« Le courage de la vérité », par Michel Foucault (6). Maladie et guérison

à Istanbul, photo Alina Reyes

 

Continuons notre lecture du dernier cours du philosophe, prononcé au Collège de France entre février et mars 1984, quelques mois avant sa mort, et publié par Gallimard/Seuil dans la collection Hautes Études.

« Socrate (…), d’un bout à l’autre de son existence, s’est toujours considéré comme une sorte de soldat parmi les citoyens, ayant à chaque instant à lutter, à se défendre et à les défendre. Or quel est l’objectif de cette mission ? (…) c’est, bien sûr, de veiller en permanence sur les autres, de s’occuper d’eux comme s’il était leur père ou leur frère. Mais pour obtenir quoi ? Pour les inciter à s’occuper, non de leur fortune, non de leur réputation, non de leurs honneurs et de leurs charges, mais d’eux-mêmes, c’est-à-dire : de leur raison, de la vérité et de leur âme. » (p.79) « Ce courage de la vérité, il doit l’exercer sous la forme d’une parrêsia non politique, une parrêsia qui se déroulera par l’épreuve de l’âme. Ce sera une parrêsia éthique. » (p. 83)

« Vous connaissez ce texte. Je vous le relis tout de même : « Socrate découvrit alors son visage – car il se l’était couvert – et dit ces mots, les derniers : « Criton, nous devons un coq à Asklépios. Payez ma dette, n’oubliez pas » […la dette ; la traduction dit ma dette… et Dumézil ne serait pas content] » (p. 88) « …Depuis presque deux mille ans, vous avez cette interprétation de la dernière parole de Socrate comme étant celle qui recommande un sacrifice pour remercier le dieu qui est là, présent, veillant sur cette mort, d’avoir affranchi Socrate de cette maladie qu’est la vie. » (p. 90)

Or Dumézil avance une autre démonstration, que reprend Foucault. La maladie dont parle Socrate dans ses derniers mots n’est pas la vie – il ne l’a jamais considérée comme telle – mais la corruption de l’âme. « …S’il est vrai qu’elle est produite par l’opinion fausse, l’opinion de tous et de n’importe qui, c’est l’opinion armée par l’alêtheia, c’est le logos raisonnable (…) qui sera capable d’empêcher cette corruption ou de faire revenir l’âme de son état de corruption à un état de santé. On peut donc bien supposer que cette maladie, pour la guérison de laquelle on doit un coq à Asklépios, c’est celle dont précisément Criton a été guéri lorsque, dans la discussion avec Socrate, on a pu s’affranchir et se libérer de l’opinion de tous et de n’importe qui, de cette opinion capable de corrompre les âmes, pour, au contraire, choisir, se fixer à et se décider par une opinion vraie fondée sur le rapport de soi-même à la vérité. » (pp 96-97)

Et « Dumézil établit et renforce l’analogie entre la détérioration du corps et la détérioration de l’âme [par la référence à] d’autres textes, l’un qu’il emprunte à l’Antigone de Sophocle et l’autre à l’Agamemnon d’Euripide. » (p.97)

« En tout cas, je crois qu’on pourrait ajouter à ces explications de Dumézil ceci : c’est un trait qui marque toute la dramaturgie des dialogues platoniciens, quels qu’ils soient, que tout le monde dans la discussion se retrouve solidaire de l’entreprise de discussion. Et Socrate a bien des occasions de le dire dans d’autres dialogues : si le mauvais discours triomphe, c’est une défaite pour tous, mais si c’est le bon discours qui triomphe, c’est tout le monde qui est vainqueur. » (p.100) Nous aurons l’occasion de nous rappeler ce point en continuant notre réflexion sur Antigone.

 

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