Léonard de Vinci : l’enfance de l’art

Léonard de Vinci, L'Adoration des mages (inachevé)

Léonard de Vinci, L’Adoration des mages (inachevé)

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Picasso disait qu’il lui avait fallu toute une vie pour apprendre à dessiner comme un enfant. À mon sens, malgré son génie, il n’y est pas arrivé. Pourquoi ? Parce qu’il n’a pas su trouver assez d’innocence en lui pour pouvoir poser les questions que peuvent poser les enfants. Léonard de Vinci, lui, a eu de cette innocence à foison. Et il a peint comme un enfant. Non pas avec des traits ou des couleurs rappelant les peintures d’enfant, mais en peignant le genre de questions étranges et déroutantes que posent beaucoup d’enfants, ou en posant sans mots le genre d’affirmations étranges que font certains très jeunes enfants, comme s’ils possédaient une connaissance oubliée des adultes.

« Il y a dans la nature une vaste circulation de l’eau à partir de l’océan comparable à la diffusion du sang à partir du cœur, etc. Jusque dans la croissance des métaux, la nature se comporte comme un vivant gigantesque », a-t-il écrit, entre autres affirmations (Anatomie B, fo 28). Ce genre d’affirmations n’est pas le seul fait d’une recherche scientifique, quoique la recherche scientifique soit aussi une impulsion née de l’esprit d’enfance, de sa fraîcheur et de son ouverture. Il faut y songer devant ses peintures de Jésus enfant, plutôt qu’adulte.

Le chemin de l’eau est celui de l’enfance de la vie. Dans les copies de son tableau perdu Léda et le cygne, les enfants sortent d’un œuf au bord de l’eau. C’est un chemin d’eau qui s’en va entre les pierres levées dont nous avons parlé pour la Vierge aux rochers. C’est un lac d’altitude qui s’étend à l’arrière-plan de la Joconde. Nous l’avons remarqué, cette eau dans ses œuvres est une image du temps qui coule ; ou chute (comme la descendance à partir de sa Sainte Anne) ; ou tourbillonne, comme les boucles de cheveux de son Saint Jean, qu’il compare lui-même aux mouvements de l’eau ; ou remonte comme le sang dans la sève, avec l’arbre prenant racine dans la tête du Christ dans la Sainte Anne et dans L’Adoration des mages – où la Vierge, elle, se prolonge en palmier, comme dans le Coran – hasard ? Dans la Joconde, avec ce lac très haut dans les montagnes, elle atteint la paix parfaite, aboutissement de toute quête spirituelle. La Joconde et son sourire témoignent de cet accomplissement ou de cette plénitude chargée de promesse ; et son joug est aussi léger que les couches imperceptibles de peinture dans la technique unique de Léonard, qui, traduisant son âme, donne tant de vie à son œuvre.

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Cette note fait suite à mes précédentes notes sur les œuvres citées, cf mot-clé Léonard de Vinci

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