Les Indes Galantes, le film – merveilleux film

J’ai exulté et dansé sur mon siège au cinéma en regardant le fantastique film Les Indes galantes, documentaire de Philippe Béziat autour de la création donnée à l’Opéra Bastille en 2019 avec des danseurs et danseuses de krump et autres street dances sur la musique éponyme de Jean-Philippe Rameau. Hélas je n’ai pas vu l’opéra à l’époque, mais heureusement ce film est là pour en restituer l’histoire, dans la mise en scène de Clément Cogitore et la chorégraphie de Bintou Dembélé, avec le formidable chef d’orchestre Leonardo García Alarcón, de puissantes chanteuses et chanteurs solistes, un très excellent chœur.., toutes ces personnes et les autres travaillant manifestement en chœur dans une magnifique vitalité artistique. Le film montre très bien toute l’humanité du projet aussi, avec des artistes issus d’un peu partout, qui font le Paris d’aujourd’hui – la France d’aujourd’hui, jeune et puissante quand on ne l’empêche pas d’exprimer ses talents. Moment émouvant, quand une jeune danseuse fait écouter un chant traditionnel de la tribu amérindienne de sa grand-mère, qui a vécu dans la forêt, et que le réalisateur met en évidence la continuité entre ce chant, cette musique, et celle de Rameau. Moment exaltant, quand après avoir dansé en répétition la scène des « Forêts paisibles », après la fin les danseurs continuent à danser, emportés par leur pure joie. Je me régalais de tout cela, et je pensais après avoir vu ça, je peux mourir avec au cœur la joie de savoir que l’humanité que j’aime est toujours en route. Et puis aussi, je me disais, je vais encore faire quelque chose de grand, je le sens, tout mon corps, tout mon esprit le préparent.
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Forêts paisibles, « appropriation culturelle » et Krump

Dans la suite de l’appel à la liberté de Forêt profonde (note précédente), deux interprétations du joyeux et merveilleux rondeau des « forêts paisibles » dans les Indes galantes de Jean-Philippe Rameau. Celle-ci, dans une mise en scène d’Andrei Serban, décor et costumes de Marina Draghici, direction des Arts florissants par William Christie, avec Patricia Petibon et Nicolas Rivenq :

 

 

Une interprétation régulièrement accusée d’ « appropriation culturelle », avec des arguments tels que « Atrocious, inexcusable and insulting cultural misappropriation. Seriously, Europe, you gotta do better. C’est affreux ». Ou encore : « mise en scène grotesque qui ne passerait plus aujourd’hui, en tout cas au Canada et Etats-Unis. Les Indiens ne sont pas identifiés, de quelle nation s’agit-il ? En fait ce sont des indiens imaginaires stéréotypés et ridiculisés, tels que vus par des européens qui n’y connaissent rien. Le calumet de certaines tribus (qui prend des formes différentes) est remplacé par une pipe. L’héroïne porte un chapeau de plumes (ces chapeaux ne sont portés que par des hommes de certaines tribus, et pas par des femmes). Les danses sont ridicules, etc, etc. »

Accusations auxquelles j’ai apporté ces réponses, dans les commentaires de la vidéo : Ne confondez pas imaginaire et réalité ! Ou bien vous détruisez toute la littérature et tout l’art, comme les intégristes religieux. Si vous les trouvez ridiculisés, c’est votre regard qu’il faut interroger pour savoir où est le racisme. Moi je les trouve extrêmement gracieux. J’ai déjà été confrontée à cette réaction de Nord-Américains, là-bas le concept d’appropriation culturelle est le nouveau tabou. Mais personne ne trouve rien à redire aux westerns spaghetti, par exemple. Et les Amérindiens portent des jeans ou des chapeaux de cow-boys sans qu’on crie à l’appropriation culturelle. C’est de l’iconoclasme à géométrie variable.

Voici maintenant ce même rondeau, dit « baroque » (ne perdons pas de vue que cette qualification est elle-même une interprétation datant de l’époque moderne) mis en scène par Clément Cogitore avec des danseurs de Krump, style de hip-hop violent inventé dans les ghettos de Los Angeles, sur une chorégraphie de Bintou Dembele, Grichka et Brahim Rachiki. Ici cette dernière entrée de l’opéra-ballet intitulée « Les Sauvages » trouve sa grâce dans une expression plus terrienne, plus chtonienne des habitants de la forêt (n’oublions pas que sauvage signifie, étymologiquement, « de la forêt »). Le Krump est une danse révolutionnaire, qui dit la rage et la joie de vivre de jeunes générations grandies dans un monde hostile, qu’elles parviennent à dépasser comme la nature sort de terre au printemps. Une sorte de Sacre du printemps.

 

 

Vinceremos.

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