« H », par Nouveau Rimbaud

Toutes les monstruosités violent les gestes atroces d’Hortense. Sa solitude est la mécanique érotique, sa lassitude, la dynamique amoureuse. Sous la surveillance d’une enfance elle a été, à des époques nombreuses, l’ardente hygiène des races. Sa porte est ouverte à la misère. Là, la moralité des êtres actuels se décorpore en sa passion ou en son action. — Ô terrible frisson des amours novices, sur le sol sanglant et par l’hydrogène clarteux ! trouvez Hortense.

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J’avais l’intention de parler de la façon dont Rimbaud et Nouveau ont pu écrire les Illuminations, car j’ai à dire sur cette question, mais cela sera remis à plus tard car en chemin j’ai trouvé Hortense, dans le fameux poème H. Et puisque les poètes nous intiment, à la fin de ce texte en forme d’énigme : « trouvez Hortense », alors je le dis. Un indice ? Il y en a un dans la première phrase, précisément dans ses deux derniers mots : « atroces d’Hortense ». Comment cela sonne-t-il à votre oreille – à votre pavillon ? Bon, ce n’est pas évident. Un autre indice ? Il y en a un dans la dernière phrase, dans ces deux mots : « sol sanglant ».

Quel sol est sanglant ? Celui d’un champ de bataille. Mais encore ? Celui d’une boucherie. Et quelle langue parle-t-on dans une boucherie ? Le loucherbem. Un argot que Marcel Schwob a étudié, une sorte de verlan. Ici nos poètes ne pratiquent pas vraiment le loucherbem, mais ils jouent avec la langue : « atroce/Hortense » est en quelque manière une inversion des sonorités d’un mot à l’autre. Il faut comprendre que comme dans Barbare, les poètes jouent dans ces textes écrits ensemble avec la langue (les barbarismes peuvent faire partie de ces jeux). H se présente clairement comme un jeu, une devinette. La réalité est voilée par les poètes en même temps qu’elle est révélée : aux lecteurs de procéder à leur tour au dévoilement, comme il le leur est demandé : « trouvez Hortense ».

Verlaine a dit que Rimbaud lui avait donné comme titre de l’ensemble de ces textes à envoyer à Germain Nouveau Illuminations. Que cela désignait des assiettes peintes, enluminées, et que c’était d’ailleurs le sous-titre : « colored plates » (sic). De qui se moque-t-on ? Il faudrait ajouter : « trouvez Illuminations ». Nous avons vu que Barbare est une évocation – plus barbare qu’orthodoxe – de l’Apocalypse. Dans le poème Soir historique (qui se trouve deux pages avant H dans les éditions actuelles), les évocations d’événements historiques s’achèvent par une vision apocalyptique emportant la « chimie sans valeur » qu’est devenu le monde, auquel « le plus élémentaire physicien sent qu’il n’est plus possible de se soumettre ». H parle d’ « hydrogène clarteux » (barbarisme) et on se souvient que H est la lettre qui en chimie et en physique désigne l’hydrogène, élément atomique le plus simple, aussi simple que notre physicien élémentaire. Bien, mais ce n’est pas encore le fin mot de l’affaire.

Illuminations voile un autre mot comme Hortense voile un autre mot. Hortense vient de hortus qui signifie jardin, nos latinistes le savaient parfaitement. Qui signifie plus particulièrement jardin clos. Comme l’Éden ? Ou tout simplement comme la Terre, monde des hommes, « planète emportée » comme il est dit à la fin de Soir historique. Décidément il nous faut revenir à cette affaire d’espèce de transformation des mots. N’est-ce pas ce à quoi nous invite le poème Bottom, poème précédant juste H – et ce n’est pas là arbitraire d’éditeur puisque les deux textes sont copiés manuscritement sur une même page, le premier au-dessus du second. Bottom est bien sûr une référence au personnage de Shakespeare changé en âne dans le Songe d’une nuit d’été – aucun doute là-dessus puisque le mot âne figure bien dans la dernière phrase du poème. Poème qui s’intitulait d’abord Métamorphoses ­- le titre a été barré et remplacé à la main. Qui fait l’âne emporte la belle, telle pourrait être la morale de la scène. Alors, si H le faisait aussi ? Cette Hortense, n’est-elle pas une métamorphose d’un autre mot ? Bottom n’est pas seulement le nom d’un âne, cela signifie aussi fond, derrière. Pour trouver Hortense, cherchons derrière.

Revenons à Soir historique. À la fin, au moment apocalyptique, le poème évoque la Bible et les Nornes, Parques de la mythologie scandinave dont Leconte de Lisle avait fait un poème, relatant l’origine et la fin du monde à venir. Un moment « qu’il sera donné à l’être sérieux de surveiller », est-il écrit dans Soir Historique. Or H nous dit que Hortense a été « sous la surveillance d’une enfance ». Quelle enfance ? Ne serait-ce pas celle de l’humanité ? Tandis que ceux qui approchent de la fin de l’histoire, s’ils sont sérieux, doivent aussi la surveiller. Cette Hortense aux « gestes atroces » violé(e)s par « toutes les monstruosités », qui est-elle sinon l’Histoire, surveillée par les grands textes de l’enfance de l’humanité, Bible et autres livres mythologiques, l’Histoire dont la mécanique est une érotique, et le repos l’amour ? « Ardente hygiène des races », elle les fait se mêler et se renouveler. Avec sa porte « ouverte à la misère », n’est-elle pas la révélatrice de « la moralité des êtres », qu’ils la subissent ou qu’ils la fassent, « en sa passion ou en son action » ? Et ce qui révèle, « terrible frisson des amours novices », n’est-ce pas l’Apocalypse, c’est-à-dire la Révélation ?

L’anglais illumination a d’autres sens que « assiette peinte ». Il peut signifier aussi inspiration, et révélation.

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