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Peut-être les hommes préhistoriques traçaient-ils dans les grottes des lignes superposées parce qu’ils avaient remarqué, ou senti, le phénomène de la superposition des phénomènes ? Par exemple, quelque chose se passe dans tel espace, et se repasse, de façon décalée mais très comparable, dans tel autre espace, pour un même être situé dans les deux espaces. Si ce quelque chose est chargé de morbidité et si les deux espaces se rencontrent et se renforcent mutuellement, alors le risque mortel devient plus grand. Nos ancêtres préhistoriques, comme nous avaient besoin d’apprendre à réchapper des risques mortels, et la superposition des traits pouvait être, consciemment ou non, une expression conjuratoire du risque, parce qu’elle était d’abord le signe d’une connaissance.
Ce que je dis là peut paraître obscur. C’est en cherchant des exemples concrets correspondant à la situation que j’indique qu’on peut le comprendre. Que chacun peut le comprendre en le rapportant à quelque chose qui se serait passé, dans son existence ou dans celle d’un autrui, et dont il aurait connaissance. Par exemple, le texte de ma précédente note pourrait être écrit de façon similaire avec un il à la place du elle et d’autres indices factuels, sans que le sens général, sans que la nature profonde du phénomène en question ne change. La littérature repère des trajets, des lignes existentielles et inter-existentielles, et les transpose en lignes tracées. Jacques Bouveresse écrit :
« Si on a souvent parlé de « littérature pure » à propos de Proust, on aurait tout aussi bien pu parler de la Recherche comme d’une entreprise de « connaissance pure ». Le terme « pur » renvoie ici à ce que Thibaudet voulait dire quand il a écrit qu’ « il y a chez Proust une fusion d’éléments pareillement rebelles à tout pli professionnel : vie mondaine pure, psychologie pure, littérature pure ». La connaissance pure est une connaissance qui, comme c’est le cas justement de celle de l’écrivain, ne comporte rien de spécialisé et de professionnel, ne raisonne pas en fonction des conséquences et des applications pratiques, et ne se préoccupe que de la vérité. Se détourner de la recherche de celle-ci revient, pour Proust, à se détourner de la littérature elle-même ; et c’est ce que font ceux qui s’efforcent de la mettre au service d’objectifs qui, en réalité, ne constituent que des prétextes pour s’éloigner d’elle et échapper à ses exigences, comme la description exacte des faits ou de la réalité, le triomphe du droit, l’intérêt de la nation, etc. L’artiste ne peut servir sa nation qu’en tant qu’artiste, par la contribution qu’il apporte à la connaissance, au sens indiqué, « c’est-à-dire qu’à condition, au moment où il étudie ces lois, institue ces expériences et fait ces découvertes, aussi délicates que celles de la science, de ne pas penser à autre chose – fût-ce à la patrie – qu’à la vérité qui est devant lui » [Bouveresse cite ici Thibaudet in Réflexions sur la littérature]
Jacques Bouveresse, La connaissance de l’écrivain. Sur la littérature, la vérité et la vie, éd Agone, 2008
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