Ce samedi soir, dans la paix de l’appartement, j’ai lu et médité, émerveillée, les textes du moine-poète Ikkyû (1394-1481) et d’autres cités par lui, rassemblés dans ce recueil, La saveur du Zen, traduits du japonais et présentés par Maryse et Masumi Shibata (Albin Michel, 1988). Plutôt que de gloser sur eux, je donne ceux que j’ai recopiés dans mon cahier au fur et à mesure de ma lecture, afin que chacune et chacun puisse les goûter librement. (J’ajoute seulement, concernant la théorie de la réincarnation, qu’elle est immédiatement utile si l’on considère que chacun de nous a une succession de plusieurs existences dans sa vie, au cours desquelles il est possible d’évoluer ou de stagner ou de devenir plus bas). Le livre comprend aussi des textes sur la cérémonie et la philosophie du thé, que je ne cite pas ici – à vous d’aller voir !
de Musô, p. 22 :
Ce monde est un rêve.
J’y suis né comme en rêve
Et j’en disparaîtrai telle la rosée.
Quelle tranquillité j’y trouve !
de la mère d’Ikkyû, p. 24 :
La lune est tantôt visible tantôt cachée
Dans l’écoulement du temps.
Mais elle est limpide et invariable.
Qui connaît sa couleur véritable ?
Du précepteur Jichin, p. 25 :
Je fauche des broussailles
Et je les lie.
Alors un ermitage est construit.
Si je les délie,
La plaine est comme auparavant.
de Wou-men, p. 32 :
On ne peut ni dessiner ni peindre le Visage originel.
Vous n’y parviendrez, à le louer.
Cessez de L’accepter au moyen des sens !
Il n’y a de place pour contenir le Visage originel.
Même au moment de la destruction de l’univers
Il ne pourrit pas.
d’Ikkyû, p. 36 :
« Parlez-moi du moment où une voile n’est pas encore hissée. »
(Note : le Moment = avant l’apparition des phénomènes.)
Un Éveillé répondit : « Un petit poisson avale un grand poisson.
– Après l’avoir hissée comment ?
– Un grand poisson avale un petit poisson. »
p. 37 :
« La Non-Essence Originelle a une Forme Noire. »
p. 38 :
Les êtres vivants égarés ne peuvent trancher ni la forme ni l’esprit. Même s’ils parviennent à les trancher, étant donné que leurs sabres sont émoussés, ils ne peuvent les trancher net, alors que Manjusri (symbole de la Sapience) les trancha d’un seul coup de son sabre effilé.
p. 39 :
Le vieillard (…) demanda enfin : « Un yogin bien avancé en exercice tomberait-il aussi dans la causalité ? » Le Maître dit : « Il n’obscurcirait pas la causalité. » Sur ce mot, le vieillard réalisa le Grand Éveil et, en s’inclinant, il dit : « Je viens d’échapper à la vie du renard et j’habiterai derrière cette montagne. »
p. 40 :
Ne pas tomber, ne pas obscurcir.
Deux marques, mais un même dé.
Ne pas obscurcir, ne pas tomber.
Mille erreurs, dix mille erreurs.
p. 41 :
Vous avez des expériences de causalité dans votre vie et il n’y a pas de vérité plus profonde que celle-là.
(…)
Lorsqu’on est égaré, on essaie d’éteindre un feu avec du feu, d’écrire des lettres sur l’eau avec de l’eau, de remplir l’océan avec du sable et d’entourer une montagne avec de la terre. À cause de ces sottises les gens (…) manquent à leurs obligations, ils deviennent de plus en plus aveugles et ils veulent mesurer le ciel infiniment vaste avec leur petit point de vue limité. Ainsi, ils ne seront jamais sauvés non seulement dans cette vie mais même au cours de vies prochaines.
Par ses traducteurs, en commentaire d’un poème d’Ikkyû, p. 183 :
[Ikkyû accuse les moines du temple Daïtoku-ji de sectarisme et il s’encourage à la recherche de la Voie risquant la mort. Voici une maxime du Zen :
Un tigre feule.
Vent violent.
Ou bien : « Le tigre féroce ne mange pas la viande pourrie. »]
d’Ikkyû, p. 206 :
Le bambou sert à fabriquer le pinceau.
Aujourd’hui je répare la haie avec ce bambou.
Voilà, manœuvre élégante pour moi, poète.
Ce pauvre ermitage est un bureau d’édition.
Cet après-midi je ferai prendre l’air aux livres.
En m’allongeant en paix,
J’exposerai mon ventre au soleil.
Bruit de la pluie et brise fine,
Ce sont aussi des œuvres littéraires.