20 règles pour écrire des romans policiers, par S.S. Van Dine

J’ai trouvé ces règles ici sur Open Culture (où elles sont accompagnées d’un article sur Van Dine et les circonstances dans lesquelles il les a écrites, après être resté deux ans au lit à lire plus de deux mille romans policiers) et je les ai traduites, comme j’avais traduit celles de Raymond Chandler, pour ceux qui comme moi caresseraient l’idée d’écrire un polar, ou tout simplement s’intéressent à ce qu’est un polar. Et après le texte, un film de Michael Curtiz avec William Powell et Mary Astor, « The Kennel Murder Case », d’après un roman de S.S. Van Dine.

*

Le roman policier est une sorte de jeu intellectuel. C’est aussi un événement sportif. Et l’écriture de romans policiers est régie par des lois très précises – non écrites, peut-être, mais pas moins contraignantes pour autant. Tout concocteur de mystères littéraires respectable et digne de ce nom remplit ces obligations. Voici donc une sorte de credo, fondé en partie sur la pratique de tous les grands auteurs de romans policiers, et en partie sur les éléments que l’intuition de l’auteur honnête lui souffle. À savoir :

1. Le lecteur doit être à chance égale avec le détective pour résoudre le mystère. Tous les indices doivent être clairement énoncés et décrits.

2. Le lecteur ne doit être l’objet d’aucune tricherie ni tromperie délibérées, autres que celles jouées par le criminel avec le détective lui-même.

3. Il ne doit pas y avoir d’intrigue amoureuse. Il s’agit de conduire un criminel devant un tribunal, pas de porter un couple amoureux à l’autel de l’hymen.

4. Le détective lui-même, ou l’un des enquêteurs officiels, ne doit jamais s’avérer être le coupable. C’est une ruse éculée, autant que de vouloir échanger un sou brillant contre une pièce d’or de cinq dollars. C’est une fausse prétention.

5. Le coupable doit être trouvé par des déductions logiques – non par hasard, coïncidence ou aveu sans raison. Résoudre un problème criminel de cette façon revient à envoyer délibérément le lecteur sur une fausse piste, puis à lui dire, après qu’il a échoué, que vous aviez l’objet de sa quête dans votre manche durant tout ce temps. Un tel auteur ne vaut pas mieux qu’un farceur.

6. Le roman policier doit comprendre un détective. Et un détective n’est un détective que s’il investigue. Sa fonction est de recueillir des indices qui mèneront éventuellement à la personne qui a fait le sale boulot dans le premier chapitre ; et si le détective ne parvient pas à ses conclusions par une analyse de ces indices, il n’a pas plus résolu son problème que l’écolier qui se fait souffler la réponse à un problème d’arithmétique.

7. Il doit tout simplement y avoir un cadavre dans un roman policier, et plus mort est le cadavre, mieux c’est. Nul crime moindre qu’un meurtre ne saurait suffire. Trois cents pages pour un crime autre qu’un meurtre, ce serait très abusif. Après tout, la peine et la dépense d’énergie du lecteur doivent être récompensés.

8. Le problème du crime doit être résolu par des moyens strictement naturels. Découvrir la vérité par l’intermédiaire d’une ardoise ou d’une planche de ouija, de la télépathie, de séances avec les esprits, d’une boule de cristal, etc., est tabou. Un lecteur a une chance quand il mesure ses facultés avec celles d’un détective rationaliste, mais s’il doit rivaliser avec le monde des esprits et partir en chasse dans la quatrième dimension métaphysique, il est vaincu ab initio.

9. Il doit y avoir un seul détective – c’est-à-dire un seul protagoniste de déduction – un seul deus ex machina. Mettre sur un problème les esprits de trois ou quatre, ou parfois d’un groupe de détectives, c’est non seulement disperser l’intérêt et rompre le fil direct de la logique, mais aussi prendre un avantage injuste sur le lecteur. S’il y a plus d’un détective le lecteur ne sait pas qui est celui avec lequel il mène l’enquête. C’est comme de faire courir au lecteur une course avec une équipe de relais.

10. Le coupable doit se révéler être une personne qui a joué un rôle plus ou moins important dans l’histoire – une personne familière au lecteur et à laquelle il s’intéresse.

11. L’auteur ne doit pas choisir comme coupable un employé de maison. C’est une question de noblesse. Et une solution trop facile. Le coupable doit être décidément une personne comme tout le monde, qu’on ne soupçonnerait pas normalement.

12. Il ne doit y avoir qu’un coupable, quel que soit le nombre de meurtres commis. Le coupable peut, bien sûr, avoir un complice mineur ou un co-préméditeur ; mais la charge entière doit reposer sur une seule paire d’épaules : toute l’indignation du lecteur doit pouvoir se concentrer sur un seul noir personnage.

13. Les sociétés secrètes, camorras, mafias et autres, n’ont pas leur place dans un roman policier. Un meurtre fascinant et vraiment beau est irrémédiablement gâché par une telle culpabilité en gros. Pour sûr, il faut accorder au meurtrier dans un roman policier une chance sportive ; mais c’est aller trop loin que de lui accorder une société secrète sur laquelle se replier. Aucun meurtrier de grande classe, aucun assassin qui se respecte ne voudrait de telles opportunités.

14. La méthode du meurtre, et les méthodes pour la découvrir, doivent être rationnelles et scientifiques. Autrement dit, la pseudo-science et les moyens purement imaginatifs et spéculatifs ne sont pas tolérés dans le roman policier. Une fois que l’auteur s’embarque dans le domaine de la fantaisie, à la manière de Jules Verne, il est au-delà des frontières de la fiction policière, cabriolant dans les confins inexplorés de l’aventure.

15. La vérité du problème doit à tout moment être évidente – à condition que le lecteur soit assez habile pour la voir. Par là je veux dire que si le lecteur, une fois qu’il connaît l’explication du crime, devait relire le livre, il verrait que la solution l’avait en quelque sorte dévisagé – que tous les indices avaient réellement désigné le coupable – et que, s’il avait été aussi habile que le détective, il aurait pu résoudre le mystère lui-même sans aller jusqu’au dernier chapitre. Il va sans dire que le lecteur intelligent résout ainsi souvent l’énigme.

16. Un roman policier ne doit pas contenir de longs passages descriptifs, pas de lenteurs littéraires sur des sujets secondaires, pas d’analyses subtilement travaillées des personnages, pas de préoccupations « atmosphériques ». De telles matières n’ont pas de place vitale dans un récit de crime et d’enquête. Elles diluent l’action et introduisent des questions qui ne relèvent pas du propos principal, qui est d’indiquer un problème, de l’analyser et de le conduire à une conclusion positive. Mais bien sûr, il doit y avoir suffisamment de descriptions et d’indications sur les personnages pour donner au roman sa vraisemblance.

17. Il ne faut jamais faire endosser la culpabilité d’un crime à un criminel professionnel dans un roman policier. Les crimes de cambrioleurs et de bandits sont l’ordinaire des services de police – pas des auteurs ni des détectives amateurs brillants. Un crime vraiment fascinant est un crime commis par un pilier d’église ou par une vieille fille connue pour ses œuvres de bienfaisance.

18. Un crime dans un roman policier ne doit jamais se révéler être un accident ou un suicide. Mettre fin à une odyssée de détective avec un tel anti-climax est tromper le lecteur de confiance et de bon cœur.

19. Les motifs de tous les crimes dans les romans policiers devraient être personnels. Les complots internationaux et les guerres politiques appartiennent à une autre catégorie de la fiction – les histoires de services secrets, par exemple. Mais une histoire de meurtre doit rester gemütlich [confortable, ndt], pour ainsi dire. Elle doit refléter les expériences quotidiennes du lecteur, et lui offrir une certaine issue à ses propres désirs et émotions réprimées.

20. Et (pour donner à mon credo un nombre de points régulier) je liste ci-joint quelques-uns des dispositifs dont nul auteur de roman policier qui se respecte ne se prévaudra désormais. Ils ont été utilisés trop souvent et sont familiers à tous les vrais amateurs de crime littéraire. Les utiliser est un aveu d’incompétence et de manque d’originalité de l’auteur. a) Déterminer l’identité du coupable en comparant un mégot de cigarette laissé sur la scène du crime avec la marque des cigarettes fumées par un suspect. b) La séance spiritualiste bidon pour effrayer le coupable et le faire se trahir. c) Des empreintes digitales forgées. d) L’alibi mannequin. e) Le chien qui n’aboie pas et donc révèle le fait que l’intrus est familier. f) La désignation finale du criminel comme un double, ou un parent ressemblant exactement à la personne soupçonnée, mais qui était en fait innocente. g) La seringue hypodermique et les gouttes qui terrassent. h) Le meurtre commis dans une pièce fermée après que la police l’a en fait forcée. i) Le test d’association de mots pour déterminer la culpabilité. j) La lettre chiffrée ou codée, qui est finalement déchiffrée par le détective.

*

La chute de la maison Usher de Debussy mise en film par Latosch

Une curiosité, ce court-métrage de 2010 sur des extraits d’un opéra inachevé de Debussy d’après la nouvelle de Poe et du Concert champêtre de Poulenc. Peu de moyens mais de l’intelligence pour résumer l’histoire, et un bon accompagnement pour aborder ces deux pièces de musique.


*
Pour voir d’autres éléments, notamment le film de Corman et ma traduction du texte en pdf, cliquer sur le mot clé « La chute de la maison Usher » (en attendant la suite)
*

Les films de mer bretons de Jean Epstein

Après sa splendide adaptation de  La chute de la maison Usher (1928)(nous y reviendrons une autre fois peut-être), Epstein en proie à des difficultés financières part en Bretagne et sous le choc de la découverte abandonne tout autre projet pour filmer le pays qu’il découvre. Entre documentaire et fiction, ses courts-métrages d’avant-garde sont des chefs d’oeuvre d’une intense puissance poétique, faisant parfois penser à des installations vidéo d’artistes d’aujourd’hui travaillant l’image et le son de façon à plonger le spectateur dans un état quasi second. En fait, il me semble qu’Epstein filme en profondeur les éléments et les sons pour révéler à travers eux un cinquième élément et une autre voix.

De son premier film, Finis Terrae (1929), je n’ai trouvé en ligne que des extraits, qui valent vraiment d’être vus. D’autres films ont été réalisés ensuite, comme expliqué ici.
J’ai trouvé les deux derniers dans leur intégralité, dont celui qui est réputé être l’un de ses plus beaux, film de vingt minutes, Le Tempestaire (1947). Epstein est passé au cinéma parlant et ses acteurs disent leur peu de texte de façon « mal jouée » mais cela ne fait qu’ajouter à la poésie de cette parole dont on ne sait en fait d’où elle vient, puisqu’elle semble être dite tout autant par les éléments. Une jeune femme inquiète pour son fiancé parti à la pêche va demander l’aide d’un vieux « tempestaire » censé savoir calmer les tempêtes. Et en effet il se passe quelque chose d’étrange.
Le dernier film est aussi le dernier de Jean Epstein, un film de commande sur les phares pour le compte de l’ONU. Les feux de la mer, Lights that never fail (1948), est ici en entier et en anglais – mais les images se suffisent et certaines sont bouleversantes aussi.


*
https://youtu.be/58L2qA-6Hm0
*

*

« Extase », de Gustav Machaty, avec Hedy Lamarr

Mariée à un homme qui a du mal à mettre la clé dans la serrure et à passer la porte avec elle, qui plus est affligé de TOC, un homme qui a le nez dans le journal et écrase les petites guêpes avec le pied de sa chaise, la jeune femme jouée par Hedy Lamarr est pour le moins frustrée. Jusqu’au jour où, levée par la belle lumière d’un matin, elle va se baigner dans le lac. Pendant son bain sa jument, attirée par un étalon, lui fausse compagnie avec ses vêtements. Elle la poursuit, nue à travers champs et forêt. Un beau terrassier la lui rend. Et lui offre une fleur où il a déposé une petite guêpe, bien vivante. Il y a de l’amour dans l’air et bientôt le premier orgasme filmé. Je ne spoile pas la suite, mais il ne faut surtout pas rater la scène de course nue dans la nature, puis d’amour le soir dans la maison. Le désir actif et le plaisir d’une femme révélés pour la première fois au cinéma, et en beauté. La scène finale, énigmatique juste comme il faut, hymne à la vie et à la joie, laisse la porte ouverte à l’avenir de l’homme et de la femme : qui sait…? Gustav Machaty (dont nous avons déjà vu Erotikon) filme à merveille la sensualité de la nature, aussi bien dans les fleurs que dans les visages et les corps de ses acteurs, notamment Hedy Lamarr, dotée d’autant d’intelligence que de beauté. Le film fut empêché de remporter un prix à la Mostra de Venise en 1934 par l’intervention conjuguée de Mussolini et du Vatican, puis censuré aux États-Unis pendant 7 ans. Malgré les efforts du mari jaloux de l’actrice pour faire supprimer toutes les copies, il existe encore, Dieu merci. Bon film !

Erotikon, de Gustav Machaty (par une nuit d’hiver une voyageuse…)

Ah l’érotisme des trains et autres véhicules aux moments des bandaisons et pénétrations, l’érotisme des réveils et des pendules, l’érotisme de la pluie la nuit, l’érotisme des chevaux noirs galopant les yeux fous dans la nuit, l’érotisme du jeu d’échec, l’érotisme des yeux, des corps… Certaines scènes somptueuses donnent à ce film au noir et blanc puissant, non dénué d’humour, d’impressionner la mémoire.
Source