Le mariage de Figaro, par Beaumarchais, à la Comédie Française

https://youtu.be/HkZhW3HO5J4
Mise en scène de Christophe Rauck, avec Laurent Stocker dans le rôle de Figaro (présentation sur le site de la Comédie française)
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Beaumarchais écrivait en préface à sa pièce « que je ne l’ai point faite en observant le monde ; qu’elle ne peint rien de ce qui existe, et ne rappelle jamais l’image de la société où l’on vit ; que ses moeurs, basses et corrompues, n’ont pas même le mérite d’être vraies. (…) J’espère, après cette déclaration, qu’on me laissera bien tranquille : ET J’AI FINI. »
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Bonne soirée théâtrale !
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« La haine du théâtre ». Réponse à François Lecercle sur son séminaire consacré aux affaires Castellucci et Exhibit B

Capture du 2015-11-04 19:00:19*

Cher Monsieur,

J’ai assisté hier, à la Maison de la Recherche, à votre très intéressant séminaire sur « la haine du théâtre », en auditeur libre (je commence juste à préparer une thèse de doctorat en Littérature comparée). N’étant pas sûre de pouvoir revenir, je voudrais vous adresser quelques remarques sur les cas dont vous avez parlé.

Celui de la pièce de Castellucci « Sur le concept du visage du fils de Dieu », d’abord. Des points de détail qui ont leur importance : les islamistes qui ont manifesté de concert avec les intégristes catholiques ne portent pas la haine des chrétiens et ne combattent pas contre eux sur leurs sites – contrairement à ce qui arrive souvent aux chrétiens, même non intégristes. Traditionnellement et depuis sa fondation, l’islam a toujours été beaucoup plus respectueux des autres religions que le catholicisme, et cela perdure malgré la folie meurtrière des Daech et autres terroristes politiques. Ce qui a rapproché ces islamistes français du combat de Civitas en l’occurrence, c’est comme vous l’avez mentionné une certaine adversité à la laïcité, et aussi, d’un point de vue spirituel (car ces extrémistes des deux religions ont tout de même un point de vue spirituel, même s’il peut nous paraître souvent ou entièrement erroné), leur rejet du blasphème, y compris du blasphème envers Jésus, l’un des plus grands prophètes de l’islam. Le blasphème blesse les musulmans dans leur chair, comme nous serions blessés si quelqu’un injuriait nos enfants. Il ne s’agit pas là d’idéologie. Pour autant, les musulmans assez éduqués dans leur foi savent demeurer paisibles même face à la provocation.

Je n’ai pas souvenir que des évêques aient eu à l’époque des paroles extrêmement violentes, comme vous l’avez dit – ou bien c’est que nous ne supportons plus que des paroles enrobées de sucre, spécialité de toutes sortes de clergés. Certains ont essayé de défendre Jésus et on peut légitimement trouver qu’ils ne s’y sont pas bien pris. J’avais été surtout frappée par les accommodements de la presse catholique envers cette pièce, accommodements qui comme souvent chez ces personnes tenaient de la délectation morose, quand il ne s’agissait pas de battre sa coulpe en se trouvant aussi minable, et quasiment en s’en félicitant, que les personnages de la pièce. Pour ma part, j’aurais souhaité voir émerger un débat de fond sur ce dont la pièce parlait. À savoir : que signifie le fait de jeter de la merde sur le visage du Christ ?

Personne ne s’est occupé de cette question, et il me semble qu’ainsi la pièce a été méprisée aussi bien par ses détracteurs que par ceux qui la soutenaient. Castellucci disait quelque chose, mais personne n’a écouté. En vérité, de tous bords chacun a participé à jeter de la merde, de la fausse parole, de la parole dénuée de sens, sur le visage de l’Homme. La pièce montrait ce que fait chaque jour le monde, et le monde, et notamment ses élites, se sont regardés en ce miroir sans rien y voir, s’y sont même regardés avec un plaisir malsain. En rabaissant le débat implicitement proposé par la pièce à une question de censure, on a des deux côtés fait obstacle à la possibilité d’un réel questionnement sur la pièce. Les scandalisés ont servi malgré eux l’intérêt de ce monde qui a intérêt à occulter la vérité. Mais ils ont du moins eu le mérite de réagir, de montrer par leur outrance qu’il y avait là quelque chose de scandaleux. En fait, comme toujours en art, c’est le monde révélé par l’œuvre qui était scandaleux, non l’œuvre elle-même. Mais si nous voulons garantir la liberté d’expression des artistes, ne faut-il pas garantir aussi celle des citoyens, leur droit de réponse à l’expression des artistes ? Dans un sens, ces protestataires ont fait leur devoir, celui de montrer que le théâtre n’est pas un passe-temps pour gens civilisés, mais remet en question nos comportements. Ils ont été les agitateurs dont le monde a besoin, ils ont rempli ce rôle que des artistes trop protégés ne remplissent plus guère. La preuve en est que grâce à eux, on continue à évoquer cette pièce – sans malheureusement aller davantage au fond des choses. Et c’est ainsi que l’on continue à jeter chaque jour de l’ordure sur le visage de la Vérité.

Les mêmes remarques sont valables pour la contestation à laquelle a donné lieu l’installation Exhibit B. Il me semble avoir signé la pétition contre ce spectacle quand je l’ai reçue, mais je n’en suis pas sûre, ayant cherché quelques jours après la trace de ma signature et ne l’ayant pas trouvée – de toute façon, j’ai hésité au moment de signer, et quelques jours après, voyant que l’affaire tournait à la volonté de censure, j’ai écrit aux initiateurs de la pétition pour leur exprimer mon désaccord et dire, sur internet aussi, que je regrettais mon premier mouvement de soutien à leur protestation. Pour autant, le questionnement qu’ils soulevaient était loin d’être méprisable, et là aussi il ne mérite pas d’être jugé trop vite comme raciste ou extrémiste. Il faut comprendre que des gens traumatisés par l’horreur historique que leurs peuples ont subie puissent développer une sensibilité particulière, que ne peuvent pas éprouver ceux qui ont été à l’abri de telles horreurs. Imaginons qu’un fils de nazi organise une exposition de juifs dans des positions dégradantes en camp de concentration. Nous aurions beau dire qu’il s’agit de dénoncer la Shoah, aurions-nous le droit de traiter de racistes et d’extrémistes ceux des juifs qui se déclareraient choqués par une telle exhibition de leur humanité bafouée, et d’autant plus choqués qu’elle viendrait d’un descendant de leurs bourreaux ? Le fait est que de telles expositions sur les juifs n’existent pas, parce qu’il y a une autocensure des artistes, sensibilisés par le juste et puissant combat que les juifs ont mené et continuent de mener pour éviter ce genre de choses. Je ne dis pas qu’Exhibit B était raciste ou mal intentionné, je dis qu’il faut comprendre qu’un tel spectacle fasse débat, que cela est même sain et naturel. Le plus grand scandale, me semble-t-il, est le refus d’écouter la souffrance des gens, de faire comme si les enfants des victimes, victimes elles-mêmes d’un racisme qui perdure, n’avaient pas le droit d’éprouver autrement les choses que les enfants des racistes. Il en irait de même pour une exhibition de femmes dans des positions dégradantes : même bien intentionnée, elle ne manquerait pas de blesser certaines femmes, d’autant plus si elle était faite par un homme – il ne faudrait pas voir là de leur part un sexisme à l’envers, mais une répugnance à se voir possiblement instrumentalisées par un représentant de leurs oppresseurs historiques (c’est d’ailleurs le cas avec les Femen, que certaines femmes, dont je suis, jugent véhicules d’une image dégradante de la femme, soutenue par des médias largement dominés par des hommes).

« Rien n’est sacré, tout peut se dire », écrivait Raoul Vaneigem. J’en suis entièrement d’accord. Si tout peut se dire, tout doit pouvoir aussi être dit en réponse. Et ce qui est dit doit être réfléchi, par le locuteur et par ceux qui entendent son message. « La libre parole », pour reprendre le titre d’un de ces journaux qui diffusaient des caricatures infâmes de juifs dans la première moitié du siècle dernier, si elle n’est pas pensée et critiquée sérieusement, peut contribuer beaucoup à l’œuvre de dévastation de la haine, en la préparant et en la justifiant. Encore une fois, je souligne que les juifs par leur juste combat ont fait et font en sorte que de tels messages racistes à leur égard n’aient plus droit de cité. Les autres victimes d’oppression de masse ont toute légitimité à mener un semblable combat, dût-il comporter ses errances. Ni Castellucci ni Bailey n’ont évidemment des intentions haineuses, mais leur travail porte des interrogations qui nécessitent d’être approfondies. Ce n’est pas leur rendre hommage que de n’y pas réagir, ou de n’y réagir que par des considérations esthétiques ou de « bons sentiments ». Parmi ces bons sentiments, celui qui consiste à déclarer qu’en démocratie toute censure est irrecevable oublie le fait que la censure demeure pourtant, et puissamment. Dans nos sociétés il s’agit d’une censure en creux, par l’occultation. Aussi bien les instances publiques dispensatrices de subventions que les médias financés par des industriels peuvent délibérément jeter aux oubliettes un artiste qui ne convient pas à leur point de vue sur le monde, pour ne pas dire à leur idéologie.

Voilà, ma réponse est finalement un peu plus longue que je ne l’avais prévu, et j’espère que vous ne m’en voudrez pas de la publier sous forme de lettre ouverte sur mon blog – l’un des derniers espaces où la censure ne s’exerce pas. Je vous remercie d’avoir donné lieu par votre rappel de ces affaires à cette réflexion que je vous partage. Je partage aussi avec vous l’amour du théâtre, qui nous aide à penser le monde dans lequel nous vivons.

Bien cordialement,

Alina Reyes

Peter Brook, « L’espace vide » (extraits)


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« Je parlerai du théâtre rasoir [deadly theatre, théâtre mortel, sclérosé], du théâtre sacré, du théâtre brut et du théâtre vivant. (…) Nous pourrions négliger ici le théâtre rasoir, car il est synonyme de mauvais théâtre. (…) Le pire, c’est qu’il y a toujours un spectateur qui éprouve du plaisir devant un spectacle aussi lugubre. (…) La différence entre la vie et la mort, claire quand il s’agit de l’homme, est bien moins nette ailleurs. Le médecin voit instantanément la différence entre un souffle de vie et un pauvre sac d’os que la vie a quitté. Nous sommes moins entraînés lorsqu’il s’agit d’observer comment une idée, une attitude et une forme peuvent passer de vie à trépas. Les enfants sont plus aptes à le percevoir. »

« Pour tous deux – l’auteur puis l’acteur – le mot est la petite portion visible de tout un univers caché. »

« Chaque œuvre a son propre style. Il ne saurait en être autrement. Chaque période a son style. Dès l’instant où nous essayons de fixer ce style une fois pour toutes, nous sommes perdus. »

« Le théâtre est un art autodestructeur. Il est écrit sur le sable. (…) Au théâtre, toute forme, sitôt créée, est déjà moribonde. Toute forme doit être pensée à nouveau, et sa nouvelle conception doit porter les marques de toutes les influences qui l’entourent. (…) La difficulté consiste à ne pas séparer les vérités éternelles des variations superficielles. (…) L’instrument du théâtre, c’est la chair et le sang du comédien. (…) Le véhicule et le message ne peuvent être séparés. »

« Shakespeare utilisait la même unité de temps que celle dont nous disposons aujourd’hui : quelques heures. Il utilisait ce court laps de temps à entasser minutieusement une profusion de matériaux pris sur le vif, d’une incroyable richesse. Ces matériaux existent simultanément en une variété de niveaux infinie, ils servent à exprimer les profondeurs et les sommets. Les moyens techniques, l’emploi des vers et de la prose, les scènes tour à tour exaltantes, drôles, gênantes n’ont servi à Shakespeare que pour développer, pour satisfaire ses désirs, avec un but précis, humain et social, qui le poussait à faire du théâtre. »

« Marchant le long du Reeperbahm à Hambourg, un après-midi de 1946, enveloppé d’une brume sinistre où disparaissaient des filles estropiées, désemparées, certaines avec des béquilles, le nez bleui, les joues creuses, je vis un groupe d’enfants s’engouffrer joyeusement dans l’entrée d’un cabaret. Je les suivis. Sur la scène, un ciel bleu vif. Deux clowns à paillettes, minables, étaient assis sur un nuage en papier mâché, allant rendre visite à la Reine du Ciel.
– Qu’allons-nous lui demander ? dit l’un d’eux.
– À dîner, dit l’autre.
Alors les enfants hurlèrent leur approbation.
– Qu’allons-nous avoir à dîner ?
– Du jambon, du pâté.
Le clown commença à énumérer tous les aliments introuvables, et les cris d’excitation furent peu à peu remplacés par le calme et le profond silence. Une image devenait tangible, en réponse au besoin de tout ce dont ces gens étaient privés. »

« À Coventry, par exemple, on a construit une nouvelle cathédrale, d’après les meilleures recettes permettant d’obtenir un noble résultat. Des artistes honnêtes, sincères, les « meilleurs », ont été groupés pour célébrer Dieu, l’Homme, la Culture, la Vie, à travers un acte collectif. Il y a donc de nouveaux bâtiments, de belles idées, de beaux vitraux, mais dépouillés de tout rituel. Ces hymnes anciens et modernes, peut-être charmants dans une petite église de campagne, ces inscriptions sur les murs, ces soutanes et ces sermons sont, ici, tristement inadéquats. Un lieu nouveau réclame une cérémonie nouvelle, mais, bien entendu, il aurait fallu que la cérémonie existât en premier. C’est la cérémonie, avec toutes ses implications, qui aurait dû dicter la forme du bâtiment, comme c’était le cas pour toutes les mosquées, cathédrales et temples qui ont été jamais bâtis. La bonne volonté, la sincérité, le respect et la foi en la culture ne sont pas suffisants. La forme extérieure ne peut s’imposer que lorsque la cérémonie le peut aussi. »

« Ce n’est pas la faute du sacré s’il est devenu une arme de la bourgeoisie pour rendre les enfants sages… (…) il est certain que toutes les formes d’art sacré ont été détruites par les valeurs bourgeoises. »

« Un geste est affirmation, expression, communication, et en même temps il est une manifestation personnelle de solitude – il est toujours ce qu’Artaud appelle « un signal à travers les flammes » -, et pourtant, cela implique une expérience partagée, dès que le contact est établi. »

« Dans le théâtre brut, on tape sur un seau pour évoquer une bataille, on se sert de farine pour évoquer la pâleur d’un visage effrayé. L’arsenal est sans limites : l’aparté, la pancarte, l’allusion aux événements, les plaisanteries locales, l’exploitation des incidents, les chants, les danses, le rythme, le bruit, l’utilisation des contrastes, le raccourci de l’exagération, les faux nez, les personnages traditionnels et les ventres rembourrés. Le théâtre populaire, libéré de l’unité de style, parle en fait un langage très sophistiqué et stylisé : un public populaire n’a, en général, aucune difficulté à accepter les incohérences d’accent et de costume, ou à passer ex abrupto du mime au dialogue, ou du réalisme à la suggestion. Il suit le fil de l’histoire sans se rendre compte qu’on est en train de violer une série de conventions. Martin Esslin a écrit que les prisonniers de Saint Quentin confrontés à En attendant Godot, la première pièce qu’ils aient jamais vue, n’eurent aucune difficulté à suivre ce qui, pour les spectateurs habituels de l’époque, était incompréhensible. (…) Avec ces ingrédients, le spectacle assume son rôle de libération sociale, car, par nature, le théâtre populaire est contre l’autoritarisme, le traditionalisme, la pompe et le faux-semblant. (…) Le vrai surréalisme est brut, Jarry est brut…»

« Comme un ascète qui voit un univers dans un grain de sable, Grotowski appelle son théâtre sacré un théâtre de la pauvreté. Le théâtre élisabéthain qui englobait la vie tout entière, y compris la crasse et la misère, est un théâtre brut d’une grande richesse. Théâtre brut et théâtre sacré ne sont pas si éloignés l’un de l’autre qu’on pourrait le croire. (…) Nous devons prouver qu’il n’y a aucune tricherie, qu’il n’y a rien de caché. Nous devons ouvrir nos mains nues et faire voir que nous n’avons rien dans nos manches. Alors, nous pourrons commencer. »

« Au sein d’une communauté humaine le théâtre a une fonction exceptionnelle, ou n’en a aucune. Le caractère exceptionnel de sa fonction vient du fait que ce qu’il offre ne se trouve ni dans la rue, ni chez soi, ni au café, ni chez des amis, ni sur le divan d’un psychanalyste, ni dans une église, ni au cinéma. (…) le théâtre s’affirme toujours dans le présent. C’est ce qui peut le rendre plus réel que ce qui se passe à l’intérieur d’une conscience. C’est aussi ce qui le rend si troublant.
La censure paie un tribut significatif au pouvoir latent du théâtre. Dans la plupart des régimes, même quand l’écriture ou l’image sont libres, c’est toujours le théâtre qui est libéré en dernier. Instinctivement, les gouvernements savent que l’événement vivant risque de provoquer une dangereuse électricité, même si cela n’arrive que trop rarement. Mais cette peur séculaire est la reconnaissance d’un pouvoir séculaire. Le théâtre est l’arène où peut avoir lieu une confrontation vivante. La concentration d’un grand nombre de gens porte en soi une intensité exceptionnelle. Grâce à quoi, des forces qui opèrent en permanence et gouvernent la vie quotidienne de chacun peuvent être isolées et perçues plus clairement. »

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