Le thème pictural de la jeune fille et la mort, dans lequel un squelette enlace une jeune fille joliment en chair, me vient à l’esprit quand je vois dans les médias de vieilles célébrités délibérément squelettiques, dans leur désir de ressembler à de minces filles prébubères. Je dis filles car je ne vois pas d’hommes s’affamer à ce point par coquetterie. Peut-être y en a-t-il, mais ce sont essentiellement des femmes qui s’affichent en cet état morbide. On peut dire que le squelette qui enlaçait les jeunes filles dans la peinture les a soumises : comme on vend son âme au diable, elles vendent leur chair à la mort – et les deux ventes, les deux marchés, vont de pair. Faust et Dorian Gray forment couple (Macron-Trogneux, BHL-Dombasle, etc.). Ils sont deux faces d’une même médaille, comme boulimie et anorexie. Tristes modèles promus par les médias, si dommageables pour la condition des femmes, et pour la condition humaine. J’en entends un écho dans le « Crépuscule » de Guillaume Apollinaire, que voici.
Crépuscule
À Mademoiselle Marie Laurencin.
Frôlée par les ombres des morts
Sur l’herbe où le jour s’exténue
L’arlequine s’est mise nue
Et dans l’étang mire son corps
Un charlatan crépusculaire
Vante les tours que l’on va faire
Le ciel sans teinte est constellé
D’astres pâles comme du lait
Sur les tréteaux l’arlequin blême
Salue d’abord les spectateurs
Des sorciers venus de Bohême
Quelques fées et les enchanteurs
Ayant décroché une étoile
Il la manie à bras tendu
Tandis que des pieds un pendu
Sonne en mesure les cymbales
L’aveugle berce un bel enfant
La biche passe avec ses faons
Le nain regarde d’un air triste
Grandir l’arlequin trismégiste
Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913
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