Lettre ouverte à ma « tutrice ». Enseigner en animateur ou en révélateur ?

Bonjour K.,

Maintenant que je suis à tête reposée, je voudrais te donner les réactions que je n’ai pu te donner hier après le cours, alors que, debout depuis cinq heures du matin, après deux heures de transport et trois heures de cours, j’étais déshydratée, l’estomac vide, et devant retourner en cours sans avoir pu manger.

D’une part, sur le fait que la classe s’est mise à bavarder alors qu’elle était très calme l’heure précédente, où j’étais seule avec les élèves, et sur les faits que je suis peu intervenue pour rétablir la situation et que je les ai laissés partir cinq minutes avant l’heure, il me paraît évident que tout cela est très lié à la présence d’une tierce composante dans la classe, la prof observatrice. Bien entendu tu n’y es pour rien, mais il est avéré que de grandes perturbations peuvent venir d’une petite perturbation. Mais au fond peu importe.

Ce qui m’importe davantage c’est de revenir sur les remarques pédagogiques que tu m’as faites. Tout en étant évidemment consciente depuis le début que je dois m’améliorer sur certains points, je n’enseigne pas de la façon dont j’enseigne par hasard. Je sais que ma façon de faire et de faire faire déroute les élèves, ils me l’ont dit dès le début mais j’ai tenu bon car c’est un choix délibéré de ma part de faire en sorte de développer leur autonomie, par exemple en ne leur donnant pas de consignes strictes sur la tenue du classeur. Je crois que l’école les infantilise beaucoup trop intellectuellement depuis la primaire. Ils sont habitués à cela malheureusement, mais je veux les inciter à sortir de là. Tant pis s’ils se trompent dans le rangement du classeur, ce n’est pas grave, et c’est ce que je leur ai dit hier en passant dans les rangs quand ils me montraient leur erreur. Je ne suis pas d’accord avec la pédagogie de l’Éducation Nationale ; je crois que s’il faut lutter contre les bavardages et se résigner à ce que les élèves oublient tout dès qu’ils ont quitté le lycée, c’est parce qu’ils sont dès l’enfance soumis à une mauvaise pédagogie, une pédagogie d’animateur des savoirs plus que de révélateur. Je constate que toutes les remarques que tu m’as faites portaient justement sur la forme, pas du tout sur le sens. Or c’est sur le sens que je travaille, et je sais que les élèves apprécient grandement cela (ils me le disent ou me le montrent), même si, formatés autrement pendant toute leur scolarité, il leur faut le temps pour s’adapter et avoir le courage de ne pas être des indigents, des assistés de la pensée.

Il y a de longues années que je songe à tout cela, je me suis prononcée il y a longtemps pour l’étude de la philosophie dès l’école primaire – et je ne suis pas la seule à penser et à constater que penser intéresse vivement les enfants, le philosophe Yves Michaud par exemple fait le même constat. À mon sens, le pédagogisme actuel est un pansement sur la jambe de bois dont on a handicapé les enfants… et nombre d’actuels ou futurs profs, comme je le constate aussi à l’Espé ou en passant les concours. Le sens profond de la littérature s’est complètement perdu, on n’a même plus idée de ce que cela peut être. Je ne suis pas en train de vanter l’école à l’ancienne, qui était aussi mauvaise – tout en ayant, comme l’école d’aujourd’hui, quelques bons côtés. Mais quelques bons côtés ne font pas une pensée de l’école, de l’enseignement. J’expérimente, comme d’autres le font ou l’ont fait, une autre méthode, une méthode personnelle en laquelle j’ai toute confiance. Il se peut que je sois mal notée pour cela mais peu m’importent les notes, l’essentiel est de faire quelque chose pour les élèves.

Merci de m’avoir lue jusque là, bon courage pour la suite, et n’hésite pas à faire part de mon hérésie assumée à ceux à qui tu dois rendre compte de ma façon de faire. Je vais d’ailleurs rendre cette lettre publique en la mettant sur mon blog (sans ton prénom bien sûr), afin qu’elle puisse servir à d’autres.

Bonne journée à toi, à bientôt

Aline

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alinareyes