Action et contemplation vs puissances cyniques et séculières

Photo Alina Reyes

 

« Il n’y a pas contradiction entre action et contemplation, quand l’activité apostolique chrétienne s’élève au niveau de la pure charité. À ce niveau, l’amour de Dieu et l’amour de notre frère dans le Christ font qu’action et contemplation ne sont plus qu’une seule et même réalité. Mais le problème est que, si la prière elle-même n’est pas profonde, forte, pure, et pleine à tout moment de l’esprit de contemplation, l’activité chrétienne ne peut jamais parvenir effectivement à ce haut niveau.

Si notre culte tout entier n’est pas pénétré de l’esprit de contemplation – c’est-à-dire d’adoration et d’amour de Dieu par-dessus tout pour lui-même parce qu’il est Dieu – la liturgie ne nourrira pas un apostolat réellement chrétien fondé sur l’amour du Christ et exercé dans la puissance du Pneuma.

Le besoin le plus grand du monde chrétien d’aujourd’hui est celui de cette vérité intérieure, nourrie par un tel Esprit de contemplation : la louange et l’amour de Dieu, l’attente fervente de la venue du Christ, la soif de la manifestation de la gloire de Dieu, de sa vérité, de sa justice, de son Royaume dans le monde. Ce sont là toutes les aspirations typiquement « contemplatives » et eschatologiques du coeur chrétien et elles constituent l’essence même de la prière monastique. Sans elles notre apostolat est bien plus au service de notre gloire personnelle qu’au service de la gloire de Dieu.

Sans cette orientation contemplative, les églises que nous construisons ne sont pas pour louer Dieu, mais pour consolider les structures sociales, les valeurs et les avantages dont nous jouissons actuellement. Sans cette base contemplative à notre prédication, notre apostolat n’est pas du tout un apostolat ; il n’est qu’un pur prosélytisme en vue d’amener l’univers entier à se conformer à notre façon de vivre nationale.

Sans contemplation ni prière intérieure, l’Église ne peut pas accomplir sa mission de transformer et de sauver l’humanité. Sans contemplation, elle sera réduite à n’être que la servante de puissances cyniques et séculières, alors même que ses fidèles proclameront très haut qu’ils combattent pour le Royaume de Dieu.

Sans aspirations vraiment et profondément contemplatives, sans amour total de Dieu et sans une soif intransigeante de sa vérité, la religion risque de n’être, en fin de compte, qu’un narcotique. »

Thomas Merton, Les voies de la vraie prière, éditions du Cerf, pp 145-147

 

« Et ce monde n’est pas malpropre parce qu’il vit seulement mal en façade, mais parce que souterrainement et occultement il cultive et maintient le mal.
Le mauvais esprit est une goule aussi matérielle et aussi sûre que les méduses de la mer. »

Antonin Artaud, Textes écrits en 1947, in Oeuvres, Quarto Gallimard, p.1541

« Car ce n’est pas à force de chercher l’infini que Van Gogh est mort,
qu’il s’est vu contraint d’étouffer de misère et d’asphyxie,
c’est à force de se le voir refuser par la tourbe de tous ceux qui, de son vivant même, croyaient détenir l’infini contre lui ;
et Van Gogh aurait pu trouver assez d’infini pour vivre pendant toute sa vie si la conscience bestiale de la masse n’avait voulu se l’approprier pour nourrir ses partouses à elle, qui n’ont jamais rien eu à voir avec la peinture ou avec la poésie. »

Antonin Artaud, Van Gogh le suicidé de la société, in Oeuvres, Quarto Gallimard, p. 1462

 

« Un beau geste m’a touché, profondément touché. Écoute. J’avais dit à mon modèle de ne pas venir aujourd’hui – sans lui avouer pourquoi. La pauvre femme s’est amenée quand même et, comme j’ai protesté : « Oui mais », m’a-t-elle répondu, « je ne viens pas poser, je viens voir si vous avez quelque chose à manger. » Elle m’avait apporté une portion de haricots verts et de pommes de terre. Il y a tout de même des choses admirables dans la vie. »

Vincent Van Gogh, lettre non datée in Lettres à son frère Théo, L’Imaginaire Gallimard, pp 169-170