Aux vers 106 et 107 du chant XI, chant que j’ai commencé à traduire ce matin, je m’amuse de trouver « les moutons du Soleil », soleil « qui surveille tout et écoute tout ». C’est bien lui en effet qui cafte, qui a rapporté par exemple au mari jaloux, Héphaïstos, que sa femme Aphrodite couchait avec Arès, puis a continué à surveiller les amants pour aider le mari à les piéger. Admirable Homère qui en fait dans l’Odyssée une scène comique dans laquelle tout le monde est ridiculisé, sauf Aphrodite dont les dieux comprennent très bien qu’elle vit tout simplement son existence de déesse de l’amour, et ne lui reprochent absolument rien, voire envient Arès, même enchaîné par le mari (tout en reconnaissant sa faute de cocufieur).
Le soleil est le Big Brother de l’Odyssée, mais qui n’a pas grande importance, en fait, comme surveilleur et cafteur. Le monde de l’Odyssée n’est pas un monde préoccupé par la surveillance. C’est un univers au grand air. Justement ce qui manque aux morts, dans ce magnifique passage de la descente d’Ulysse chez Hadès, au début du chant XI. Dans lequel Ulysse doit lui-même exercer une surveillance, sur le sang du sacrifice, afin que les morts ne se jettent pas dessus pour le boire avant qu’arrive et parle le devin Tirésias. Les Enfers sont un endroit sombre et brumeux, dit Homère. Et les moutons du Soleil me font penser à des nuages que l’astre ferait paître dans le ciel, en miroir des brumes de sous terre. Ses bœufs aussi peuvent s’imaginer en troupeaux de nuages, et c’est peut-être ce que voyaient les Grecs, qui sait ? Logique du déroulement de l’histoire : après les brumes des enfers, les moutons du soleil, et toujours, la mort au bout – sauf pour Ulysse.