Fausses élites, vrais mensonges

faf a faf
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Le prof de philo qui se dit menacé par les islamistes (mais qui a dû reconnaître qu’il n’a pas reçu de menaces) parle sur Cnews et sur Sud Radio, écrit dans Causeur et dans Le Nouvel Obs. Cherchez l’erreur… malheureusement il n’y en pas, c’est l’ambiance du moment, comme le « débat » vanté, sur France 2, entre une ex du FN (Le Pen) et un ex de l’Action française (Darmanin). Pas un hasard s’il pleut comme autant de grenouilles ou de sauterelles des dénonciations d’abus sexuels, abus financiers, abus intellectuels ou autres, commis par des « élites », copains à Macron et compagnie. Abuser et mentir, c’est leur projeeet ! Sans lequel ils sont tellement inconsistants.

Le prof en question prétend qu’il n’y a ni coiffeurs mixtes ni cafés mixtes à Trappes, où selon lui on ne peut faire chanter les enfants dans les écoles maternelles. Le maire de Trappes dément tranquillement tout cela, et a aussi la preuve que ce prof l’accuse à tort de l’avoir traité d’islamophobe et de raciste dans une interview à une chaîne de télévision néerlandaise ; et ce maire, logiquement, porte plainte pour diffamation. Les médias en France ont beaucoup critiqué Trump, ses fake news et ses faits alternatifs, mais eux-mêmes propagent facilement le mensonge, surtout quand il s’agit de s’en prendre à une certaine catégorie de population, cible de l’hystérie de la vieille France. On a vu plusieurs fois de faux faits divers inventés par des racistes être repris partout avec emphase, avant que la vérité ne soit finalement faite, très discrètement, trop discrètement pour effacer le mal déjà fait.

À s’agiter comme il le fait, on pourrait penser que ce prof cherche à trouver quelque haineux à exciter, afin de triompher en recevant de réelles menaces, ou pire. Je comprends qu’il puisse être épuisé par vingt ans de cours de philo, des cours qui la plupart du temps, même dans de bons lycées parisiens, ne suscitent chez les élèves que l’envie de bavarder entre eux. Il est peut-être en burn out, quoi qu’il en soit il est visiblement dépité et c’est quelque chose à écouter, mais seulement tant que le mensonge n’y prend pas le dessus.

J’évoquais l’autre jour la série incroyablement mensongère que diffuse Arte sur l’Iliade et l’Odyssée, œuvres falsifiées au point de leur faire dire l’exact contraire de ce qu’elles disent noir sur blanc – visiblement dans un mélange d’ignorance (approximations, erreurs, confusions) et de souci idéologique (prôner l’athéisme), la série étant destinée en particulier aux enfants des collèges et à toutes les personnes qui ne connaissent rien au sujet. Il y avait de ça aussi dans leur série sur les religions – sans doute pas des falsifications aussi grossières, mais des orientations parfois soutenues par des présentations des faits malhonnêtes. Arte, élite de la télé ? Le problème n’en est que plus néfaste. D’emblée, les gens font confiance à Arte, comme on fait ou faisait confiance au curé ou à toute autre figure d’autorité avant que ne se mettent à déferler les témoignages sur leurs abus, jusque là commis en toute impunité. Les médias qui bénéficient encore d’une réputation bonne, comme Arte, ou du moins à peu près correcte, devraient se méfier eux aussi : l’impunité, en fait, n’est pas éternelle. Il en va de même pour toutes les « élites » qui par leur malhonnêteté mettent en danger non seulement leur propre tête, mais aussi la société entière, qu’elles tâchent d’entraîner dans leur médiocrité, leur mensonge, leur hypocrisie. Plus dure sera, ou est déjà, leur chute.

Journal intime d’une jeune femme libre, 5 : tribulations jusqu’au premier contrat d’édition

Nous sommes maintenant dans les années 1986-87, j’habite en HLM à Talence, je poursuis mes études tout en travaillant (journaliste pigiste dans diverses publications et autres jobs) et élevant mes enfants, vivant ma vie amoureuse, etc. L’entraînement à l’écriture se fait plus précis, et finit par déboucher sur un contrat d’édition avec Le Seuil pour mon premier roman.
Je me rends compte que j’ai omis d’annoncer la composition de ce Journal. Nous sommes, depuis la note 2, dans la partie intitulée « Écrire », qui vient après le prologue. Elle sera suivie de « Enfants », puis « Hommes », puis « Cahiers d’une amoureuse », puis « Gens », puis « Voyages », puis « Rêves », puis « Facettes », et pour finir « À travers les voies » (le livre papier fait 400 pages).

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Rêve : le banquet aux loups.

J’avais déjà rêvé cette nuit à une histoire de crime, et de criminel que je recherchais. Là, je viens de me réveiller d’un rêve semblable, mais plus oppressant encore. Le criminel avait découpé une petite fille, et finalement moi je me retrouvais avec le visage cassé en quatre morceaux, comme des pièces de puzzle.
Terminé mon mémoire jeudi : Un champion de jeûne, Kafka. Écrit vingt-cinq pages en cinq jours et demi, ouf ! J’en ai fait bien des cauchemars, la nuit. L’abat-jour des fourmis, le partiel sur la duchesse au café, l’éléphant dans la piscine…
Rêve d’Arno : son copain Adrien passe de l’autre côté de la fenêtre d’un gratte-ciel, appelle sa mère pour lui montrer sa blague, et tombe en criant : poisson d’avri-i-i-i-il…

Rêves : flirt avec Mitterrand ; tentative d’installation de l’abat-jour des fourmis.
Je relis ma note du 26 novembre. J’écris « Elsa Morante est morte » et, sans faire le rapprochement, je raconte mon rêve d’une salade romaine dont je viens d’accoucher…

Participé à ma première réunion d’Amnesty.
Il fait chaud. Volets mi-fermés, fenêtres mi-ouvertes, chuchotement de l’arroseur automatique, bruits un peu lointains de circulation… Après-midi, légère flemme.
Trouvé une idée de pseudo dans Les Armes secrètes, de Julio Cortazar : Alina Reyes.
Rêvé que j’avais une robe magnifique. Rêve merveilleux, j’ai eu du mal à en sortir.

À Luz-Saint-Sauveur depuis mardi, avec Henry et les enfants. Promenades en montagne, magnifique bien sûr. Cet après-midi, démonstration de rapaces dressés à Beaucens, « le donjon des aigles ».
Impressionnée aussi (surtout?) par les dresseurs.

Cette nuit, rêve : le choix entre trois stages.

Rêves : Kafka en conversation avec B.

Je travaille tant, et à tellement de choses, que je me demande parfois où je suis. Besoin de ce cahier pour dire : « Coucou, c’est moi, j’existe encore, toujours la même. »
Rêves : le bébé aigle ; le grand aigle moribond.
J’ai acheté une grande chemise de nuit en nylon rose avec son déshabillé en dentelle, dans le style de ces films où les vêtements des femmes me font toujours rêver. Lauren Bacall en déshabillé dans un large escalier de marbre, sous les lumières du lustre… Les miens sont rose vif et toc, mais quand même, ils me font encore rêver, je crois redevenir petite fille, quand je me déguisais, avec ma copine D.

Rêve : le dentiste-gynéco.
Manifs étudiantes, violence.
Hier soir, dans Libé, je lis les articles sur les manifs, il y en a un sur le mouvement et les radios libres, et qui est cité ? Lucas. Voilà comment j’apprends qu’il travaille maintenant dans une radio. Petit Lucas… Il doit être tout content de suivre les manifs avec son micro.

Avant-hier, j’ai rêvé que je perdais une dent, parce qu’elle était chassée par une autre qui poussait derrière, mais beaucoup trop grosse, il n’y aurait jamais assez de place dans ma mâchoire pour la contenir…
Je ne suis pas malheureuse, parce que j’ai tellement de courage, de hargne peut-être… Dehors, il y a tous ces gens qui font la manche, les guerres, les otages, le racisme, les enfants déchirés par les adultes, comme celui de N… comment peut-on supporter ça ?

Depuis que le parc est sous la neige, une de mes principales occupations est de donner à manger aux oiseaux, et de les regarder manger. En écrivant cela, je n’arrête pas de m’interrompre pour regarder le rouge-gorge ou la mésange charbonnière qui viennent becqueter dans la mangeoire que je leur ai suspendue sur mon balcon, face à mon bureau, et où je leurs mets chaque matin un mélange de semoule et de margarine. Pour les étourneaux, je jette par terre du pain trempé dans du lait, de la margarine et de l’huile, ils viennent par bandes et dévorent tout en un rien de temps, tout en se chamaillant l’exclusivité des morceaux, de leur criaillement gras et perçant. Avec tout ça, le travail n’avance pas beaucoup, mais j’en suis complètement fascinée, au point d’oublier d’aller manger moi-même.

Rêvé l’autre jour de petits rapaces qui venaient taper méchamment à ma vitre. La nuit dernière, que je perdais une canine (incroyable ce que la sensation pouvait être vraie). Ça me laissait un trou affreux.

Hier soir, j’ai vu annoncée dans le journal une expo de peinture d’Hélène D. Ce doit être Hélène, qui a dû se marier avec Daniel. Je le pense à cause du ton du communiqué qu’ils avaient fait passer, et dont le petit article reprenait, entre guillemets, des phrases : hautain et méprisant dans l’humour, tout Daniel.

Hier, C. a eu son bébé (le quatrième). Ça me donne envie d’en avoir un, j’en sens le désir dans mon ventre, c’est terriblement physique. Il me semble que c’est une chance de pouvoir vivre selon ses pulsions physiques. La société rend trop raisonnable. S’il ne tenait qu’à moi, je ferais un bébé tout de suite. Henry ne veut pas, il est préoccupé par son travail, l’appartement est trop petit, etc.

Encore rêvé à l’aigle. Cette fois grand, fort, jeune, à ma fenêtre.

Je suis heureuse. Ce doit être le printemps.
Ce matin j’arrose les plantes, je les surveille, et je me dis : faisant cela, je célèbre la vie.

Cette nuit j’ai rêvé que j’avais recueilli un bébé abandonné, dans son biberon je mettais du vin…
Rêve de la veille : les enfants et moi sauvés du cataclysme grâce à une imprimerie.

Je retrouve des photos dans mes vieux papiers. Une de Daniel, en noir et blanc, prise pendant un concert, en train de jouer de la basse, très fin, très beau. Une autre, en noir et blanc aussi, mais voilée, de Jean-Paul (brève et ancienne aventure), que j’avais photographié tout nu, sous la lucarne de mon petit appartement de Saint-Michel, parce que c’était le plus bel homme que j’avais jamais eu, très grand, athlétique, bien membré (la photo est très voilée, on ne le voit presque pas).

Cet après-midi, balade le long de la Leyre à Belin, avec Henry. Trouvé trois beaux cèpes, Henry deux. Regardé la rivière, et un arbre mort couché dedans.

Rêvé que j’étais très très vieille, je voulais mourir maintenant.

Les Angles
Promenade en montagne. J’emporte avec moi un livre et mon petit carnet, mais impossible de lire ni d’écrire, en montagne. Et maintenant, après cinq heures de marche, toute brûlante de soleil, mon bras tremble pour tenir le stylo.
Je regarde les ruisseaux et je me dis : ma vie ne serait-elle pas infiniment plus simple si j’étais ce caillou, cette eau qui roule sur lui ? Je me suis trouvé des raisons rationnelles (un peu) pour croire (un peu) à la métempsycose. Au sens large : j’ai été la Parisienne crétoise, prêtresse parmi les taureaux, dont on me disait, adolescente, que je lui ressemblais. J’ai eu, comme sur cette fresque qui a traversé les millénaires, ce visage aux grands yeux, aux boucles brunes et à la bouche mutine… Mais j’ai été aussi caillou, herbe, arbre, bête… Et c’est pourquoi tous me fascinent tant, pourquoi j’essaie de retrouver dans ma tête, dans mon corps, leur vie, leur essence.
Et à cause de cela les cimetières ne sont pas tristes, et c’est pourquoi je les ai toujours aimés. Lent retour à la nature, vers de nouvelles transformations…
Ne mourons-nous pas tout au long de notre vie ?

Décidé de tenir un journal érotique. Dès qu’Henry et moi aurons pris un bain dans la grande baignoire bleue de cette chambre d’hôtel, je sors acheter un cahier.
Merveilleux séjour dans les Pyrénées. Confié les enfants à Yannick, et repartie avec Henry à Fauch (Albi), et Jean et Anne, où j’ai fait du vélo, du dessin sur ordinateur, écouté de la musique, récolté du miel, acheté des bouquins d’occasion…
La baignoire est pleine.

À la recherche d’une chambre depuis Perpignan, et depuis près de trois heures, nous aboutissons, juste à la fin de la route, à l’hostellerie de la Preste. Plus d’électricité à cause de l’orage, nos shorts trempés par la pluie (tenue retour de plage, Le Barcarès) à chaque course hors de la voiture, jusqu’à l’hôtel jamais providentiel… À l’hôtel, ce soir, c’est balouse, les quinquagénaires s’en donnent à cœur joie, et nous on doit se passer de dîner.
Quelle journée. À Perpignan, on a sué tout l’après-midi, à chercher les bouquins chez nos vendeurs de l’année dernière, je n’ai rien trouvé, sinon une petite Muraille de Chine, qui ne contient pas les textes que je voulais, mais d’autres que j’ai déjà.

Arles
Je voulais une grosse glace, je l’ai eue. Même pas pu finir ma chantilly. Faut-il aller jusqu’à l’écœurement, pour se passer une envie ? Et puis, un cracheur de feu est arrivé. Un spectacle que j’apprécie d’habitude, mais cette fois, j’étais trop près sans doute, je me suis senti angoissée, au point de forcer Henry à partir tout de suite. Impression qu’il allait se brûler, qu’il se brûlait.
Arles est belle. Vu une expo sur Orson Welles, je suis amoureuse de lui. Comment oublier Rosebud ?
J’ai envie d’écrire. J’ai mon roman et du papier dans la valise, mais… Le calme, ça existe ?

Le cahier « sexe » marche assez bien, j’ai décidé d’acheter d’autres cahiers, pour autant de thèmes sur lesquels il me viendra l’envie d’écrire. Je pense déjà à « livres », « musique », « foyer » (enfants), « manger, boire ». Constituer une sorte de reportage sur ma vie intime. Sans broderie. Je pressens dans cette méthode une possibilité de vivre plus intensément (obligation d’aiguiser ma conscience), et de faire de grands progrès dans mon apprentissage de l’écriture.

Sanguinet
Hier soir, chez Philippe et Marie-Do. La maison qu’ils retapent depuis deux ans a maintenant belle allure. Impressionnant, de voir le résultat si concret d’un long et dur travail. Un instant, j’ai vu ma vie, face à la leur, bien dérisoire. Ma construction est intangible, pourtant elle existe, élaboration lente, incertaine et invisible que je ne dois pas perdre de vue. Comme la solitude est lourde et lumineuse, là !
Commencé le cahier « livres » avec Le Château.

Rêve : le pain et l’emballage. Pendant les transactions interminables avec la vendeuse, je m’inquiète parce que les autres sont déjà au travail, et je vais être encore terriblement en retard.

Commencé mon boulot d’attachée de presse.
Cette nuit, rêve : le choix entre trois stages.

Hier soir, vu Pirates, de Polanski, puis écouté une émission de France Culture sur Kafka (et ce soir la suite, j’ai le casque sur les oreilles).
Rêve : Kafka en conversation avec B.
Franz Kafka, je t’aime.

Rêvé à maman. La question que je me pose, c’est comment peut-on en arriver là ? Et je m’aperçois encore un peu plus qu’il m’est impossible d’écrire ici quelque chose de vraiment très sérieux.
Le sentiment qu’avec leur misère ils me poursuivent, veulent m’empêcher de dormir, et d’être différente d’eux. Le poids d’un formidable gâchis sur mes épaules, et en plus toute cette pitié complètement inutile, tout ça pour rien. Moi, enfant qui à peine sait vivre, il faudrait que j’apprenne à vivre à mes parents, qui le savent cent fois moins que moi (pourquoi?), et malgré toutes les difficultés je le voudrais bien, mais c’est impossible.
Pourtant, je n’ai jamais si bien vu toutes les qualités de chacun. C’est peut-être ma seule arme contre toute cette détresse. En même temps, le gâchis est plus lourd.

Je n’ai pas dit, je crois, que je suis maintenant attachée de presse de l’éditeur H. Que je suis allée voir l’autre jour à Paris, et qui est nul en littérature. Je ne dois pas faire trop mal mon nouveau métier (c’est tellement facile), puisque j’ai réussi à faire dire à un rédacteur en chef, à l’antenne de la radio locale la plus écoutée, qu’un certain livre était « superbe ». Sans qu’il l’ait jamais seulement vu…
J’ai repris aussi les piges pour Sud-Ouest Dimanche, à l’occasion de la rentrée littéraire, mais il faut faire tellement court, c’est dommage. Relu ce soir ce cahier, et constaté les différences de grandeur de l’écriture à travers le temps. Des autres cahiers, pour l’instant, c’est le « sexe » qui marche le mieux. Rapport avec la réalité ?

Rêvé de bombes, de terrorisme. Quelle horreur. Quoi faire ?

J’avais perdu mon stylo – une énième fois -, je viens de le retrouver, aah ! Semaine épuisante. Je lutte contre le sommeil. Rêvé deux nuits de suite que j’avais les cheveux assez longs pour me balayer le visage, comme j’étais heureuse !

Passé la journée à la chasse à la palombe, au filet, dans les Landes. Attente et courses silencieuses dans ces interminables tunnels de branchages… Tant de choses à dire là-dessus… Passionnant.
Rêves : vampires, pourriture, vers. Où est-ce que je vais chercher ces cauchemars écœurants ?

Il faudra que j’écrive l’histoire de la femme qui accouche d’un cèpe.

J’ai appris jeudi soir, après une journée pleine d’embêtements (une interview trop longue et ratée, une voiture qui crève, une araignée énorme sur mon linge propre…) que j’avais gagné le prix du roman, pour le concours de littérature érotique. Un bien petit concours, mais quand même…
Maintenant, l’organisateur, l’association Art-Phare, va me le faire enregistrer sur cassette. Moi qui avais tant envie depuis l’année dernière de lire des textes sur cassettes ! Je suis ravie.
En revanche, il faut que j’essaie de trouver un éditeur. Il me semble que mon roman a plein de faiblesses, mais c’est terrible, le texte me semble complètement fermé sur lui-même, je n’arrive pas à entrer dedans pour refaire, arranger ou ajouter quoi que ce soit. Isabelle, la présidente d’Art-Phare, a proposé de m’aider à trouver les failles, cela m’ennuie un peu mais je crois que je vais tout de même essayer d’y travailler un peu avec elle. Il faut aussi trouver un autre titre.

Un loup passant par un désert
ou Sens dessus dessous
Je l’attrape par la queue
Je la montre à ces messieurs
Bourre et fourre et ratatam
La rouge et la rose
Rose concon
Les doigts de rose
Rose carnation
Roses laiteuses
Encres roses
Nuits d’encres
Les roses étaient encore très belles

J’ai reçu mon prix au premier Salon du livre de Bordeaux, rencontré d’autres lauréats, retrouvé un photographe de Sud-Ouest que je n’avais pas vu depuis mon remplacement à Libourne, et surtout parlé avec Marc Torralba, du Castor Astral, que je connaissais déjà en tant que journaliste, et qui, là, faisait partie du jury. Il s’adresse maintenant à moi sur un tout autre ton, très très sympathique, il me semblait tout d’un coup que je n’étais plus la même personne. Il m’a présentée à Alain Absire, qui a publié chez eux un recueil de nouvelles, et qui m’a proposé de lui envoyer mon manuscrit. J’étais si contente, je ne disais que des choses idiotes, on se serait cru dans le dernier film de Rohmer…
En attendant, j’ai trouvé le moyen de rentrer dans mon texte, j’ai déjà corrigé et ajouté pas mal de choses, et trouvé un titre, Vertiges, un rien hitchcockien… Jeudi, je vois Isabelle.

Lewis Carroll aurait sans doute marqué cette journée d’une croix blanche.
À midi, en rentrant de Gironde-Magazine, je trouve une lettre d’Alain Absire. Je lui ai envoyé mon roman (maintenant Couleur chair) jeudi dernier, ainsi qu’à cinq maisons d’édition. Sa lettre : deux pages de compliments, il est tout prêt à m’aider à trouver un éditeur, bien que mon texte soit un peu court.
Je n’ose pas y croire, je nage dans la joie.
Cet après-midi, en rentrant de la fac, je trouve un mot d’Henry : Denis Roche, du Seuil, a appelé, rappelle-le. Je téléphone : il veut me voir, le plus vite possible. Je prends rendez-vous pour lundi prochain à Paris. Mon texte est très étonnant, provocant, réussi, mais il est court, il faudrait le retravailler, nous en reparlerons ensemble.
Voilà. Quelques jours seulement après mon envoi. J’en suis abasourdie ; au fond de moi, je me demande encore si tout ça n’est pas qu’une sale plaisanterie.

Je suis restée en léger état de choc jusqu’à plus de midi.
Ce matin j’ai fait une interview, comme dans un rêve.
Comme si je changeais de peau.
Hier soir, après avoir écrit dans ce cahier, je reçois un coup de fil des éditions Régine Deforges, qui veulent aussi mon texte. Eux aussi trouvent qu’il est « extrêmement rare » de recevoir de tels manuscrits. J’ai appelé Alain Absire, qui m’a renouvelé ses encouragements, ses éloges, sa promesse de soutien.
Bref, lundi, je rencontre les deux éditeurs. J’ai aussi appelé Marc Torralba, qui veut maintenant que je lui donne un texte pour Jungle. Moi qui écris si simplement !

Chez Régine Deforges, ils me demandaient de rallonger le texte, de donner plus de détails sur les personnages et le décor, d’en faire un « vrai » roman.
Denis Roche, lui, le voulait tel quel, sauf le titre, la dernière phrase et la phrase avec Chopin. Il ne manquait plus que l’aval de Michel Chodkiewicz. J’ai rappelé cet après-midi, il ne l’a pas encore lu – ils ont été très occupés avec leur Goncourt – , mais les deux femmes du comité littéraire l’ont lu et ont été paraît-il enthousiasmées. Est-ce moi qui me décourage ? J’ai cru percevoir moins d’assurance dans la voix de Denis Roche.
Qu’il est dur d’attendre, et dans une telle incertitude. Difficile de faire autre chose, de vivre simplement – et plus encore d’écrire.

J’essaie de m’accrocher à l’espoir de mon prochain roman, dont je n’ai pas encore pu écrire une ligne (nausées).
Il s’appelle L’Appartement, non, Le Déménagement. La narratrice (première personne du singulier) vient d’emménager dans un vieil appart sombre et triste. Premier temps : elle déballe ses cartons, et son passé resurgit avec les objets. Deuxième temps : elle entend ses voisins crier dans la nuit. D’abord incertaine, elle croit ensuite qu’ils font l’amour, et se caresse sur leurs cris. Mais ceux-ci semblent tourner franchement à la bagarre : elle descend frapper à leur porte. D’autres voisins sont là, on appelle la police. Les flics entrent : « elle » a tué son mec ; la narratrice s’aperçoit qu’ « elle » est son double. Troisième temps et fin : le cafard dans la cuisine.
Premier temps : trouver les objets, et le passé.

J’ai écrit la première page de mon roman, mais À REFAIRE. Ce que je veux, c’est que ce soit DUR, au moins comme Le Boucher, comme du rock, comme la Furia dels Baus. Pas de mollesse. Pas faiblir. Écrire dur. Que je ne me sorte pas ça de la tête, et que tout le reste saute.

La secrétaire de Denis Roche m’a appelée hier matin : ils prennent mon texte, sous le titre Le Boucher, et sans autre changement. Lui est à Bruxelles en ce moment, il m’appellera la semaine prochaine.

J’ai renvoyé mon contrat tout à l’heure, avec deux petites modifications qui, je l’espère, ne créeront pas de difficulté.

*
à suivre

Forces de l’esprit et forces de la nature

technique mixte sur papier 10x16 cm

technique mixte sur papier 10×16 cm

Je lis en ce moment Millenium, je viens de terminer le deuxième tome (après l’avoir vu en série il y a quelques années). Formidable personnage de Lisbeth Salander. Comme je le disais l’autre jour des séries nordiques, cette trilogie romanesque de Stieg Larsson constitue un véritable bienfait pour l’humanité par son expression des rapports sociaux et la force de ses personnages féminins. J’ai rendez-vous avec de jeunes tatoueuses, « nous aussi on est des guerrières » m’a répondu l’une d’elles quand j’ai dit que je voulais me faire tatouer la chouette d’Athéna.

Homère. Dès ce cours, au collège (où nous étions deux en classe de grec), où nous avons traduit l’arrivée d’Ulysse sur la plage de Nausicaa, dès cet émerveillement, ce transport dans un autre monde, il fut écrit que je le traduirais encore. Plus tard Homère vint me visiter en rêve, me donnant sa tête à manger (à ceux qui m’ont déjà lue, pardon de me répéter). Nous sommes très ignorants, humains, sur les forces de l’esprit. Nous les pratiquons, et certain·e·s d’entre nous en sont des champion·ne·s, dans telle ou telle discipline, telle ou telle branche du savoir, telle ou telle science. Mais la plupart du temps nous ne savons rien des forces de l’esprit en elles-mêmes, pas plus que les champion·ne·s physiques, dans tel ou tel sport, n’en savent généralement sur les forces physiques de l’univers.

La spiritualité est une étude des forces de l’esprit, souvent nommées de divers noms de divinités, dieux et Dieu. Cette science humaine est aussi une science « dure », ou a pour vocation de l’être, comme les mathématiques. Les mathématiques en font d’ailleurs partie, à mon sens. Les personnes les plus ignorantes en sciences de l’esprit les combattent avec la même hargne que d’autres ignorants, notamment religieux, combattent les sciences en général. Beaucoup d’intellectuels défaillants, mal formés, au nom des Lumières (et surtout de la perpétuation de la société telle qu’elle est et les favorise) combattent à la fois les sciences « dures » et les sciences de l’esprit, en rejetant sur elles leurs propres tares : l’ignorance, l’incapacité à penser en vérité, l’obscurantisme.

Divers outils permettent d’étudier les forces de l’esprit. La langue en est un, mais ce n’est pas le seul. L’outil-roi pour connaître les forces de l’esprit, c’est la vie. La vie sauvage. Sauvage renvoie, dans l’esprit des humains domestiqués, à mauvais, chaotique, immaîtrisé en soi, déchaînement des passions et des vices, noirceurs. Alors que la sauvagerie est en réalité lumière, beauté, transcendance. L’étude de la vie sauvage, notamment par les sciences, comme par la poésie, sacrée ou profane, sont les voies royales pour dépasser le stade des « Lumières » en cherchant, dans la lumière, La lumière.
*

Des bienfaits des séries nordiques, et des méfaits des falsifications françaises (note actualisée)

Après avoir regardé plusieurs séries nordiques à la suite, je suis revenue vers une série américaine assez bien réputée et là, j’ai dû vérifier deux fois la date de production, tant elle me semblait datée. Dans la forme mais surtout dans le fond. Les caractères, les rapports humains, les rapports hommes-femmes, tout cela semble arriéré par rapport à ce qu’on voit dans les séries nordiques. Pourtant, première diffusion en 2014, ce n’est pas une vieille série, elle est même moins ancienne que certaines des séries nordiques que j’ai regardées, et dans lesquelles l’humanité paraît tellement plus évoluée.

De même qu’il y a beaucoup de films plus ou moins vieux que, même bons, je ne peux plus regarder, à cause des codes sociaux pénibles qu’ils véhiculent, en particulier sexisme éclatant et racisme plus ou moins larvé, je renonce, après un épisode, à ma série américaine, et retourne à une autre série nordique, là où je peux respirer. Malgré le mal qui bien sûr s’y déchaîne, puisque je regarde toujours des séries policières. J’aime les énigmes, la quête de la vérité, le combat contre le mal. Je n’aime pas une fiction qui étale son sexisme ou son racisme parce que son auteur les trouve normaux.

Les pays nordiques, qui travaillent dans le souci de la meilleure organisation sociale possible, du respect de chaque personne dans ses droits et ses devoirs au sein de la collectivité comme dans son environnement, de la responsabilité du groupe envers chacun et de chacun envers le groupe et envers la nature, dans le sens d’une société apaisée où chaque personne, à la fois sécurisée et autonome, peut se réaliser au mieux et être heureuse, ces pays montrent la voie pour toute l’humanité. C’est en cela que les bonnes séries nordiques sont précieuses. Elles ne montrent pas un monde parfait, mais elles montrent un monde où le respect d’autrui est possible, où la puissance des femmes est effective autant que celle des hommes, où l’autonomie des enfants est encouragé, où les enfants sont respectés autant que les adultes, en même temps qu’ils sont responsabilisés. Elles nous montrent une humanité plus accomplie, plus libre, et nous font comprendre que les pesanteurs patriarcales de nos vieux pays ne sont pas une fatalité. Nous pouvons nous en sortir.

Quelques minutes de visionnage de la série d’Arte sur l’Iliade et l’Odyssée m’ont suffi à voir que la falsification la gâtait comme le livre de Tesson. Comme son livre, elle est destinée à un public inculte en la matière, et visiblement écrite par un ou des incultes. Pleine d’approximations, d’erreurs, de contresens et de falsifications, elle véhicule une vision nihiliste qui n’a rien à voir avec la profonde humanité d’Homère. Chaque jour, continuant à le traduire, j’en suis bouleversée et extrêmement heureuse. Et je me dis que si seulement ceux-là qui en parlent avaient la capacité de lire vraiment cette œuvre, ils ne ressentiraient pas le besoin de la gâcher, à la façon de désirants dépités par leur propre impuissance. Un mal du vieux monde qui est en train de tuer le vieux monde, tandis que l’humanité vivante continue son chemin.

Les gens croiront savoir alors qu’ils ne sauront rien, comme les scénaristes de ce genre de documentaire, et n’auront nullement été incités à lire. On n’apprend rien d’ignorants, et ce documentaire est fait par des ignorants. Beaucoup d’argent public jeté par les fenêtres, alors qu’il aurait pu être utilisé pour enseigner intelligemment et sérieusement. Un problème trop souvent présent en France, d’où la baisse générale du pays. Grave culpabilité de services publics comme Arte, entre autres. Il devrait y avoir un contrôle sur l’utilisation de l’argent public dans les programmes des chaînes publiques, elles ne devraient pas pouvoir diffuser impunément de la fausse science. L’obscurantisme reste un mal à combattre.

P.S. 8-2-2021 Après écoute de quelques minutes de plus du docu d’Arte sur l’Odyssée, il apparaît que la thèse est de présenter Ulysse comme un athée (!) poursuivi par la colère de Zeus parce qu’il voudrait libérer les hommes des dieux. Évidemment c’est une énorme falsification. C’est exactement le contraire de ce que dit Homère, Zeus défendant Ulysse contre Poséidon, l’ennemi d’Ulysse qu’il faut faire plier afin d’assurer un heureux retour au « divin Ulysse » :

Ainsi répondit Zeus rassembleur de nuages :

« Mon enfant, quelle accusation sort d’entre tes dents ?
Comment oublierais-je jamais le divin Ulysse,
Si intelligent parmi les mortels et si généreux
En sacrifices pour les dieux, habitants immortels
Du vaste ciel ? Mais Poséidon qui enserre la terre
Est toujours irrité de ce qu’il aveugla l’œil
Du simili-dieu Polyphème, le plus fort
De tous les Cyclopes. La nymphe Thoosa,
Fille de Phorkys, l’un des chefs de la stérile mer,
S’étant unie dans les grottes à Poséidon, l’enfanta.
Depuis, Poséidon, l’ébranleur de la terre,
Sans le tuer fait errer Ulysse hors de sa patrie.
Mais allons ! Réfléchissons, nous tous, aux moyens
D’assurer son retour. Poséidon alors
Laissera sa colère. Car il ne pourra, seul,
Lutter contre le vœu de tous les immortels dieux. »

Journal intime d’une jeune femme libre, 4 : travail travail, et première publication

Nous nous sommes arrêtés la dernière fois au moment où je m’apprêtais à quitter l’océan pour partir en ville. Nous y voilà. Changement de vie. Fin du premier couple, nouvelles amours, et surtout reprise des études (journalisme puis lettres). Encore parfois des moments d’épuisement, tout à la fois étudier, travailler pour gagner sa vie, élever ses enfants et s’entraîner à écrire n’est pas de tout repos. Mais finalement, arrive le moment où mon premier texte (hors journalisme) est publié, dans une revue. Je croyais me souvenir qu’il avait été publié dans la revue Schibboleth, mais en fait non, c’était dans Le Bouvier. J’ai commencé le théâtre vers 1982, donc j’ai rétabli la bonne date par rapport au livre papier. Rien de plus dans mon journal pour cette période, deux ans de très grande pauvreté, seule avec deux petits, avec des moments très difficiles mais aussi beaucoup de moments de grâce. Peut-être n’écrivais-je plus dans mon journal, ou bien les pages s’en sont perdues, je ne sais pas. La description d’un repas, plus loin, est le fait d’une gourmande, mais aussi de quelqu’un qui a eu faim pendant deux ans.

*

Bordeaux, 1982

Il me faudrait un seau d’eau froide sur la tête. Je viens de passer ma première audition devant le prof d’art dramatique, je jouais Aricie dans l’acte II, scène I, de Phèdre. Combien d’éloges j’ai reçus ! J’aime tellement ça, le théâtre !

1984-85

Première journée de stage à Sud-Ouest. J’ai écrit quelques petits papiers à partir de dépêches AFP, c’était vraiment un boulot de rien du tout, pourtant ça m’a fait très plaisir. Même un minuscule travail d’écriture, ça fait du bien, surtout quand il va être publié, donc lu. Il n’y aura pas mon nom, bien sûr, mais quand même, oui, ça me fait plaisir.
Ce matin, j’ai attendu encore la carte d’Arno, elle n’est pas encore arrivée. Dans vingt-quatre heures, il sera là (demain, ou aujourd’hui, minuit). Tout bronzé, j’espère, et avec une petite étoile de ski. Il m’expliquera pourquoi je n’ai pas reçu sa carte, et je ne serai plus triste ni inquiète.
Ce matin, j’ai aussi téléphoné à David. Mon cœur, il me tarde de lui faire des bises sur ses bonnes joues.
J’ai aussi acheté des cadeaux pour mon père. Pour ma mère, je n’ai encore rien trouvé. Pour moi, une jupe rouge, de grands gros clips en lion rayé rouge et blanc, de petits gants de dentelle rouge. Hier, une ceinture grise à grosse fermeture métallique, à mettre sur les hanches. De tout ça, cet après-midi à Sud-Ouest, je n’ai mis que la jupe rouge. Travail travail.
À midi, je suis allée manger au Nyoti avec Henry, galette de sarrasin aux légumes et tarte à la figue. Ce soir, en rentrant de Sud-Ouest, j’ai trouvé un charcutier-traiteur encore ouvert, je me suis acheté une barquette de poireaux-vinaigrette et une quiche. À la maison, en plus, j’ai mangé un demi-pot de fromage blanc fermier, une pomme, un thé à la vanille, des tranches de croissants grillés, et de la confiture de melons d’Espagne. À la télé, il y avait le premier épisode du feuilleton tiré du Parrain, et puis le film de Depardon que j’ai vu au cinéma l’année dernière, Faits divers. Je l’ai regardé encore. J’ai pleuré quelquefois dans la soirée, comme un enfant se laisse aller à mouiller son lit.
Maintenant, m’y voilà, au lit. Avant de me coucher, j’ai regardé mes bijoux de pacotille, tous mes petits bouts de rien du tout rangés dans de petites boîtes poussiéreuses, et ça m’a procuré un grand plaisir, surtout les petites choses très vieilles, très inutiles ou très laides.

Finalement, mon dialogue radio a été : le Jeune et le Vieux prennent l’ascenseur. L’ascenseur et le temps se bloquent. Le Vieux révèle au Jeune qu’ils sont tous les deux la même personne. Cela après avoir lu Le Livre de sable, de Borges.
Il est tard, j’ai encore du travail. Il faudrait que je finisse Palimpsestes, de Genette. J’ai d’autres bouquins à attaquer ! Alors, ce soir, c’est tout pour le cahier. Dommage, j’avais envie.

J’avais rendez-vous avec une équipe de télé, mais l’équipe n’était pas là, et moi j’ai attendu. En plus, c’est de ma faute, c’est moi qui ai mal pris le rendez-vous, et qui m’y suis mal rendue. Je lis le journal de Miguel Torga, En franchise intérieure, traduit par ma prof de lettres Claire Cayron, et ça me redonne envie d’écrire dans ce cahier. Mais je manque terriblement de temps, et à peine l’année scolaire s’est-elle terminée que me voilà casée dans ce fichu stage d’observation à FR3. Qu’est-ce qu’ils sont ringards ! Quelle misère une télé pareille !
Ceci est mon troisième stage en entreprise de presse et ma troisième déception. Serai-je vraiment journaliste un jour ? À Paris, on doit pouvoir faire mieux. Tout de même, je m’inquiète. Je me dis était-ce bien ma vocation ? Et si je n’avais aucune vocation ? Sinon celle de lire, et, je le voudrais, d’écrire. Par moments, je suis pleine d’ambition, je me vois gravissant hardiment les échelons de l’échelle sociale, à grands coups de travail et de durcissement de moi-même, et puis il suffit que je voie une clocharde, un clochard, et alors je suis prise du sentiment de l’absurdité, et même du tragique de la vie, et alors me voilà complètement désorientée.

Paris
Que je me sens bien ici, où tout est plus grand et plus fort. Où je suis seule depuis une semaine. Un jour, j’irai à New York.

Bordeaux
Quand j’ai relu mon premier papier pour Sud-Ouest, l’histoire d’un vieux qui se remettait au vélo à quatre-vingt-six ans, je l’ai trouvé tellement ringard que j’ai failli en pleurer. D’ailleurs, là-bas, à Libourne, ils m’ont dit que c’était bien.
J’attends avec impatience mes notes de l’IUT. En réalité, ce que j’attends, c’est l’appréciation de la prof de lettres sur mon dernier dossier, un encouragement à écrire…
En ce moment, j’écris pas mal. J’écris, et surtout je réécris les papiers des autres, pour Sud-Ouest bien sûr. C’est loin d’être un travail littéraire, mais ça m’apprend quand même le poids des mots. Qu’ils sont lourds, surtout quand ils sont faux, vains, vaniteux ! Il y a un tas de tels mots dans la presse.
Il y a quelque chose de précieux dans le métier de journaliste, c’est surtout pour moi, à la fois très timide et extravertie, l’obligation de la rencontre, de la découverte. Et puis, dans tous les sens, géographique, social, le mouvement. Dans mon dernier dossier de lettres, j’ai écrit, à propos des écrivains voyageurs, que ce que j’appréciais dans l’écriture, c’est qu’elle soit mouvement. Le reportage aussi, c’est mouvement.

J’ai terminé dans le train le Journal de Kafka. Un peu comme si j’avais vécu avec lui cet été. Dans ses notes de voyage, à la fin, il raconte un fait divers d’une façon désopilante : la voiture qui rentre dans le tricycle. Ah ! Si on pouvait voir ça dans les journaux !
Lu aussi : Pieyre de Mandiargues, La Marge, Pierre Louÿs, Trois filles de leur mère, Jacques Lacarrière, En suivant les dieux, Nathalie Sarraute, Enfance, Alejo Carpentier, Musique baroque. Et puis ? Quelle mémoire… J’ai une passoire à la place de la tête.

Plus on écrit, plus on a envie d’écrire. J’apprends. J’ai envoyé un billet au Monde, comme ils l’avaient demandé pour remplacer Claude Sarraute en vacances. Ils ne le passeront pas. Je suis quand même contente de l’avoir fait. C’était à propos des vacances. Je remarquais qu’on a l’air anormal si on n’en prend pas. Moi qui, en ce moment, ne pense qu’à travailler. Personne autour de moi ne le comprend, je crois. Mais un jour, j’écrirai. J’en suis de plus en plus sûre. D’ailleurs je l’ai toujours voulu, sinon su, sans oser l’avouer (maintenant pas davantage, sauf dans ce cahier). Merci, cahier.

Elsa Morante est morte. Je l’aimais tant.
Cette nuit, rêve où j’accouchais d’une salade « romaine ».
La nuit précédente, je me suis vue mourir plusieurs fois. Je venais de finir Victoria, de Knut Hamsun, juste après avoir relu La Faim, et je me suis mise à regarder L’Heure du loup, de Bergman, à la télé. Angoissée, j’ai appelé Henry à plusieurs reprises. Il a fini par se lever et m’a éteint la télé. J’ai eu une grosse crise de nerfs jusqu’assez tard dans la nuit. (Est-ce que je deviens plus nerveuse, cela ne m’arrivait pas comme ça, avant). J’ai rêvé plusieurs fois à ma mort : dans le canapé en compagnie de trois hommes, en allant danser avec ma sœur…

J’ai décidé d’écrire un roman. Une histoire initiatique inspirée des romans du Moyen Âge, que j’adore. Il faut que j’y pense. Je commencerai sans doute la rédaction en février.
J’adore être à la fac, baigner dans les livres.

Je vais peut-être travailler comme journaliste pour le Parc naturel des Landes. Ça m’aiderait pour mon roman.

Longue émission sur Bach à la télé, et sur France Musique. Magnifique. Terminé sur le Magnificat. J’étais seule, j’ai pu chanter en même temps. Envie de chanter à nouveau dans les chœurs. Tellement beau, poignant. Quelqu’un disait que l’œuvre de Bach n’était faite que de « citations de Dieu ». Glenn Gould dit qu’elle est structurée comme l’univers, ou comme un atome. Comment faire cela en littérature ? Ronsard, peut-être.

Mercredi 1er janvier 1986
Passé la fin de la nuit sur la route, à attendre le dégel, avec Jean-Pierre, Marie, Henry, Bernard. Circulation paralysée, voitures dans le fossé… Super. Nuit blanche, sensible.
Je viens de corriger Rendez-vous, en y ajoutant l’épisode du loup. Comme ça, je l’aime bien.
Dimanche et lundi, nous étions à la montagne, à Licq, chez Jean-Pierre et Marie. Il avait neigé, c’était très beau, l’air était pur, et Arno m’a dit de belles choses sur la vie. Il y a là-bas un mont qui s’appelle le mont du Loup Rouge. La montagne est tellement fascinante.
Pour cette année, je me souhaite de longues heures de travail, de grandes émotions, et de belles pages d’écriture.
« De grandes émotions », j’ai eu peur en l’écrivant et j’ai eu envie de le rayer, mais peut-on rayer ce qui est écrit dans un journal ?
Je continue dans les nouvelles. Il faut que j’écrive l’histoire de la vieille qui demandait l’heure. Et toujours celle du monosandalisme. Et encore… Je manque cruellement de temps. Et réécrire l’histoire des petits hommes, en commençant par les vers qui descendent l’escalier.

Hier soir, chez Jean-Pierre et Marie, j’ai été attirée par un bracelet de cailloux, posé sur le buffet de la cuisine. Comme je l’observais dans mes mains, Jean-Pierre m’a dit que je pouvais le prendre, si je voulais. Il suffisait de demander à Pomme, à qui il appartenait. Et puis il me l’a mis au poignet. Pomme me l’a donné. J’adore ce bracelet. Ce sont des petits cailloux colorés (vrais ou faux ?) d’Amérique latine. Ils s’entrechoquent, j’aime le bruit et le contact sur ma peau. Ce bracelet me donne envie d’écrire.
Si peu de temps. Tant de choses à faire, qui mangent le temps. Et ces violentes migraines, dès que je manque de sommeil.
Plus j’ai envie d’écrire, plus je me sens loin des autres.

La neige a une de ces façons d’envelopper le paysage qui vous en met plein la vue. Comme dit Arno, c’est rare ici, la neige deux hivers de suite, « surtout qu’on est protégés par les fleuves et la mer ». Et comme dit David, « Eh ben dis donc, la nuit doit être longue, pour qu’il ait tant neigé ».
Comme l’hiver 1956… On ne peut pas dire que je sois contente de voir venir mon anniversaire. Quand même, tout ce blanc illumine et adoucit bien les choses.

Je vais être publiée pour la première fois. Ma première nouvelle : Cailloux. Dans une revue régionale, Le Bouvier.