L’excitation

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L’excitation a-t-elle quelque chose à voir avec la mort ? Avec l’envie de se fourrer ou se faire fourrer dans la matière ? Pourquoi le sang accourt-il sous la peau, à cette idée de pénétration ? Alors que nous pleurons aux enterrements.

Certains cherchent sans cesse l’excitation, d’autres passent leur temps à la fuir. La cause de leur comportement est la même : la peur de mourir. Rechercher ou refuser le sexe leur sert de conjuration. Vaine. Rechercher ou refuser le sexe ne fait qu’entretenir la mort tout au long de la vie. Ne fait qu’entraîner la hantise de la vie par la mort. Ce qui libère la vie de la mort, ce n’est ni la quête ni la fuite du sexe, mais sa connaissance.

Ici nous sommes dans le domaine de la connaissance du sexe. Et comme toute connaissance particulière, elle conduit à la connaissance générale et entière.

J’ai entendu un jour un auteur de littérature pleine de sexe dire qu’elle n’était « pas là pour faire bander les lecteurs ». Comme beaucoup de ses confrères, comme les curés tripoteurs, elle n’assumait pas ce qu’elle faisait. Je sais que mes lecteurs et lectrices peuvent bander, et je veux en les faisant bander les enseigner. Que leur bandaison ne leur soit pas salissure ni perdition, mais éclaircissement. Une parole assumée, par l’auteur et par le lecteur, n’est pas néfaste mais faste, fête du corps et de l’esprit.

S’il n’y avait pas de sexe il n’y aurait pas de chant, pas de langue, pas de religion, pas d’art, pas de philosophie, pas d’homme. Il y aurait des mathématiques, mais personne ne les aurait découvertes. Ceux qui, d’une façon ou d’une autre, dénient le sexe, dénient toute l’histoire de l’humanité. Ils restent privés de ses bienfaits, sans pouvoir se libérer de ses méfaits.

La virilité

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C’était une fête dans un quartier chic de Paris. Dans l’immense salon d’un immense appartement donnant sur un grand jardin invisible de la rue. Un orchestre latino-américain avait été engagé. Des invités mondains, du milieu des médias, des intellectuels, des politiques, que sais-je encore. Sur ce qui faisait piste de danse, près de moi l’un d’eux se dandinait avec une mollesse repoussante. Je me suis écartée, j’ai passé le reste de la soirée avec les musiciens, les seuls parmi tous ces gens qui fussent virils et vivants.

Il n’y a pas de virilité dans les milieux d’argent et de pouvoir. Des coucheries, des obsessions, des histoires ambiguës, voire des viols, mais tout cela dans une extraordinaire mollesse morale. Vir signifie homme parce que cela signifie aussi, à la racine, force et courage. Des qualités qui physiquement, musculairement, sont plus visibles chez l’homme, mais moralement, mentalement, appartiennent tout autant à la femme.

Ces gens ne tiennent que par leurs réseaux. Individuellement ils ne tiennent pas, ils sont lâches, impuissants, fuyants, menteurs, dissimulateurs, fourbes souvent. C’est pourquoi ils intègrent toutes sortes de systèmes fonctionnant comme des mafias. Ils ne peuvent agir qu’en s’appuyant sur leur organisation. Sur la négation de ce qui fait que l’homme est unique.

La virilité, c’est de pouvoir dire « je » en vérité. C’est-à-dire que ce je parle et agisse lui-même. Et non pas que sa parole soit une répétition plus ou moins frauduleuse de celle des autres, ni que ses actes tiennent aux autres, à un réseau. Virilité et vertu ont la même racine. La virilité est une vertu des femmes aussi bien que des hommes. La virilité, c’est la franchise, et la franchise, c’est la liberté.

Des fantasmes et du mal

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Les fantasmes sont comme les rêves, certains semblent venir du paradis. D’autres, de l’enfer. On est bien obligé de parler du mal, quand on parle du sexe. Ou de n’importe quoi d’autre. Le mal est toujours là comme option. Une option que certains choisissent en connaissance de cause, délibérément. Mais où la plupart d’entre nous tombons de temps à autre par ignorance.

Le mal nous vient de loin, de moins loin que le bien mais de loin, il s’inscrit dans les âges, nous traverse comme il traverse les siècles. Au Moyen Âge, famines, guerres, croisades, épidémies, installent le diable et l’enfer sur les tympans des églises. Quoique banal, le mal est encore extraordinaire. Dante, Giotto, Fra Angelico, Bosch voient au Jugement Dernier et en Enfer des goules dévorantes. La Renaissance arrive, Dürer montre le lien entre ces trois figures, Le Chevalier, la Mort et le Diable – où le Chevalier peut se résumer à l’Homme, fatalement poursuivi et menacé par le mal.

Au XVIème siècle, Signorelli peint un antichrist chuchotant comme un amoureux à l’oreille de l’homme. Un antichrist terriblement humain, comme ailleurs sa figure du diable. Chez Michel-Ange il est une bête aux traits humains, à moins qu’il ne s’agisse d’un homme singeant la bête. Le diable continuera son chemin en se pliant aux époques, aux modes baroque puis romantique. Mises en scène, obscènes, de sa beauté.

Au vingtième siècle le Mal est là, de ce monde et en ce monde, les artistes ne prennent plus la peine d’en faire une figure de l’autre monde, ils peuvent même s’interdire de le figurer, comme ce fut le cas pour la Shoah. Ou bien c’est une figure fantastique que combattent des super-héros mais qui est pleinement implantée sur cette terre.

Et cela continue au troisième millénaire. Les figures du mal sont sur tous les écrans, spectaculaires, comme si le fait de l’être les rendait irréelles, comme si la mise en scène les conjurait, les tenait à distance. Mais le spectacle se poursuit et se dépasse lui-même, la révélation – mot qui se dit en grec apocalypse – déborde, voici que le mal se montre non plus seulement dans la fiction, dans des sectes ou dans des expressions artistiques nihilistes, mais possédant ceux-là même qui gouvernent le monde, les empires “du bien”, les États démocratiques que de simples citoyens, lanceurs d’alerte tels Julien Assange ou Edward Snowden, montrent nus et ridicules comme le roi de la fable.

Le sexe est mise à nu. Révélation. Nudité. Celle du serpent, et celle de la vérité. C’est le travail de toute la vie, d’apprendre à identifier ce qui est mauvais, afin de l’éviter, de le rejeter, de s’en défendre. Pour cela il faut aussi savoir reconnaître ce qui est bon. Ceux qui insinuent par exemple : « le sexe est mal », ce sont ceux-là qui poussent des gens à choisir délibérément le mal. Puisqu’ils leur ont fait croire que c’est le seul moyen d’être contenté.

On ne peut pas dire non plus « le sexe est bien » – ce serait oublier ou justifier le mal qu’on peut y faire. Le sexe est comme tout le reste. Comme la peinture, la cuisine, les plantes… Il y en a de bonnes et il y en a de mauvaises, ou de toxiques. Ce qui nous rend heureux et rend l’autre heureux, voilà ce qui est bon. Ce qui rend malheureux ou sans cœur, voilà ce qui est mauvais. C’est bien simple, mais ce sont des choses simples qu’il faut toujours rappeler, parce que ce sont des questions de vie ou de mort.

Certaines personnes semblent être en perpétuel état de frustration sexuelle. De ne « penser qu’à ça ». Nous sommes en train d’y penser, mais cela ne signifie pas que nous en sommes obsédés. Il est bien naturel que cela fasse partie de ce à quoi nous pensons, c’est tout. Savoir y penser nous aide à ne pas avoir peur des fantasmes, d’où qu’ils viennent. À ne pas être leur esclave.

Fantasme et fantôme sont le même mot. Je ne sais plus quel auteur a écrit cette petite histoire d’un homme qui voit entrer un fantôme dans sa chambre, la nuit. Et qui se rendort tranquillement. Vexé, le fantôme lui demande : « Je ne te fais pas peur ? » Et l’homme lui réplique qu’il aurait des raisons de s’inquiéter si un homme en chair et en os s’était introduit chez lui. Un brigand pourrait l’agresser. Mais un fantôme, que pourrait-il lui faire ?

Ni les fantômes ni les fantasmes ne peuvent nous nuire, sauf si nous nous mettons à vouloir les suivre comme des somnambules. Que ceux qui sont bons nous réjouissent. Quant à ceux qui font des grimaces de diables, qu’ils grimacent tout seuls. Fantôme de merde, sale pute de ta mère, tu pourriras en enfer. Voilà pour l’adversaire. Ils n’auront rien de moi à se mettre sous la dent tant qu’ils baiseront ses bagues de mafieux.

Sexualité, amour, pureté

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Un journaliste, Denis Robert, qui a beaucoup enquêté sur des affaires de corruption, a aussi écrit un livre érotique racontant les rendez-vous dans une chambre de deux personnes qui ont choisi de rester des inconnues l’une pour l’autre. Je n’ai pas lu le roman, qui paraît-il est très bon, mais ce qui m’intéresse c’est le rapport entre l’activité anti-corruption de cet auteur, activité très poussée qui lui a valu beaucoup de problèmes, et son fantasme, réalisé ou non, d’une pure rencontre des corps.

Quelle pureté trouva-t-il en-deçà des noms ? Qu’est-ce que la corruption ? Comment un livre peut-il contrebalancer le monde ? En-deçà des noms : la musique et le silence, qui lui appartient. En-deçà des noms : la peinture, celle qu’on trouve dans les grottes de la préhistoire comme celle d’un Van Gogh. Laver dans un livre la langue salie par des hommes qui ont corrompu le nom d’homme. Lui rendre la pureté de la musique, de la peinture, de la logique. Mathématique de l’écriture, de la lecture, comme opération de rachat de l’homme.

Compléter sa lutte contre la corruption dans la principauté virtuelle de l’argent, en écrivant l’histoire de deux êtres humains qui se rencontrent réellement, corps à corps. Mise à l’écart des identités sociales comme rejet de tout ce qui n’est pas expression directe de l’être à l’être. Voilà ce qui se passe, dans la nuit du lit. Le jour est occupé par des fantômes, les statuts et les existences des uns et des autres. Qu’ils falsifient leur nom et leurs comptes ou qu’ils se cachent derrière, ils font des uns et des autres des idoles. Des paravents du néant. Derrière lesquels il n’y a pas de chair. Pas de personne qui assume. Pas de face à face. Pas d’épreuve de la vérité. Pas de vérité.

Dans la nuit du lit, à la recherche concrète du trésor enfoui dans l’île, voici que nous sommes nus dans la vérité. Voici l’homme. La découverte du corps de l’autre vaut celle d’un Nouveau monde. Découverte, déshabillage. Une terre inconnue est toujours une terre vierge, puisqu’elle nous est inconnue. Comme on dit dans la Bible, Adam (« le Terreux ») connut Ève (« la Vivante »). Mais avant qu’il la connût, elle était vierge. Nous sommes vierges pour chaque être qui ne nous a pas encore connus.

Un corps inconnu est toujours une terre (« adama ») vierge pour qui le découvre. Même si mille autres l’ont connu auparavant. Et une fois connu, un corps, un être, restent toujours inconnus. Comme le dit Héraclite, on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. Parce que l’eau du fleuve change perpétuellement. Et celui qui s’y baigne aussi. Tout en restant le même, comme le fleuve. Le corps à la rencontre duquel je vais dans la nuit du lit peut être le même depuis de nombreuses années – il est pourtant toujours nouveau, toujours autre, toujours inconnu, à découvrir. Exactement comme son âme, qui y habite.