cause des maladies et des morts. Le livre donne des passages de son rapport :

« Les travailleurs (…) se contentent des ruisseaux et rivières pour s’alimenter en eau (…) les cadres possèdent de l’eau potable par le biais d’un château d’eau aménagé pour la circonstance tandis que les travailleurs doivent parcourir plus d’un kilomètre pour s’alimenter dans une rivière. Ces travailleurs sont exposés aux maladies car cette eau est polluée par des poussières et d’autres substances ». Les dispensaires « sont dépourvus de médicaments et, pour certains, le personnel employé est incompétent ». Une épidémie d’Ébola se déclenche pendant les deux ans où BHL est le patron du groupe, faisant quatre morts. « Les travailleurs étant considérés comme des semi-esclaves, poursuit le rapport, rien n’a été organisé dans le sens de leur épanouissement (…) seuls les cadres ont la télévision alors que les travailleurs n’ont ni télé, ni radio ». Quant à l’éducation des enfants, « c’est la catastrophe ». « Les classes sont petites et le personnel incompétent. Pour l’année 1998-1999, le pourcentage de réussite n’a pas dépassé 10 %. Cette situation a conduit les travailleurs à envoyer leurs enfants à Ndjolé, qui est à 37 kilomètres. »

« Bref, concluent les auteurs d’Une imposture française, voilà un rapport sévère pour Bernard-Henri Lévy, champion des droits de l’homme (…) D’autant qu’il le dit lui-même, en Afrique « il existe des enjeux mégastratégiques ou plutôt métastratégiques [sic], en cela qu’ils engagent notre conception de l’homme et fixent l’idée que nous nous faisons de l’espèce humaine ». La conception que l’écrivain se fait de l’espèce humaine se trouve donc décrite de façon peu amène dans l’enquête de cette ONG. »

J’ajouterai : pourquoi parle-t-il d’ « espèce humaine » quand il s’agit d’Africains, et pas quand il s’agit de Germanopratins ? Ça pue un peu, non ?

En France, l’espèce humaine est mise à mal, elle aussi. Les auteurs racontent la bonne affaire du magazine Globe, dont je passe les détails pour donner le résumé final : « L’écrivain-philosophe, qui avait investi dans le journal 3800 francs en juillet 1985, voit, lui, estimée sa participation de 38 % dans une entreprise de presse en plein déclin, à 7,6 millions de francs ! Et tant pis pour les entreprises publiques. Elf-Aquitaine, le Crédit Lyonnais et le GAN vont perdre, avec la faillite du nouveau Globe un an et demi plus tard, 37,5 millions de francs ! L’État et les contribuables y ont donc été de leur poche. »

BHL passe beaucoup de temps à s’occuper d’argent, quoiqu’il en dise. Une mauvaise opération boursière le rend « fou furieux ». « Derrière sa façade d’intello, explique Parent, le patron d’Etna Finance, c’est un allumé de l’argent, totalement obsédé par cela. » L’argent perdu dans l’opération risquée, il se le fera rembourser… en usant de menaces. Non seulement il exige que lui soit remboursé l’argent perdu dans le krach, mais aussi « un surplus de 875 000 euros, soit le gain qu’il estimait qu’il aurait réalisé si le krach américain ne s’était pas produit. La Bourse sans le risque de perte : tous les financiers de la Terre en ont rêvé. Bernard-Henri Lévy, lui, l’a fait ! »

Il y a aussi les tristes affaires simplement humaines, comme celle de ce mur qu’il a fait élever devant l’une de ses propriétés, à Tanger, privant ainsi tout le voisinage du « sublime panorama ». Tant pis pour les pauvres, et les autres en général. Il y a aussi le scandale de sa nomination par Jack Lang à la Commission d’avance sur recettes du CNC, lui permettant de sponsoriser sa femme et ses amis. Puis à la présidence du conseil de surveillance d’Arte, par Alain Carignon via Balladur. Une fois là BHL met des amis dans la place, puis il n’a plus qu’à ramasser les aides pour son propre navet. Les auteurs citent une fiche des Renseignements généraux : « Le financement public dont a bénéficié BHL pour réaliser son premier film fait l’objet des jugements les plus sévères. Le budget, estimé à 53 millions de francs, a également associé, par le biais de coproductions, France Télévisions, M6 et Arte. Ainsi des producteurs s’étonnent des interventions de M. Philippe Douste-Blazy (alors ministre de la Culture, nda) en faveur de M. Lévy afin, par exemple, qu’il bénéficie de l’Avance sur recettes contre l’avis de la Commission, ou encore pour que son film figure au programme du dernier festival de Berlin où, rappellent-ils, les professionnels l’ont hué et des critiques [une centaine] ont quitté la salle. Au-delà de cette fronde, sont également évoqués les bénéfices indus que certaines personnalités auraient réalisés à partir d’un film financé, en grande partie, par des fonds publics, conduisant la rumeur à affirmer que « ce film n’a pas été un échec pour tout le monde ». C’est ainsi (…) que M. Daniel Toscan du Plantier, président d’Unifrance, aurait perçu la somme de 250 000 francs au titre de conseiller artistique… »

Le film fait un énorme bide. « Au final, il aura coûté 726 francs (110 euros) par spectateur ». Sur les 2,5 millions de francs qu’il a avancés, le CNC n’en récupérera que 42 000. Les aventures de Bernard dans le cinéma subventionné ne s’en poursuivent pas moins, comme producteur et promoteur d’Arielle. Les échecs se poursuivent aussi, mais les subventions continuent à tomber – les bonnes personnes pour cela sont à la bonne place. Utiliser l’argent public et le laisser se perdre chagrine moins BHL que voir son propre argent menacé, décidément.

Il y a aussi l’affaire de l’Internationale de la résistance, une organisation anticommuniste créée en 1983 où BHL retrouve Sollers et Gluksmann, et qui est en fait une officine liée aux services secrets américains – elle sera utilisée entre autres pour de sales besognes politiques en Amérique Latine.

Les auteurs rendent aussi visite à Pierre Vidal-Naquet – « helléniste de haute volée, combattant infatigable de toutes les luttes pour les droits de l’homme depuis cinquante ans, premier pourfendeur de la torture en Algérie » – qui conserve à l’École des hautes Études en Sciences sociales un dossier sur BHL, selon ses propres mots « une liste d’escroqueries intellectuelles ». Les auteurs en donnent un exemple. En 1981, avant la parution de son essai L’Idéologie française, BHL cherche à « s’assurer la protection de l’une des références en matière d’antisémitisme, le professeur Léon Poliakov. » « Le vieil érudit » lui « fait la leçon » : « Votre livre est historiquement faux, non seulement, rien que par son titre, il fait passer une partie pour le tout, mais aussi parce que l’on sait bien que l’église catholique était le foyer le plus puissant des campagnes antijuives. Or pour des raisons sans doute tactiques, vous ne touchez pas à ce passé-là », s’indigne le professeur. Peu importe, BHL, sans quasiment rien changer à son manuscrit, « ajoutera à la fin de son ouvrage le nom de Poliakov comme garant de son travail ! » Le professeur racontera plus tard sa mésaventure dans une lettre restée inédite.

« L’encre est si vite sèche » est une expression récurrente dans la bouche de BHL. Il l’emploie chaque fois qu’il veut signifier que peu importe ce qu’il a écrit ou dit avant, quand on vient le lui rappeler. Mais le problème avec ses biographes est que contrairement à lui, ce sont de vrais journalistes, et ils sont en mesure (comme les vrais philosophes ou les vrais historiens pour ses essais touchant à ces disciplines) de pointer du doigt toutes ses erreurs, involontaires ou volontaires. Beau et Toscer le font pour ses reportages en Algérie (entièrement organisés par le pouvoir algérien), pour son livre sur Daniel Pearl, un livre dont la thèse est manifestement fausse et bourré de faux, dont la longue description complaisante et sadique de l’égorgement du journaliste a violemment heurté Mariane Pearl, sa veuve, laquelle dans une lettre aux auteurs appelle BHL « l’animal », « un homme dont l’ego détruit l’intelligence » – voir aussi la première partie de l’article sur ces sujets-, et sur American Vertigo, récit de son périple « tocquevillien » aux États-Unis. Les auteurs montrent comment BHL a organisé sa claque dans la presse parisienne afin de faire croire qu’il était devenu un auteur star aux États-Unis… et comment ce fut en fait très loin d’être le cas. Mais l’encre est si vite sèche, n’est-ce pas, l’important est qu’on se souvienne de la publicité, même si elle était fausse… Leur livre se termine sur une petite revue de presse américaine à propos de son American Vertigo… accablante. Et le lecteur qui comme moi vient de lire trois biographies de ce garçon en vient à se dire qu’il n’est pas seulement menteur, tricheur, manipulateur, censeur. Il est insensé.

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BHL la misère (1). Faible avec les forts, fort avec les faibles, menteur avec tous

bhlBernard-Henri Lévy a déclaré un jour que « le discours philosophique » était « étranger » aux femmes (Nice Matin, 2-10-1977). Si on le suit sur ce terrain, sachant qu’il n’est jamais devenu philosophe, on conclura qu’il doit en être une. Mais ne nous fions pas à ses décolletés plongeant sur son torse épilé, ne le suivons pas et ne tombons pas avec lui dans les stéréotypes de genre, comme on dit. Évidemment si toutes les femmes qu’il connaît ressemblent à celle qu’il a épousée, c’est-à-dire à lui-même, créature fabriquée par l’argent et pour la galerie, et non pas de ces femmes libres et actives qui lui font « éprouve(r) toujours un certain malaise, c’est vrai, à les voir comme ça, mal réveillées, trop vite maquillées, coiffées un peu de travers, le rouge à lèvres mal étalé, en train de discuter business… », alors oui nous sommes loin de la philosophie. Rappelons-nous simplement la formule de Castoriadis à propos des livres de BHL : « l’industrie du vide ». Le (vrai) philosophe a eu beau pointer « le bluff, la démagogie et la prostitution de l’esprit » ainsi que le fait de « trafiquer les idées générales », l’industrie de ce cerveau livré à tous les vents a continué à prospérer aux dépens de l’intelligence et de la vérité mais aussi, de plus en plus, aux dépens de la paix dans le monde. La fausse pensée mène à la mort, le parcours de BHL en est une illustration aussi spectaculaire qu’il est lui-même voué au spectacle. Doté d’une fortune fort mal acquise (nous y reviendrons dans la deuxième partie de cet article) et de moyens de séduction puissants, notamment constitués de renvois d’ascenseur, entouré de serviles serviteurs du monde comme il va, réunis autour de sa revue, le faux philosophe est parvenu à étendre son ambition d’établir « la règle du jeu » dans son pays et dans ceux qu’il souhaite soumettre à sa vision mortifère de l’ordre mondial. Toujours dénoncé par les penseurs et observateurs honnêtes depuis son apparition sur la scène médiatique il y a quarante ans, il a continué à sévir malgré tout, et à devenir de plus en plus nuisible. C’est pourquoi il faut sans cesse redire les vérités nécessaires sur ce personnage de Guignol qui déclarait au Monde en 1985 « je considère que je suis l’écrivain le meilleur, l’essayiste le plus doué de ma génération »… et je le ferai ici en m’appuyant sur trois ouvrages : Le B.A BA du BHL, par Jade Lindgaard et Xavier de La Porte, paru en 2004 à La Découverte ; BHL, une biographie par Philippe Cohen, paru en 2005 chez Fayard ; et Une imposture française, paru en 2006 aux Arènes. (Trois livres trouvés à la bibliothèque mais peut-être en utiliserai-je d’autres par la suite).

Il a soutenu Sarkozy puis la Hollandie, se dit de gauche mais prend systématiquement le parti des puissances de l’argent. En 2001, au moment du G8, il traite de « voyous publics » les altermondialistes qui osent dénoncer les nuisances de la finance. Quand au contre-sommet de Göteborg, la police tire sur les manifestants, il agonit non la police mais ces manifestants qui « déferlent » contre ces malheureux « grands argentiers mondiaux » et « décideurs européens ou occidentaux » qui ont tout son respect. En 2003, il écrit : « L’alter des altermondialistes ce n’est pas la justice, c’est l’enfer. »

Quand il écrit, BHL croit qu’il « compose », comme un musicien. Mais il ne fait que poser, comme on pose sa crotte – symbole freudien du fric. Sa crotte, avec son arrogance. « Oui, bien sûr, je connais le Pakistan (…) il n’était pas né que j’étais déjà là », écrit-il d’un chauffeur de taxi pakistanais dans Qui a tué Daniel Pearl ? Une arrogance fleurant le racisme de classe et de « race » qui résume tout le personnage – dans son appartement du boulevard Saint-Germain, entre autres demeures de luxe, son majordome en livrée est sri-lankais. Lors du tournage de son navet, une journaliste rapporte, à propos d’une scène « importante » : « il comprend qu’il est impensable d’en confier le tournage au steady-cameur, si génial soit-il. BHL endosse alors les 40 kilos de matériel » et finit « perclus de douleurs musculaires », le pauvre – le reste du temps, le personnel peut bien se coltiner le matériel, on ne s’inquiète pas de ses courbatures, car même s’il arrivait qu’il soit génial, qu’est-il à côté de BHL ? Quelque chose comme « la vilaine », quand, pour changer des belles, il la drague, et qu’elle est alors « si éberluée de ce qui lui arrive », se glorifie-t-il dans un livre de dialogue avec Françoise Giroud. Elle bien sûr n’est pas une vilaine mais une alliée, comme tant d’autres dont les amitiés stratégiques avec BHL vont de l’allégeance à la complicité rouée – les Moix, Savigneau, Sollers et autres SOS Racisme… mais aussi Plenel, qu’on attendrait moins sur ce radeau de luxe (radeau de la Méduse quand même, à mon sens). BHL est par ailleurs toujours là pour défendre ses partenaires d’affaires, les puissants et les riches, les politiques et les industriels, quand des révélations les accablent. Être ami de Pinault et de Lagardère, des présidents et des ministres à mesure qu’ils se succèdent, implique le sens du combat, d’un certain combat pour le maintien des privilèges aux privilégiés, contre « la clameur populiste, le cri de joie des tarentules » et contre « la justice-spectacle » de « cette France » qui « n’en finit pas d’accabler ses propres élites » (Le Point, mai 2000).

Et s’il défend des « faibles », il faut que cela lui serve. Il peut par exemple débouler dans une réunion où il n’était pas invité, avec ses photographes, pour prendre la parole et voler la vedette, au mépris des autres personnes présentes – comme il le fit en juin 1993 à la Maison des Écrivains où des intellectuels, notamment algériens, s’étaient retrouvés pour se mobiliser contre les crimes islamistes qui s’étaient produits en Algérie. Quant à la campagne de promotion des généraux algériens par BHL à la fin des années 90, honteusement relayée par Le Monde et Arte, elle fut qualifiée par Pierre Bourdieu d’ « opération de basse police symbolique », « bien faite pour donner satisfaction à l’apitoiement superficiel et à la haine raciste, maquillée en indignation humaniste »(Contrefeux).

Toujours dans la même logique de force envers les faibles et de faiblesse envers les forts, BHL s’en prend régulièrement aux jeunes de banlieue, où il voit beaucoup de « salopards », mais il soutient le pape et l’Église. Pas dupe, le général bosniaque Divjad, dont BHL a fait un héros, a déclaré à un journaliste de Canal Plus : « Tout ce qu’il a fait pour la Bosnie, c’est pour lui. »

En 2003 à la Mutualité il refait le coup de l’intrusion, lors d’un meeting en soutien à l’accord de Genève. Son rôle dans la conclusion de cet accord est plus que douteux mais il se met en scène et se félicite un peu rapidement que « pour la première fois, dans ce plan, des Palestiniens renoncent à ce mirage dont ils avaient entretenu leur peuple, qui est le mirage du droit au retour ». BHL pratique les petits arrangements entre amis, mais aussi des petits ou gros arrangements avec la vérité, comme dans l’histoire du commandant Massoud qu’il se vanta, abondamment et faussement, d’avoir rencontré en Afghanistan en 1981. De même son « romanquête » sur l’assassinat de Daniel Pearl est-il truffé de faux, soit erreurs factuelles, soit transformations délibérées de la vérité, soit enjolivements destinés à servir le personnage légendaire que l’auteur veut faire de lui-même. Donnant encore une fois l’impression pénible de tout récupérer à son profit, y compris les morts. Lindgaard et La Porte détaillent dans leur livre quelques-unes des plus grosses « erreurs » du best-seller de BHL. Faut-il mettre cela sur le compte du « romanquête », de la liberté romanesque mélangée à l’enquête ? Il s’avère que ce mot-valise inventé par l’auteur pour servir ses arrangements avec la vérité n’est qu’un cache-misère. BHL a soutenu à la télévision que son livre ne comportait que deux scènes romancées, celle la décapitation de Daniel Pearl et celle de son monologue intérieur la veille de son exécution. « Le reste, c’est une enquête », a-t-il dit. Une enquête pleine de faux, donc, qui se fait passer pour vrai. Le manque de critique sur ce livre, sur ce procédé, sur ces manipulations, sur ces bidonnages, sur cette imposture, signe ce que les auteurs appellent « la faillite des médias français ». C’est que le livre, analysent les auteurs, est « au diapason des médias » en ce qui concerne « déformation des faits, exagération forcenée de la réalité du péril terroriste, catastrophisme, xénophobie et islamophobie latentes », et du coup « cautionne ce même discours » et alimente la thèse du choc des civilisations, que BHL nourrit à fond tout en la réfutant.

412XWJGZRZL._SY344_BO1,204,203,200_Philippe Cohen, qui écrit sans animosité contre son sujet, raconte pour commencer les pressions, intimidations voire menaces exercées par BHL quand il a eu connaissance de son projet de biographie – puis comment, constatant qu’il ne parvenait pas à l’en détourner, il s’est résigné, après six mois, à lui accorder cinq entretiens. Ce qui préoccupe Cohen, c’est que le « phénomène » BHL « nous avise de ce qui nous guette : l’aspiration du livre par le monde du spectacle, des apparences et du divertissement, son enfouissement dans une facticité que, quoi qu’il en soit, BHL incarne sans doute davantage et mieux que quiconque. »

« Depuis plus de trente ans, écrit plus loin Cohen, il a semé des dizaines et des dizaines de semi-vérités ou de contre-vérités, avérées ou par omission, comme autant de petits cailloux sur le chemin de sa félicité médiatique. » Et de détailler combien il est difficile pour le biographe de distinguer le vrai du faux dans la pléthore d’anecdotes et souvenirs semés par BHL pour établir sa « légende ». Il évoque quelques-uns de ses mensonges, qui semblent confiner parfois à la mythomanie. Et se manifestent aussi dans sa façon d’écrire : ce que Cohen appelle par euphémisme « des ruses littéraires osées », à savoir quelques plagiats ou fausses références d’auteurs. Même le coup de la chemise blanche aurait été copié de Gonzague Saint-Bris, qui dit avoir changé de tenue suite à ce « plagiat vestimentaire ». Jeune, BHL est souvent parti d’hôtels de luxe au Mexique et en Inde sans payer ; il aurait eu aussi pour habitude de voler dans les magasins de vêtements. Il n’était pourtant pas désargenté, très loin de là. Kleptomanie ou radinerie ? Cohen subodore « une habitude d’impunité » et observe que « BHL se vit, si ce n’est comme « au-dessus », du moins comme « à côté » ou même « en dehors » des lois. Par ailleurs il pratique « de judicieux placements boursiers » qui lui permettent « de doubler, voire tripler, son patrimoine. En 2000, il est soupçonné d’un délit d’initié par la Commission des Opérations de Bourse, et convoqué par le juge Philippe Courroye. Cohen raconte d’autres faits montrant la capacité de BHL à jongler avec la finance, spécialité nous dit-il à laquelle il a dû s’intéresser « par nécessité » (le fait d’avoir à gérer un énorme pactole). Au passage, il signale que sa fille Justine ment sur son âge – comme son ami Houllebecq, ajouterais-je– fait de peu de gravité, mais pourquoi ? Il ne s’agit pas de se poser en juges de personnes aux comportements assez courants, mais de se demander ce que signifie l’allégeance au mensonge de gens prétendant révéler des vérités au monde, et de s’interroger sur la fiabilité de leur pensée. Le long chapitre de Cohen sur les mensonges de BHL s’ouvre par une citation de Sollers vantant le fait d’abuser son biographe. Or ce n’est pas seulement le biographe qui est abusé, mais tous les lecteurs de ces figures médiatiques dont l’être et la pensée sont complètement factices. Et nous l’avons vu depuis la parution de ces biographies, le pouvoir de nuisance de cette facticité ne fait que croître dans les faits, induisant des politiques mortifères notamment au Moyen Orient avec l’intervention française en Libye, dont les conséquences restent incalculables, au-delà même de toute une région du monde mise à feu et à sang.

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Bernard-Henri Lévy, serpent d’airain à l’ancienne

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Moïse et le serpent d’airain, par Sébastien Bourdon, 1653

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« Il faut quitter Sotchi », clame Bernard-Henri Lévy. Le choix de quitter Sotchi est défendable, mais pas par lui. Qu’il commence par dire « il faut qu’Israël quitte la Palestine », s’il veut que sa parole ait quelque crédibilité. La vérité est non pas qu’il aime le peuple ukrainien, ou le peuple lybien, ou le peuple syrien, mais qu’il déteste Poutine et tous ceux qui ne servent pas Israël.

La Bible rapporte l’histoire du serpent d’airain que Moïse éleva sur un piquet au désert afin que son peuple, en le regardant, puisse guérir des morsures des serpents. Jean compara Jésus élevé sur la croix au serpent d’airain élevé par Moïse : regarder le Christ crucifié devrait suffire à guérir les hommes de leur mauvaiseté. Il faut croire que bien peu le regardent vraiment. Il est peut-être plus accessible de commencer à guérir selon l’ancienne méthode, celle de l’Ancien Testament : en élevant quelqu’un qui ait une figure de serpent : s’il est trop difficile d’ouvrir les yeux sur le vrai (Jésus), qu’au moins on commence par les ouvrir en voyant le faux pour ce qu’il est, du faux. BHL, comme archétype de la parole séductrice, calculatrice, manipulatrice (ce qui fait aussi le caractère du serpent dans la Bible), peut être élevé comme le serpent d’airain afin de prévenir et vacciner le peuple contre tous les serpents dont il est emblématique.

Les falsificateurs (BHL et consorts)

En 1979, suite à la dénonciation par l’éminent historien Pierre Vidal-Naquet des nombreuses erreurs grossières et falsifications du livre de Bernard-Henri Lévy Le Testament de Dieu, Cornélius Castoriadis écrivit à son tour une vigoureuse et lucide dénonciation du système de l’auteur vedette, « quelqu’un qui occupe les médias presque autant que la « bande des quatre » et pour y produire un vide de la même qualité ». Le dossier complet, avec les lettres des uns et des autres, est à lire sur le site de Pierre-Vidal Naquet. Je conseille vivement de le lire entièrement (y apparaît aussi la propension au plagiat de BHL) ou de le relire. Car ce qui y est décrit n’a fait, trente-cinq ans après, qu’empirer. Ce qui était en train de monter, maintenant règne. Ce pourrissement des élites dont je parlais un peu plus tôt dans la journée – et bien sûr il faut désormais entendre « élites » entre guillemets. Car les hommes honnêtes, les vraies élites existent, mais le système les occulte. Et accepter de collaborer à ce système, ne serait-ce qu’en se taisant, c’est bafouer la dignité de l’homme, cette fameuse dignité dont nous rebattent les oreilles ceux qui souvent en ignorent tout. Je relève dans le texte passionnant de bout en bout de Castoriadis ce passage :

Dans la « République des Lettres », il y a – il y avait avant la montée des imposteurs – des mœurs, des règles et des standards. Si quelqu’un ne les respecte pas, c’est aux autres de le rappeler à l’ordre et de mettre en garde le public. Si cela n’est pas fait, on le sait de longue date, la démagogie incontrôlée conduit à la tyrannie. Elle engendre la destruction – qui progresse devant nos yeux – des normes et des comportements effectifs, publics sociaux que présuppose la recherche en commun de la vérité. Ce dont nous sommes tous responsables, en tant que sujets politiques précisément, ce n’est pas de la vérité intemporelle, transcendantale, des mathématiques ou de la psychanalyse ; si elle existe, celle-ci est soustraite à tout risque. Ce dont nous sommes responsables, c’est de la présence effective de cette vérité dans et pour la société où nous vivons. Et c’est elle que ruinent aussi bien le totalitarisme que l’imposture publicitaire. Ne pas se dresser contre l’imposture, ne pas la dénoncer, c’est se rendre coresponsable de son éventuelle victoire. Plus insidieuse, l’imposture publicitaire n’est pas, à la longue, moins dangereuse que l’imposture totalitaire. Par des moyens différents, l’une et l’autre détruisent l’existence d’un espace public de pensée, de confrontation, de critique réciproque. La distance entre les deux, du reste, n’est pas si grande, et les procédés utilisés sont souvent les mêmes. Dans la réponse de 1’auteur, on retrouve un bon échantillonnage des procédés de la fourberie stalinienne. Pris la main dans le sac, le voleur crie au voleur. Ayant falsifié l’Ancien Testament, il accuse Vidal-Naquet de falsification à ce même propos, et à ce même propos il se refalsifie lui-même (prétendant qu’il n’a pas écrit ce qu’il a écrit et renvoyant à d’autres pages qui n’ont rien à voir). On retrouve aussi les mêmes procédés d’intimidation : voyez-vous, désormais, relever les erreurs et les falsifications d’un auteur relève de la « délation », du « rapport de police », du « caporalisme savant » et des tâches de « procureur ». (Ainsi, Marchais engueule les journalistes : « Messieurs, vous ne savez pas ce qu’est la démocratie. »)

Ce qui importe n’est pas, évidemment, le cas de la personne, mais la question générale que Vidal-Naquet posait à la fin de sa lettre et que je reformulerai ainsi : sous quelles conditions sociologiques et anthropologiques, dans un pays de vieille et grande culture, un « auteur » peut-il se permettre d’écrire n’importe quoi, la « critique » le porter aux nues, le public le suivre docilement – et ceux qui dévoilent l’imposture, sans nullement être réduits au silence ou emprisonnés, n’avoir aucun écho effectif ?

Question qui n’est qu’un aspect d’une autre, beaucoup plus vaste : la décomposition et la crise de la société et de la culture contemporaines. Et, bien entendu aussi, de la crise de la démocratie. Car la démocratie n’est possible que là où il y a un ethos démocratique : responsabilité, pudeur, franchise (parrésia), contrôle réciproque et conscience aiguë de ce que les enjeux publics sont aussi nos enjeux personnels à chacun. Et, sans un tel ethos, il ne peut pas y avoir non plus de « République des Lettres » mais seulement des pseudo-vérités administrées par l’État, par le clergé (monothéiste ou non), par les médias.

Guignol au jardin du Luxembourg (BHL et l’Ukraine)

Et de nouveau BHL histrionne dans Le Monde, s’adressant, cheveux au vent et dépoitraillé comme une Marianne guidant le monde, au peuple ukrainien qui lui sert de repoussoir contre Poutine, lequel on le sait ne sert pas Israël et empêche qu’on ne fasse en Syrie ce qui a été fait en Lybie. Glissant au passage sa petite quenelle molle (pléonasme, faut-il le rappeler aux amateurs de ce geste) parmi les puissants de ce monde, lui n’en étant pas mais voulant tant en être, ceux qui sont aux rênes tandis que lui est, pour parler métaphoriquement, sur leur oreiller, jouant de sa séduction pour influencer les hommes de décision – sa petite quenelle, disais-je, consistant en une grosse allusion au fait qu’il sait ce que va dire Hollande à Obama sur l’Ukraine, puisque sans doute lui-même le lui a soufflé ; et terminant en souhaitant à ce peuple bienvenue en Europe, comme s’il était le maître du château.

Il me souvient de la Lybie où devant les caméras il joua des coudes à l’arrière pour être visible entre Sarkozy et Cameron, revenant après qu’on l’eut prié de se pousser, arrangeant ses lunettes noires, son col ouvert de chemise blanche et ses cheveux, toujours au vent. Toujours là pour libérer les peuples – dommage que je ne puisse l’en féliciter, chaque fois que j’ai voulu commenter un article de son site ou l’une de ses chroniques dans son hebdomadaire, j’ai été censurée, quoique je signe de mon nom et sans rien dire qui tombe sous le coup de la loi. Mais pour la liberté de parler nous sommes tous égaux, surtout certains, les détenteurs d’argent et de réseaux, toujours prompts à faire taire qui ne les sert pas et à se poser en libérateurs de qui leur sert, volontairement ou non, de brosse à se faire reluire.

La fraternité des parrains et des parrainés (aux dépens de qui ?)

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Mineur silicosé âgé de 47 ans, peu avant sa mort, photographié par Willy Ronis en 1951

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Bernard-Henri Lévy, toujours aussi comique, et plus que Dieudonné mais sans le faire exprès, appelle cette semaine à « la fraternité ». B-H-L figure de la fraternité ! Il n’y en avait qu’un pour être capable d’imaginer ça : lui-même ! Vu d’ailleurs que de lui-même, la fraternité des possédants et des occupants de l’espace médiatico-politique, ça s’appelle la mafia.

Fabrice Hadjadj, « philosophe » « chrétien », qui se vanta dans un livre d’avoir une âme de lyncheur de femmes jusqu’à ce que mort s’ensuive, et qui a mis son talent en œuvre dernièrement en lynchant bassement dans la presse deux femmes anonymes qui ont écrit un livre sur le sexisme de l’Église, vient d’être nommé par le bon papa François à je ne sais plus quel bon poste dans l’Église. Que beaucoup de femmes le supplantent dans le génie, il n’y peut rien, mais voilà au moins une place qu’elles ne lui prendront pas ! C’est efficace pour entraver l’honnêteté dans le monde, la fraternité des hommes ligués contre le génie des hommes et des femmes.

L’hebdomadaire catholique La Vie nous informe aussi que le comité interreligieux de la famille franciscaine appelle aujourd’hui au jeûne contre le racisme : à savoir l’antisémitisme et le racisme qui s’est exprimé à l’égard de Mme Taubira. L’appel en question n’étant pas donné en lien, j’ignore si ce sont les franciscains qui se sont limités à ces deux cas, ou bien le magazine qui ne voit que ce qui l’intéresse, les personnes de pouvoir. Ce serait bien aussi de penser aux victimes du racisme pauvres et démunies de voix et de parole, les Roms, les migrants, les Arabes, les Noirs, les musulmans… Ceux dont B-H-L ni les autres carriéristes d’alentour ne parlent jamais, quoiqu’ils vantent « la fraternité ».

Castes

Après Céline au pilori, Dieudonné au pilori. Le plus grand écrivain de son temps, le meilleur humoriste de sa génération, tombés dans l’antisémitisme obsessionnel, et devenus les bêtes noires des bien-pensants. Trop heureux d’avoir l’occasion de s’en prendre à qui et à ce qui les dépasse. De voir l’affaire avec des œillères bien larges et bien épaisses. Autant qu’on sache, ni Céline ni Dieudonné n’ont jamais fait de mal à personne. Ils ont eu des paroles qu’il ne fallait pas avoir, des paroles que la censure réprouve. Un Bernard-Henri Lévy, par exemple, a de belles paroles, avec lesquelles il sème la guerre, la mort, le chaos. Ses amis sont légion, ce sont les régnants. Le petit peuple, lui, va écouter Dieudo, parce que Dieudo, c’est une autre parole que celle des régnants. Et personne n’apporte une parole au petit peuple. Le petit peuple en général ne connaît pas de juifs, on les rencontre peu dans ce milieu (la première fois que j’ai rencontré un juif, j’avais vingt-cinq ans), les juifs dont parle Dieudonné sont juste pour le petit peuple les représentants de la caste insolente et malhonnête des politiques, des financiers et des médiatiques qui étouffent le peuple comme Israël étouffe le peuple palestinien, de tous ces dominants dont la domination tient sur des réseaux, des lobbies, ceux qui ont décidé qu’ils étaient maîtres de la règle du jeu.

Ceux qui décident qui a le droit de parler, et qui n’en a pas le droit. Qui a le droit de gagner sa vie, voire beaucoup plus que ça, et qui n’en a pas le droit. Ceux qui lancent des fatwas dans les journaux bien plus efficaces que celles de n’importe quel cheikh. La caste de ceux qui ont pris possession de la parole et créent la caste de ceux à qui ils suppriment le droit à la parole. Toute une presse et tout l’État lancés dans la chasse à l’homme. Le Noir, écrivait en son temps Milena Jesenska, n’est pas forcément l’homme qui a la peau noire, mais tout homme discriminé, pour quelque raison que ce soit – le fait qu’il soit juif, ou pauvre, ou qu’il ne professe pas la parole dominante. À l’autre bout du spectre nous pourrions dire que dans un certain imaginaire le Juif est devenu, symboliquement, non pas forcément l’homme de confession juive, mais tout homme discriminant, riche, professant la parole dominante – qu’il soit athée, catholique, protestant, juif ou n’importe quoi d’autre. La preuve en est que ce sont ceux-là qui sont unis comme un seul homme dans la chasse à un seul homme. Ceux-là qui justifient l’atteinte à la démocratie, à la liberté d’expression, à la République, à la justice, pour empêcher un homme de parler (et maintenant il est question de faire interdire aussi ses vidéos).

Le pays est malade. Si j’étais président, je ne songerais pas à sortir la nuit pour me livrer à des aventures romantiques ou autres, je resterais au chevet de mon pays, je travaillerais d’arrache-pied à le guérir, je travaillerais pour le peuple, je ferais mon devoir. Là où je suis, je le fais, comme chacun de nous doit le faire là où il est, comme le boulanger doit travailler la nuit pour fournir du bon pain.