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J’ai lu beaucoup d’auteurs de mon époque, et pas seulement des meilleurs, mais je n’ai jamais lu un seul livre de Gabriel Matzneff. Je savais comme tout le monde qu’il y racontait ses aventures « amoureuses » avec de très jeunes garçons et filles et je n’avais pas envie de lire ça. J’ignorais la teneur exacte de ces récits, dont je découvre des extraits aujourd’hui sur les réseaux sociaux. Ainsi ce type se vantait, avec tous les honneurs du milieu, de violer des garçons âgés de 8 à 11 ans, en s’amusant qu’ils lui reprochent la brutalité de ses sodomies. Je regrette de n’avoir pas cherché à savoir plus tôt qui il était, au-delà du beau rôle qu’il tâchait de se donner, je regrette d’avoir en quelque sorte préféré éviter cette question dégoûtante, comme on le faisait trop souvent à cette époque. Qu’il soit manifestement un écrivain très médiocre, contrairement à ce qu’il semble croire, les pages qui circulent en ligne le disent assez : ce n’est évidemment pas le plus grave, mais cela révèle d’autant plus l’ignominie de la « mafia » (comme dit Denise Bombardier, blacklistée pendant trente ans par les médias français pour avoir défendu les droits des enfants face à Matzneff et Pivot), mafia qui le soutient depuis des décennies au nom de la littérature ; cette mafia qui se serre les coudes dans les affaires de pédocriminalité comme dans bien d’autres saloperies. Bravo à Vanessa Springora d’avoir mis les pieds dans le plat. Son livre paraît au bon moment pour révéler la puanteur du milieu médiatico-littéraire (qui m’a éliminée pour avoir dénoncé cette puanteur dans mon roman Forêt profonde en 2007). Cette bande de cinglé·e·s impuissant·e·s a sévi beaucoup trop longtemps mais comme on le voit, ils ne l’emporteront pas au paradis.
Pour un type qui n’a rien fait d’autre de sa vie que violer des enfants et se pavaner en le racontant, nulle nécessité de lutter pour sa retraite. Matzneff, au lieu de finir de moisir en prison, bénéficie d’un logement de la Ville de Paris depuis 1994, a reçu 40 000 euros de l’Académie française en 1987 et 3000 en 2009, reçoit une pension de 7500 euros par an (peut-être plus, le montant est secret ! et il peut aller jusqu’à 24 000 euros) de la Société des Gens de lettres, et Le Point, avec ses millions de subventions d’argent public aussi, complète sa rente en lui confiant une chronique (indigente). Le type est publié par Gallimard. Et soutenu encore aujourd’hui par maintes momies de tous âges (31-12-19 : cf Libé et sa chronique immonde sur le droit des adultes à une sexualité libre, et son portrait tout aussi infect de Vanessa Springora par l’un des lécheurs de Matzneff, Luc Le Vaillant), traînant encore dans leur corps, dans leur esprit, la boue de tout ce que le siècle dernier charria d’immonde. Car cette affaire jette un éclairage sur le passé, mais sur un passé qui perdure, qui continue à nuire. En 2013, ce violeur, décoré de la Légion d’honneur, recevait le prix Renaudot Essai pour un livre où il vantait, comme d’habitude, ses crimes. Fin novembre, le site ActuaLitté présentait le livre de Vanessa Springora comme « l’histoire d’une romance qui dégénère entre une adolescente de 13 ans et un homme d’une cinquantaine d’années ». Une romance ? Depuis le scandale, ils se sont ravisés dans leurs termes, mais leur première appréciation, comme celle de Pivot parlant de « morale », révèle le fond crasseux de ce milieu.
Matzneff maintenant cloué au pilori n’est que l’image infecte, ridicule et pitoyable de ce qu’ils sont – pourris jusqu’à l’os, incapables de seulement sortir de leur conditionnement pour prendre conscience de ce dont aujourd’hui, grâce au travail de dévoilement accompli par des femmes, nous prenons clairement conscience. Incapables de se défaire de ce linge si sale qu’on se glorifiait, en France, de garder en famille (ou même de vanter internationalement, comme pour Macron et sa prof), ce linge si sale qui leur colle à la peau à force de ne l’avoir jamais ni changé ni lavé, ce linge sale qui se confond avec leur peau, leurs yeux qu’ils sont incapables de dessiller.
Matzneff. Ce n’est pas un nom isolé. Loin de là. Les mafieux sont les gens les moins isolés du monde. Citons parmi eux, par exemple, Sartre (qui se vanta aussi d’avoir dépucelé une jeune adolescente à l’hôtel, vite fait, avec beaucoup de dégoût, selon sa manière habituelle). Beauvoir (qui abusa de maintes jeunes filles, pour son propre compte ou pour les livrer à Sartre). Ou, encore de ce monde, les réseaux de BHL et parmi leurs loupiotes rouges Moix ou Angot (31-12-19 : retournage de veste, Angot après avoir, comme Moix, défendu publiquement Matzneff, lui fait maintenant la leçon dans Le Monde, toute honte bue, perpétuant l’entresoi et la lâcheté de cette clique), ceux de Sollers, éditeur de Matzneff, avec sa commère Savigneau (qui continue à soutenir Matzneff) et des dizaines d’autres plumitifs de l’édition et des médias.
Finalement Matzneff est pitoyable. Pitoyable de n’avoir pas été capable d’autre chose que de violer des enfants. Pitoyable de se prendre pour un bon écrivain alors qu’il ne l’est pas. Pitoyable de se croire digne et persécuté alors qu’il est ignoble et persécuteur de petits. Pitoyable de croire qu’il a été aimé, alors qu’il n’a évidemment pu susciter qu’une illusion d’amour. Pitoyable. Et ses complices avec lui. Leur effondrement continue. Très bonne année ! Ce n’est pas un souhait mais un constat, sur l’année qui vient de passer. Et qui annonce une nouvelle bonne année, de nouvelles bonnes années, à faire et voir tomber le vieux monde infect.
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