De la littérature, du sport

"Un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous" Franz Kafka. Un café dans mon quartier, photo Alina Reyes

« Un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous » Franz Kafka. Un café dans mon quartier, photo Alina Reyes

Il y a un problème avec la littérature. Un jour, l’un de mes éditeurs m’a dit, en parlant d’un autre éditeur et de ses amis – si l’on peut parler d’amitié dans ce milieu : « tu ne sais pas de quoi les libertins sont capables ». Il avait raison : non, je ne le savais pas. Comment se fait-il que je ne le savais pas, alors que j’avais lu tant de livres, y compris de libertins ? Eh bien, c’est que la littérature fonctionne comme une religion à l’envers : on n’y croit pas. Le lecteur non-criminel ne croit pas que le mal décrit dans la littérature puisse être commis dans la réalité par des amateurs de littérature, ni a fortiori par des écrivains. La littérature tenant du sacré, on imagine que ses pratiquants sont, sinon saints, du moins sages, magnanimes et serviteurs de la vérité. C’est le constat que fait à peu près Vanessa Springora dans Le consentement. Elle était jeune adolescente à l’époque où elle a été confrontée à une réalité toute contraire, mais ce genre d’enfer peut s’ouvrir sous vos pieds à tout âge. Certaines personnes vont sans doute tomber de haut en apprenant, grâce à une enquête du New York Times (et pas des journaux français), que Christophe Girard, l’un des « amis » et soutiens de Matzneff, est maintenant accusé lui aussi, documents à l’appui, d’avoir abusé d’un adolescent. Ouvrons les yeux : la littérature est pour tout un tas de gens l’alibi de leur vie criminelle. C’est pourquoi la littérature est en si mauvais état aujourd’hui dans notre pays : à force d’être utilisée comme façade, une façade maquillée mais faite de pourriture, elle s’écroule, et les maisons qui l’ont abritée vont tomber aussi.

Pour ma part, tout en continuant à lire j’en suis à « l’autre tigre », comme dit Borges, celui qui n’est pas dans les livres. Après avoir marché quinze jours sac au dos, ce matin j’ai enfilé ma tenue de yoga, je suis sortie et je me suis mise à courir. La prochaine fois que nous voyagerons, O et moi avons décidé de le faire à vélo.