Comment ne penserais-je pas, en voyant ce beau dessin évoquant les Nuits Debout à travers la Liberté guidant le peuple, à cet autre tableau, le Radeau de la Méduse, que je vis au soir de l’élection de François Hollande, il y a quatre ans ?
L’Histoire a son chemin.
Place de la République, où se réunit Nuit Debout, là où demeurent les hommages aux morts du terrorisme (voir ma note précédente), où la haine née du désespoir et le nihilisme ont tué, de moins désespérés tentent de vivre, attirant les plus exclus, les sans-abri qui de toute façon dorment dehors et aiment pour l’occasion le faire en compagnie.
Ceux qui accusent Nuit Debout d’être un mouvement d’entre soi refusent de voir tous les sans-abri qui y participent. Les exclus restent exclus (ou bien ils ne sont vus que comme repoussoirs), et pourtant ils sont présents. Leur présence sauve Nuit Debout de l’entre soi. À République je les ai vus au réveil, le matin, ils m’ont taquinée, d’autres s’engueulaient, c’est ainsi, il ne faut pas être pudibond. Les jeunes femmes à qui j’ai donné mes livres érotiques pour la bibliothèque les ont laissés au fond du sac, exposant tous les autres livres sauf ceux-là. Pudibonderie aussi. (J’espère que d’autres les auront sortis du sac plus tard et mis à la disposition comme les autres). L’exclusion naît de la pudibonderie. Un homme a chuté de la statue de la République dans la nuit de vendredi à samedi ; grièvement blessé, il a été transporté en urgence absolue à l’hôpital ; il n’avait pas de papiers sur lui, nous dit la presse – mais Nuit Debout n’en a pas dit un mot. Et l’humanité ? Cet homme n’était-il pas assez des leurs ? Même sur les réseaux sociaux, la tentation de rester entre soi se fait sentir (ajout du 20 avril : mais le compte @nuitdebout, que je visais sans le dire par ce reproche, est tenu par les fondateurs d’une boîte de com qui a acheté les noms de domaine sans concertation. Pourquoi ? voir cet article de Politis, qui évoque aussi les reproches faits à ces gens de laisser s’introduire des soraliens ou autres fascisants qui pourrissent des mouvements au nom de la liberté d’expression). Sous les discours, rien ? C’est le travers des politiciens et autres curés et religieux. Il est toujours temps de se corriger, si on ne veut pas finir en eau de boudin. Ceux qui sont sortis du cadre et ont cassé des devantures de banques la nuit dernière n’ont pas eu tort. Les banques font bien pire. Combattre l’imposture, et ne pas exclure la vie de la vie.
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