pures pulsions de vie

Traduit 90 vers du chant 3 ce matin entre 6 heures et midi trente, petit-déjeuner compris dans le temps. Je n’ai à m’occuper que de la poésie, c’est pourquoi je peux aller vite, en profitant des notes établies par d’autres traducteurs sur tel ou tel élément cité, fleuve, personnage, pays… Je leur sais gré de leur travail, je sais gré aussi à ceux qui ont mis le texte grec et des dictionnaires en ligne – je consulte aussi maintenant des dictionnaires grec-anglais, c’est intéressant de comparer ; et moi aussi je fais mon travail, de poésie, de mon mieux. L’après-midi je sors, je prends l’air, et entre les tâches quotidiennes de la maison, je trouve en général encore assez de temps, jusqu’au coucher, pour traduire quelques autres dizaines de vers. Ainsi avance la bonne affaire, grâce à une vie monastique en liberté.

On parle en ce moment d’un « roman psychanalytique » qui vient d’être empêché de publication par la justice, sur recours de la famille de l’auteur. Ce genre d’histoires se multiplie, on ne sait s’il faut crier à la censure ou au respect de la vie privée. J’ai écrit un commentaire sur le site qui explique l’affaire, Actualitté.com, je le recopie ici plutôt que de le paraphraser – ça peut servir, on ne sait jamais.
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Il y a des livres qui entendent dénoncer des actes de prédation, et qui sont eux-mêmes des actes de prédation. Mais ne peuvent s’y laisser prendre que les personnes qui s’y reconnaissent. Si les personnes visées par le livre ne s’y reconnaissent pas, elles doivent apprendre à ne pas se laisser fasciner par le mauvais œil du livre, à s’en tenir à distance, à ne pas s’identifier à ce à quoi elles n’ont pas à s’identifier. Et si elles s’y reconnaissent, en tout ou en partie, qu’elles apprennent à assumer. Cela dit, chacune et chacun a aussi le droit de faire appel à la justice – quoiqu’il me semble bien plus sage d’apprendre à garder ses distances avec les regards des autres.

Pour ce qui est des auteurs, il faut dire que beaucoup d’éditeurs les poussent à l’autofiction (à condition que les auteurs ne les fassent pas entrer eux-mêmes, les éditeurs, dans leur autofiction, auquel cas ils peuvent déclencher une punition collective du milieu contre l’insolent-e auteur-e), autofiction qui est souvent une facilité pour tout le monde, éditeurs, auteurs, lecteurs. Mais après tout le genre ne fait pas le talent, et n’importe quel genre littéraire peut être investi avec génie. Même si le génie est plus rare que la médiocrité, il peut du moins compter, lui, sur le temps long pour être découvert ou redécouvert, comme l’histoire littéraire en témoigne largement.
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Bon je reconnais avoir écrit le deuxième paragraphe de ce commentaire en pensant à mon roman Forêt profonde, qui a été occulté par la presse française, et en me faisant le plaisir de me rappeler que c’est pourtant un livre puissant, et que c’est ce qui compte, pour sa vie future. Quand je serai morte, beaucoup de mes textes resteront vivants ou prendront vie parmi les lecteurs, et c’est ce qui compte. Le tri que fait le temps. De mes textes, et des textes splendides d’autres auteurs morts depuis longtemps, que j’aurai traduits et qui continueront eux aussi à vivre. Quand je pense que des imbéciles ont essayé dans le passé – Annie Ernaux par exemple – de me détourner de la littérature érotique. J’ai bien fait de n’en jamais faire qu’à ma tête, sans quoi elle serait incapable de faire aujourd’hui ce qu’elle fait, entraînée qu’elle est, avec mon corps, à monter les cavales de mes pures pulsions de vie pour des trajets inouïs.

alinareyes