Métro tagué, 34 en scène, etc.

ce soir à Paris, photo Alina Reyes

ce soir à Paris, photo Alina Reyes

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C’est beau un métro frais tagué, en sortant des couloirs sans fin du RER par une nuit d’hiver. Une belle belle journée de cours, encore, commencée dans l’amphithéâtre avec l’une de mes classes. Une heure sur scène, et vous voilà comme monté.e sur des cothurnes, plus grand.e que nature. Les exercices que je leur ai fait faire, en me souvenant de ma propre expérience et en m’inspirant des conseils du comédien avec lequel, entre autres, j’habite, n’ont pas été très concluants. 34 sur scène, c’est trop pour des débutants. Mais enfin, au moins, en ce début de séquence théâtre (cela signifie que nous allons étudier des textes de théâtre pendant plusieurs semaines), eh bien nous ne nous serons pas contentés de lectures à voix haute en classe, ils auront eu à se confronter à la scène et à comprendre que ce n’est pas si simple.

C’est une grande histoire d’amour, être enseignant.e, et chaque jour plus qu’hier et bien moins que demain.

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Neige

Aujourd’hui j’ai fait mes courses de Noël sous la neige à Paris. Un groupe de jeunes banlieusards m’a demandé son chemin pour un magasin de jouets. Nous étions tous ravis des flocons qui tombaient sur nos capuches, si minces et éphémères fussent-ils. J’ai marché légère, plume, flocon moi-même, étoile des neiges, la joie au cœur. Puis je suis rentrée, continuer à préparer mes cours. La vie toute simple, toute bonne, toute exquise, est là partout, du moment que nous sommes détachés. Libres.

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missticcet après-midi à Paris 5e, photo Alina Reyes

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Que de bonheur, que du bonheur

le footballeurEncore une journée de cours de joie. Oh, il y a bien les petits drames, l’élève qui déchire sa copie parce qu’elle a eu 3 alors qu’elle trouvait sa dissertation très bien et qui ne comprend pas quand je lui dis que cette suite de mots et de fausses phrases qu’elle avait alignés n’ont aucun sens. Mais bon, c’est d’autant plus de bonheur, ensuite, d’avoir fait travailler dur et efficacement toute la classe deux heures durant. Je ne les lâcherai pas, je veux qu’ils arrivent à faire ce qu’ils n’arrivent pas à faire.

Et puis avec l’autre classe, le premier cours du matin qui finit sur quelques accords de Bach, et l’après-midi l’atelier de lecture et d’écriture de théâtre, absolument génial.

Sinon, à la cantine des profs à midi, je me suis amusée du petit froid que j’ai jeté, sans faire exprès. Quand je suis arrivée, l’une était en train de raconter qu’elle avait réprimandé ses élèves parce qu’ils s’étaient écrié « ça pue » en entrant en classe (il faut aérer entre deux cours, 36 personnes enfermées pendant deux heures ça réclame de l’aération, leur réflexion n’avait aucune mauvaise intention). Moi, ai-je dit, j’en ai un dans ma classe qui pète, ça fait beaucoup rire tous les autres. Silence gêné. On aurait dit que j’avais lancé quelque obscénité. Cela m’a autant amusé que si j’avais eu quinze ans et qu’ils auraient pété.

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Poésie vécue

Lisant ici et là quelques-unes des dernières petites phrases de notre petite marionnette de la Phynance, je me suis exclamée :

Qu’il est con,

Ce Macron !

Que voulez-vous, on est poète ou on ne l’est pas. Ni lui ni ses conseillers ne le sont, qui régurgitent une langue de cochon, pleine de conservateurs, déchets et bas morceaux, exhausteurs de goût et autres saloperies. Les Académiciens, au lieu de se gratter la nouille sur l’écriture inclusive, feraient mieux de se soucier de cette nuisance, la langue des présidents depuis au moins Sarkozy, de plus en plus abêtie, nihiliste, mise en charpie, un crime contre l’humanité.

Hier soir dans le métro, assises en face de moi, deux vieilles bourges décolorées bavassaient logorrhéiquement en se montrant les photos de leurs petits-enfants et autres gendres sur leurs I-Phone. L’une qui manifestait une envie de déménager dit : « Tiens, je vais m’acheter quelque chose à Rambouillet ». L’autre lui fit remarquer que c’était très cher, Rambouillet. Oui, elle le savait, mais ça ne fait rien, elle avait envie de s’acheter un appartement à Rambouillet. L’autre se mit à lui conseiller d’acheter des appartements pour la défiscalisation, plutôt. Puis elles ont continué à parler des uns et des autres, untel alcoolo, tel autre escroc, ça avait l’air d’être leurs enfants ou en tout cas des proches, sans que ça émeuve plus que ça leur figure ravagée de fond de teint. Du fric partout, sur elles et dans leur conversation, de sales histoires, pour de bien misérables personnes : la France à Macron. Faut-il que l’ennui les plombe, pour que ces gens soient si tombe.

Pour moi, je travaille à rendre à la langue son sens et je me promène :

rue mouffetard 2

rue mouffetard 3

rue mouffetard 4

rue mouffetard 5

selfieaujourd’hui à Paris 5e, photos Alina Reyes

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De la pluie, des éclaircies, de l’or. Réflexion sur la discipline en classe

 peniche pluie

éclaircie

après la pluie

oraujourd’hui en allant au lycée, et en en sortant, photos Alina Reyes

Je suis heureuse de contempler le paysage depuis le RER, depuis le bus aussi, et à pied, ou bien même depuis les fenêtres du lycée, entre deux cours. Je suis heureuse de contempler. Je suis heureuse d’enseigner.

Au conseil de classe, les autres profs ont évoqué les bavardages de la classe, par ailleurs une très bonne classe. L’une a dit que le seul moyen de les faire cesser avait été d’instaurer la dictature dans son cours. Chacun fait comme il peut, ce n’est pas facile. Moi je me refuse à la dictature autant qu’à d’autres méthodes parfois pires quoique enveloppées de bonnes intentions, comme l’infantilisation, la culpabilisation et l’humiliation cachées. Je préfère de beaucoup m’accommoder  du bavardage. Un autre moyen, plus simple et plus honnête, est de ne pas faire durer les temps d’oral. Dès qu’on leur dicte quelque chose ou qu’on les fait écrire, le calme revient. C’est pascalien : le fait d’avoir à écrire, surtout sous la dictée, les divertit. L’angoisse du temps s’annule. Ils ne sont plus suspendus dans le vide comme lorsqu’on leur donne la parole, et qu’ils se sentent obligés de remplir tout l’espace avec de la parole et pour faire ample mesure, du bavardage (sauf si, sous la dictature, ils sont éteints). N’est-ce pas ce que font tous les humains ? Pourquoi n’en feraient-ils pas autant, surtout à leur âge où l’on est si plein de vitalité, où l’on a tant envie de bouger, de s’extérioriser ? Mais comme je ne veux pas non plus m’obliger à les faire écrire pour avoir le calme – si je les fais écrire, je veux qu’ils sentent que c’est pour tout autre chose -, je me tiendrai plus fermement désormais au système que j’avais mis en place en septembre et peu utilisé, tâtonnant dans la recherche d’une solution. Oui, c’est celle qui me paraît la meilleure : donner une note de conduite. La note est un contrat. Le contrat responsabilise. Tout est contrat, dans la nature pour commencer. Sans contrat, rien ne se tient, tout s’écroule. Apprendre à se tenir est aussi important qu’apprendre à parler, à l’écrit ou à l’oral. Cela va de pair. C’est apprendre à être humain, comme la littérature.  Oui, une note de conduite (sur le calme, l’honnêteté, le respect) indique que la façon de se conduire est une intelligence à acquérir comme celle de la langue ou des sciences. Il faudrait l’élever au niveau d’une discipline aussi importante que toutes celles qu’on apprend à l’école. Ce serait bon pour tout le monde, y compris et d’abord pour les élèves, qui ont besoin de boussole.

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Génie,

comme dit Rimbaud. Quelque chose m’a frappée dans le film de Tarkovski Stalker, que j’ai visionné ce week-end parce que Michèle Lesbre l’évoque dans son roman Le canapé rouge, que j’étudie avec mes Première : ce qu’y dit du génie le personnage de l’écrivain. Si j’étais sûr d’en avoir, dit-il en substance, je pourrais arrêter d’écrire, je n’aurais plus à recommencer toujours à écrire. Oui, arriver au sommet d’où peut se voir son propre génie, c’est ce qui arrive à certains auteurs : d’où des œuvres interrompues, comme celles de Rimbaud, de Nietzsche, de Kafka… C’est ce qui m’est arrivé aussi (que mon immodestie fasse grincer des dents, peu importe). J’écris, mais sans avoir besoin d’écrire. Je le fais par simple joie, comme d’aller me promener.

Et il y a autre chose. Je transfigure maintenant et je transmets la littérature en l’enseignant, à ma façon. Je la livre vivante, à travers mon rapport vivant, mon rapport d’amour aux textes. Quand ma tutrice est venue assister à l’un des ateliers d’écriture que je fais avec mes élèves, je l’ai vue entrer en état de choc, raide, les yeux fixes, écarquillés. Quand j’ai raconté à une autre collègue ce que je leur faisais faire lors de ces ateliers – écrire en 20-25 minutes un texte sur un sujet donné, puis le lire devant toute la classe disposée en cercle ouvert, elle s’est exclamée : « mais c’est très difficile, ce que tu leur demandes ! » Et elle avait raison. C’est pourquoi il nous faut chaque fois une dizaine de minutes pour la mise en route. C’est pourquoi au début ils se récriaient avec véhémence, voulaient refuser. Et maintenant, quand nous ne le faisons pas, ils le réclament.

Mais ce n’est pas tout. Notre façon d’étudier les textes, de faire ce qu’on appelle des lectures analytiques, se passe dans un esprit tout différent de la norme scolaire. Je les fais entrer en profondeur dans les textes, dans leur sens. Je leur fais toucher du doigt les correspondances avec d’autres œuvres, de littérature ou d’art. Je les emmène dans la complexité, et ils m’y suivent très bien, quoiqu’ils soient habitués à un tout autre régime. Et je les fais réfléchir aussi au sens philosophique, social, humain, de ce que nous étudions. Je leur parle de la politique, de la religion, des rapports sociaux, je leur demande d’apporter leur propre réflexion, à l’oral ou à l’écrit, je les fais se servir de leur intelligence, qui est grande, de leur autonomie de pensée, qui doit venir. Mes classes ne sont pas des classes mortes, elles sont vivantes, et je suis heureuse et bienheureuse.

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Passe-murailles

Hier, assise dans l’abribus avec mon lourd sac d’école, en attendant mon bus en banlieue, j’ai vu une scène digne d’un film d’action. Au quatrième étage d’un immeuble, un homme, silhouette sombre, est sorti par une fenêtre éclairée, et empruntant le rebord, plaqué contre le mur, en étendant la jambe est passé par la fenêtre voisine, éclairée aussi, dans l’appartement ou la pièce d’à côté.

J’ai fait écouter Le Corbeau d’Edgar Poe à mes élèves, puis je les ai fait lire, puis écrire, puis dessiner (des masques).

Puis avec mon autre classe, nous avons évoqué Dostoïevski, Tarkovski, Cendrars.